4.3 LE MODE DE RELATION ENTRE DECIDEURS

Bertrand Saint Sernin distingue deux esprits et deux fondements dans une décision : " ‘ou bien le décideur suscite des libertés, ou bien il agence des moyens et des forces’ " 315 . Jacques Barbichon, lui, oppose deux modes de relations : d'une part, la relation de décision dans laquelle ‘"le tranchant du décideur n'est plus le pivot de la production de décision puisque le doute exprimé par d'autres peut intervenir ici à la fois comme méthode et comme disposition d'esprit"’ 316 , d'autre part, la relation de pouvoir fondée sur le statut et sur la capacité du pouvoir à produire et à contrôler lui-même les choix.

Ces deux auteurs envisagent les relations entre les participants à une décision selon le même point de vue. Dans un cas, la personne qui préside l'élaboration autorise et favorise une circulation de la parole entre les participants, avec tout ce que cette dynamique implique comme hésitations ou contradictions. Il s'agit de ce que Jacques Barbichon nomme une "relation de décision" s'appuyant sur une liberté de parole afin d'envisager collectivement les enjeux et la définition des conséquences possibles du choix. Dans l'autre cas, le maître d'oeuvre de la prise de décision contrôle l'ensemble du processus, rien ne lui échappe. Sa façon de voir les choses ne doit pas être remise en question. Il impose son point de vue. En ce cas, c'est une "relation de pouvoir".

Nous distinguons donc l'élaboration d'une décision, laissant une place au doute et permettant la prise en compte du point de vue de chaque participant, de celle dans laquelle cette dynamique est interdite, le choix étant imposé par la personne dirigeante. Si, dans ce second type d'élaboration, le mode de relation entre participants est clairement basé sur le rapport de force, il est moins facile de discerner ce qu'il en est dans les prises de décisions relevant du premier type. Nous envisageons donc quelques caractères permettant de les appréhender.

Jacqueline Russ 317 distingue les "modes agressifs" et les " ‘modes doux excluant la contrainte’ " d'exercice de pouvoir. Les premiers regroupent la violence, la force, la contrainte, la puissance, le commandement et la sanction, et les seconds, l'autorité, la persuasion, la séduction et la manipulation.

Lorsque, avant la mise en place d'une mesure d'aide éducative, l'adolescent en situation de difficulté et les membres de sa famille mettent en oeuvre des modes d'exercice de pouvoir relevant plutôt du premier type, le dispositif de suppléance familiale vise à inverser cette tendance. Il s'agit de soutenir ces personnes dans un passage de l'usage de la violence et de la fuite vers celui de l'argumentation. Celle-ci constitue, avec la séduction et la manipulation une des trois façons de tenter de persuader quelqu'un.

Persuader consiste à amener à croire, à convaincre en rendant acceptable ce que l'on veut communiquer, dans le but de modifier une opinion ou au minimum de conforter un sentiment ou un point de vue. "‘La force de persuasion est toujours de faire accepter souvent pour faire agir’ " 318 . Exercer une force de persuasion nécessite détermination et ouverture ; c'est-à-dire la capacité d'être interrogé, de réfléchir, de douter, d'être prêt à se livrer, de "faire avec l'autre". On voit poindre ici le risque de la rencontre, de la résistance d'autrui.

Notes
315.

SAINT SERNIN. (1979). op. cit. p. 125.

316.

BARBICHON, J. (1990). op. cit. p. 18.

317.

RUSS, J. (1994). Les théories du pouvoir. Paris : Le livre de poche. pp. 32 et 38.

318.

BELLENGER, L. (1997). La force de persuasion. Du bon usage des moyens d'influencer et de convaincre. Paris : ESF éditeur. p. 17.