4.3.1 L'argumentation

C'est l'éthique, la réflexion sur ce qui justifie une action qui permet de parvenir à une décision juste, c'est-à-dire " ‘conforme à l'exigence du respect d'autrui’ " 319 . Or, il n'est pas possible d'envisager avec certitude toutes les conséquences d'une décision. Une "bonne" intention, un acte parfaitement légitime sur le plan éthique peut avoir des conséquences négatives. Seule la mise en oeuvre de certaines conditions lors de l'élaboration autorise la légitimité éthique du processus décisionnel.

Dans le cadre d'un choix individuel, il importe de s'interroger sur la façon d'appliquer à la situation un principe éthique reconnu légitime et indiscuté. Comme il est fréquent que le décideur ait abandonné quelques unes de ses convictions au cours de l'élaboration et de la détermination ou que le résultat ne soit pas à la hauteur de ses espoirs, la réflexion produite au cours de la phase d'évaluation peut éviter le découragement et permettre de ne pas se détourner, lors de prochaines décisions, des exigences éthiques.

Dans le cadre d'un choix collectif, la confrontation des principes estimés prioritaires par chacun et la validation des arguments à travers un questionnement ancré dans une reconnaissance réciproque des personnes, vont dans le sens d'une légitimation éthique. En effet, une décision imposée par la ruse ou par la force est illégitime. Irène Théry se réfère à Jürgen Habermas pour définir ce qui va rendre juste une décision judiciaire : " ‘ce n'est pas qu'elle soit juste en soi, c'est la façon par laquelle on va y arriver, c'est à dire que la seule garantie que l'on peut avoir dans une société comme la nôtre, qui ait un sens, c'est le processus d'échange d'arguments, par lequel un argument répond à un autre argument dans un contexte ou idéalement aucune des deux parties ne soit dominée’ " 320 . Dans le cadre de l'action éducative, Jacques Tremintin définit le sentiment du juste comme ‘"le produit à la fois d'une conduite d'interrogation permanente et d'une capacité à toujours problématiser les situations, mais aussi à mettre en question de façon constante les pratiques’ " 321 .

Ainsi, la recherche du "probablement juste" peut être envisagée à travers un espace de parole ouvert à toutes les personnes concernées par la décision, et en référence aux trois besoins fondamentaux suscités dans toute relation à autrui : la sécurité dans les contacts assurée par le respect, la réciprocité dans l'échange, et la reconnaissance de l'identité de chacun 322 .

Dans un dialogue, si l'un des interlocuteurs pose toutes les questions, c'est lui qui a l'initiative des échanges. Gilbert Leroy 323 distingue le dialogue authentique du pseudo-dialogue. Le premier s'appuie sur une acceptation et une reconnaissance de l'autre, différent de nous, mais égal en dignité, et autorise chaque interlocuteur à apprendre quelque chose de l'autre. Le second demeure une communication essentiellement verticale et descendante, contrôlée et orientée par l'un des interlocuteurs.

Si, "‘argumenter, c'est donner à un interlocuteur ou à un groupe de bonnes raisons de croire à ce qu'on lui dit’ ", alors l'argumentation apparaît comme une des voies de la persuasion 324 .

Pierre Oléron définit l'argumentation comme ‘"la démarche par laquelle une personne - ou un groupe - entreprend d'amener un auditoire à adopter une position par le recours à des présentations ou assertions - arguments - qui visent à en montrer la validité ou le bien-fondé’ " 325 . Ainsi, cette démarche repose, entre autres, sur le développement de la capacité à démontrer.

Argumenter implique tout d'abord de s'appuyer sur une capacité à démontrer, car le rationnel constitue " ‘le premier socle capable de supporter tout effort consistant à convaincre, rallier, faire adhérer, en restant sur le terrain de la démonstration’ " 326 . Il s'agit alors de convaincre, rallier, faire adhérer en restant sur le terrain de la démonstration. En effet, ‘"l'argumentation s'exerce dans un univers où règnent l'ambiguïté, l'équivoque, l'incertitude, le désaccord’ " 327 .

Elle repose également sur la recherche des bons arguments, de ceux susceptibles d'entrer en résonnance avec l'interlocuteur. Lionel Bellenger retient trois registres argumentatifs : les arguments d'autorité, les arguments par les valeurs et les arguments de recadrage de la réalité. Les premiers concernent le fait de tenir compte de la présence de l'émetteur dans l'argumentation, pour ce qu'il représente. Les deuxièmes représentent l'explicitation des options idéologiques et socioculturelles. Les troisièmes sont en lien avec l'idée de "recadrer" la réalité, de porter un regard neuf sur la situation, de changer de perspective pour attirer la curiosité et l'intelligence.

Argumenter nécessite enfin de structurer son discours. La mise en oeuvre de cette règle repose sur une maîtrise des échanges. Il est important, en effet, d'organiser la présentation de ses arguments en fonction du point de vue que l'on veut défendre. C'est ainsi qu'il peut être question d'exposé de faits, d'annonce de propositions, de réfutation... " ‘Une argumentation bilatérale, présentant à la fois les éléments pour et les éléments contre, paraît dotée d'une bonne efficacité persuasive, surtout avec les personnes instruites. En revanche, une argumentation unilatérale, présentant les seuls arguments pour ou contre, se révèle plutôt efficace avec des personnes au niveau d'instruction faible’ ", indique Jean-Marc Monteil 328 . A propos de la forme de la conclusion adoptée au terme de la communication persuasive, une conclusion implicite est de meilleure efficacité qu'une conclusion explicite, particulièrement avec des personnes très impliquées dans la situation, poursuit ce même auteur. En outre, toute tentative d'influence par l'appel à la peur réclame des précautions ; le message doit fournir les moyens de résoudre le problème posé et indiquer comment éviter le danger évoqué 329 .

Favoriser l'exercice d'une force de persuasion basée sur l'argumentation repose sur le développement de ces capacités.

Mais ne perdons pas de vue que ‘"celui qui sort vainqueur du débat doit bien souvent sa victoire non pas tant à la justesse de son jugement quand il soutient sa thèse, qu'à l'astuce et à l'adresse avec lesquelles il l'a défendue’ " 330 . Cet avertissement d'Arthur Schopenhauer introduit les démarches de persuasion basées sur la séduction et la manipulation.

Notes
319.

FUCHS, E. (1996). Comment faire pour bien faire ?Genève : Labor et Fides. p. 19.

320.

THERY, I. (1995). Le déclin du droit dans la justice de la famille. In PELLEGRINI, B. et al. Mélanges Vaucresson 1992-1994. Vaucresson : CNFE de la PJJ. p. 263.

321.

TREMINTIN, J. (1995). Faut-il accepter d'être responsable ? Lien social, 314. p. 6.

322.

FUCHS, E. (1996). op. cit. p. 22.

323.

LEROY, G. (1970). Le dialogue en éducation. Paris : PUF. p. 63.

324.

BELLENGER, L. (1997). op. cit. p. 41.

325.

OLERON, P. (1993). L'argumentation. Paris : PUF, Que sais-je ? p. 4.

326.

BELLENGER, L. (1993). op. cit. p. 42.

327.

OLERON, P. (1993). op. cit. p. 8.

328.

MONTEIL, J-M. (1990). Eduquer et former. Perspectives psycho-sociales. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble. p. 148.

329.

MONTEIL, J-M. (1990). ibid.

330.

SCHOPENHAUER, A. (1998). L'art d'avoir toujours raison. Paris : Editions Mille et une nuits. p. 12.