4.4 L'INTERET EDUCATIF D'UNE DECISION

Nous abordons, à présent, la responsabilisation des participants au processus décisionnel, puis, l'émergence et l'affermissement d'un lien entre eux, enfin, la problématisation de la situation sur laquelle porte la décision.

4.4.1 La responsabilisation des participants

L'expression "être responsable" peut être considérée dans deux acceptions. Dans la première, la responsabilité constitue une condition d'imputabilité de nos actes. On dit d'une personne qu'elle est responsable d'un acte et de ses conséquences quand elle en répond dans le cadre d'un pouvoir qu'elle exerce sur un certain territoire. La responsabilité désigne alors le fait d'être le sujet approprié d'une sanction juridique ou morale. Dans la seconde, elle est une modalité de l'agir. Agir de façon responsable, c'est s'acquitter d'une tâche de façon réfléchie. Responsabiliser une personne signifie donc lui redonner le sens d'une action prudente et réfléchie 339 .

Jacques Henriot précise la distinction entre responsabilité et engagement : ‘"s'engager, c'est décider à l'avance de se faire responsable de ce que l'on aura fait. L'engagement est une responsabilité au futur antérieur. La responsabilité actuelle porte sur ce qui a été fait’ " 340 . Si la décision est collective, le choix arrêté constitue une parole commune qui engage chacun des participants. Mais, la référence au paradigme de la complexité incite à passer de la logique de l'engagement et de l'obéissance à l'engagement, à celle de la responsabilité. Le temps n'est plus guère à la longue maturation des décisions, mais il est sans doute à la responsabilité de choisir sans savoir, et puis d'avoir le courage de répondre de nos choix jusque dans leurs conséquences imprévisibles 341 .

" ‘Ne pas prendre de décision, c'est s'en remettre aux décisions des autres et éviter les risques de la responsabilité’ " 342 . Etre responsable suppose être capable de faire des choix. Or cette capacité varie en fonction, notamment, du niveau de développement cognitif, affectif et relationnel. Gérald Lajoie et ses collaborateurs proposent d'appeler ‘"l'espace décisionnel d'une personne, sa marge de manoeuvre’ " 343 .

" ‘Pour les décisions fondamentales, on est toujours seul. Il nous faut assumer la responsabilité de nos choix personnels. C'est cela être adulte’ " 344 , affirme Raymond Polin. L'éducateur est susceptible de favoriser le développement d'une telle attitude en attribuant inlassablement à l'enfant ses propres actes sans l'accuser quand il s'égare. " ‘Ne pas attribuer, c'est interdire l'émergence d'une liberté ; et accuser, c'est supposer cette liberté constituée quand il faut précisément la faire advenir’ " 345 , considère Philippe Meirieu. En effet, attribuer un acte ou un résultat à un enfant constitue un moyen pour qu'il se l'attribue lui-même, qu'il en revendique la responsabilité et qu'il en assume les conséquences.

" ‘L'expérience de la responsabilité commence, selon François Ewald, lorsque l'on a à décider sans pouvoir se référer à une norme. (...) Dans la responsabilité, il y a l'idée qu'on est à l'origine d'une décision dans une situation d'incertitude, pour y mettre un terme. Là où il n'y a pas incertitude, il n'y a pas à parler de responsabilité. (...) La responsabilité est une fonction du pouvoir exercé. (...) Le pouvoir rend responsable ; on ne peut pas être responsable sans exercer de pouvoi’ r" 346 . Alain Finkielkraut 347 insiste sur la nécessité, pour les adultes, de tenir leur place, d'assumer leur autorité, de ne pas déléguer aux enfants une responsabilité qui ne leur incombe pas. Tout n'est pas négociable.

Participer à l'élaboration d'une décision favorise l'expérience de la responsabilité, valeur qui participe à tout processus de socialisation, et d'amélioration de l'estime personnelle : ‘"une responsabilisation véritable des sujets devrait leur permettre d'accéder à la maîtrise de la situation dans laquelle ils sont impliqués’ " 348 . Celle-ci repose, entre autres, sur des procédures assurant la transparence et la limpidité des relations entre la famille et l'équipe éducative. Si l'adolescent s'appuyant sur un dispositif de suppléance familiale est dans un état de passivité ou de dépression, il risque de développer " ‘un pattern de manipulation, incitant les autres à décider à sa place’ " 349 .

Prendre en compte ces avertissements conduit à interroger la place à accorder à l'adolescent lors de l'élaboration des décisions le concernant. A la question " ‘quels types de décisions peuvent être confiées aux jeunes ?’ ", Maurice Cusson répond que " ‘les responsabilités doivent être précises, limitées, concernant des tâches bien délimitées ; ainsi le jeune n'aura pas la tentation d'outrepasser ses pouvoirs, l'éducateur pourra lui demander de rendre des comptes et le jeune apprendra ce que devrait être l'exercice du pouvoir’ " 350 . A propos de décision collective concernant un enfant s'appuyant sur un dispositif de suppléance familiale en foyer, J. R. Wilkes 351 rappelle la nécessité de lui exposer la façon dont les responsabilités sont réparties et de lui justifier cet arrangement.

Notes
339.

NEUBERG, M. (1997). La responsabilité : étude philosophique d'une notion incertaine. In NEUBERG, M., EWALD, F., HIRSCH, E., GODARD, O. Qu'est-ce qu'être responsable ?Paris : Carré Seita-Sciences Humaines. pp. 24 à 27.

340.

HENRIOT, J. (1992). Responsabilité. Encyclopedia Universalis. Paris : Encyclopedia Universalis éditeur. p. 949.

341.

OBERSON, E., VILLEPELET, D. (1997). op. cit. p. 23.

342.

TEZENAS DU MONTCEL, H. (1983). L'utilité de la décision. In ROY, B. (sous la direction de). La décision : ses disciplines, ses acteurs, 15-28. Lyon : Presses Universitaires de Lyon. p. 18.

343.

LAJOIE, G., DAOUST, F., MAHEU, L. (1988). Quelques réflexions théoriques et cliniques sur la responsabilisation. Revue canadienne de psycho-éducation, vol. 17, n° 2. p. 153.

344.

POLIN, R. (1996). In HOCQUARD, A. Eduquer, à quoi bon ? Paris : PUF. p. 22.

345.

MEIRIEU, P. (1996). Frankenstein pédagogue. Paris : ESF éditeur. p. 106.

346.

EWALD, F. (1997). L'expérience de la responsabilité. In NEUBERG, M., EWALD, F., HIRSCH, E., GODARD, O. Qu'est-ce qu'être responsable ?Paris : Carré Seita-Sciences Humaines. pp. 66 à 69.

347.

FINKIELKRAUT, A. (1992). Entretiens aux journées de l'AEMO à Toulouse. Document ronéotypé. p. 9.

348.

BOUTIN, G., DURNING, P. (1994). op. cit. p. 179.

349.

STEINHAUER, P. D. (1996). op. cit. p. 83.

350.

CUSSON, M. (1974). La resocialisation du jeune délinquant. Montréal : Presses de l'Université de Montréal. p. 123.

351.

WILKES, J. R. (1992). Les enfants ballotés. Comment améliorer le sort des enfants placés à l'extérieur du milieu familial. Santé mentale au Canada, juin. p. 5.