1.1.1 La relation éducative comme source d'enjeux de pouvoir

L'éducation peut se définir comme " ‘une relation dissymétrique, nécessaire et provisoire visant à l'émergence d'un sujet’ " 370 . Etant asymétrique, la relation éducative est donc, comme tout rapport social comportant une telle caractéristique, source d'enjeux de pouvoir 371 . " ‘Eduquer, rappelle Philippe Meirieu, c'est toujours vouloir exercer du pouvoir sur l'autre’ " 372 .

Le pouvoir est en quelque sorte la capacité de faire triompher une volonté. Celle-ci " ‘se dissocie elle-même en capacité effective d'exercer le pouvoir et en capacité légale, en droit de faire quelque chose, qui fonde la légitimité du pouvoir’ " 373 .

Jacqueline Russ affirme, à partir de Michel Foucault et Michel Crozier, que " ‘l'unique façon de rendre compte d'un pouvoir aux multiples facettes consiste à l'envisager comme un mode de relations stratégiques’ " 374 . Dans la même optique, Pierre Tap indique que " ‘le pouvoir n'est pas une propriété des acteurs, c'est un moyen d'échange dans la relation entre eux. Avoir du pouvoir c'est avoir une marge de manoeuvre dans la négociation avec autrui’ " 375 . C'est en l'exerçant qu'on lui donne sa réalité et son efficacité. Il se caractérise comme ‘"la capacité d'un acteur à structurer des processus d'échange plus ou moins durables en sa faveur, en exploitant les contraintes et opportunités de la situation pour imposer les termes de l'échange favorables à ses intérêts’ " 376 . Erhard Friedberg précise qu'on entre dans une relation de pouvoir parce que l'on doit obtenir la coopération d'autres personnes pour la réalisation d'un projet ; " ‘contrairement à l'intuition première qu'on pourrait en avoir, pouvoir et coopération ne sont pas contradictoires, mais sont la conséquence naturelle l'un de l'autre’ " 377 .

Ainsi, la notion de pouvoir renvoie bien à la possibilité de choix, à la possession d'une marge de manoeuvre dans la situation sur laquelle porte la décision ; sens identique à celui contenu dans "empowerment" en tant que "gain de pouvoir".

Il est évident que lors de la mise en place d'un dispositif de suppléance familiale en accueil résidentiel, les membres de la famille, les parents en particulier, sont en situation de déficit de pouvoir par rapport à l'équipe éducative. En effet, ils ne possèdent pas la maîtrise de l'organisation. En conséquence, ils risquent, non seulement de ne revendiquer aucun pouvoir, mais également de laisser toute initiative, à l'institution, alors que la législation fixe un cadre au sujet de l'exercice de l'autorité sur l'adolescent. Favoriser l'émergence d'un pouvoir d'agir, par l'adolescent et par ses proches, ses parents en particulier, dans le cadre d'un tel dispositif est donc pertinent puisqu'il vise la prise de contrôle, par les personnes qu'il concerne, sur leur propre destinée.

L'équipe éducative porte la responsabilité de la mise en oeuvre des conditions susceptibles d'autoriser pareille évolution. En agissant ainsi, elle exerce un pouvoir d'agir tout en permettant le développement d'un processus de même nature, par l'adolescent, des membres de sa famille et, également, des autres adolescents accueillis dans l'institution, lors de certaines interventions. Remarquons qu'il peut s'avérer judicieux, dans certaines situations, d'envisager séparément le pouvoir d'agir susceptible d'être exercé par chacun des parents. C'est le cas, par exemple, si l'autorité parentale n'est détenue que par l'un des deux, car les composantes du pouvoir d'agir de l'un et de l'autre diffèrent.

Nous représentons cette dynamique comme suit, tout en privilégiant les parents par rapport à l'ensemble de la famille car, la plupart du temps, ce sont eux les titulaires de l'autorité parentale qui sont les plus sollicités dans le dispositif de suppléance familiale :

Nous ne symbolisons pas de lien entre le pouvoir d'agir exercé par les pairs de l'adolescent et celui exercé par les parents. Nous justifierons plus tard ce point de vue.

Néanmoins, il est possible de prendre en compte d'autres membres de la famille et même des proches de l'adolescent, si ceux-ci tiennent une place importante dans sa vie, comme mis en lumière ci-après :

Il existe une articulation entre le pouvoir d'agir des parents et celui des autres membres de la famille ou des proches de l'adolescent si ces personnes sont en relation entre elles.

Les composantes du pouvoir d'agir susceptible d'être exercé par chacune des personnes engagées dans un tel dispositif sont étudiées plus loin.

Présentons maintenant les deux dimensions selon lesquelles ces différents pouvoirs peuvent être envisagés.

Notes
370.

MEIRIEU, P. (1997). Quelles finalités pour l'éducation et la formation ? Sciences humaines, 76, p. 31.

371.

HADJI, C. (1992). op. cit. p. 29.

THOUVENOT, C. (1991). op. cit. p. 289.

372.

MEIRIEU, P. (1994). L'envers du tableau. Paris : ESF éditeur. p. 70.

373.

RUSS, J. (1994). op. cit. p. 27.

374.

RUSS, J. (1994). op. cit. p. 316.

375.

TAP, P. (1988). op. cit. p. 56.

376.

FRIEDBERG, E. (1997). Le pouvoir et la règle. Paris : Editions du Seuil. pp. 127-128.

377.

FRIEDBERG, E. (1997). op. cit. p. 125.