1.1.3 Le conseil d'établissement comme lieu d'expression collective

Le "conseil d'établissement", institué en référence au Décret du 31 décembre 1991 380 , concerne l'ensemble des institutions sociales et médico-sociales. Il associe directement les usagers et leurs familles au fonctionnement de l'organisation sur laquelle ceux-ci s'appuient. Les textes l'instituant s'inscrivent pleinement dans la lignée de l'évolution de l'action sociale en général et de l'ASE en particulier au cours des vingt dernières années. Nous centrons la présentation de ce conseil sur les dispositifs de suppléance familiale en accueil résidentiel.

Nous avons précédemment noté que les modifications institutionnelles les plus importantes, au cours de ces dernières décennies, ont concerné la place des familles dans ces dispositifs. La pratique substitutive marquée, entre autres, par des placements lointains, par l'évincement des parents et par la limitation des visites, a été remise en question par la loi de 1970 sur l'autorité parentale et par celles de 1984 et 1986 définissant les missions de l'ASE. Le décret créant le conseil d'établissement s'inscrit dans cette logique, c'est-à-dire dans le projet de restaurer la place des adolescents et de leurs familles, dans la marche de l'institution. Cette instance constitue un lieu d'expression et un lieu de rencontre pour toutes les personnes visant un même objectif : le mieux-être d'adolescents en situation de difficulté. Elle constitue la seule opportunité d'exercice d'un pouvoir d'agir collectif, au sein de l'institution, par les membres de la famille de l'adolescent, ses parents en particulier. Il nous semble donc pertinent de préciser certaines caractéristiques du conseil d'établissement.

Celui-ci, composé de représentants des adolescents, des familles, du personnel et de l'association gestionnaire de l'institution, se réunit deux fois par an, afin de donner son avis et d'émettre des propositions relatives au fonctionnement de l'établissement. C'est la personne privée ou publique gestionnaire qui définit le nombre de représentants (entre neuf et dix sept), ainsi que leur répartition entre les quatre collèges. Les délégués des adolescents et des familles constituent plus de la moitié de l'ensemble. Selon l'article 4 381 de ce décret, les représentants des adolescents et ceux des familles sont élus par leurs pairs respectifs. Peut être candidate, pour représenter les adolescents, toute personne âgée de plus de douze ans hébergée dans l'institution. Pour représenter les familles, le candidat doit être parent d'un usager jusqu'au quatrième degré, ou avoir la garde juridique d'un usager. Les représentants de l'organisme gestionnaire sont désignés par leur organe délibérant. Ceux du personnel sont élus ou désignés par les syndicats. Le mandat des membres est d'une durée de trois ans renouvelable.

Mais la mise en place de cette instance se heurte à de nombreux obstacles dans la plupart des établissements, comme l'illustrent les deux situations suivantes.

Anne Ulpat 382 évoque une enquête 383 , menée fin 1996, par le Centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptée (C.R.E.A.I.) et l'Union régionale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux (U.R.I.O.P.S.S.) Rhône-Alpes. Cette enquête met en évidence les difficultés de mise en place et de fonctionnement du conseil d'établissement. Seuls trois établissements sur dix en possèdent un.

Dans ceux qui n'en disposent pas, le conseil a été créé mais, dans un cas sur dix, son fonctionnement n'a pas perduré, et dans deux cas sur dix, la procédure d'information et d'élection a été mise en place sans aboutir. Le manque de candidatures du côté des familles et des usagers était dû au ‘"turn over des usagers, à l'éloignement géographique des familles, ou encore aux situations conflictuelles pouvant exister entre les différents acteurs concernés’ " 384 . Sept établissements sur dix ne disposant pas d'un conseil d'établissement ont déclaré posséder une instance participative autre. Craignant le double emploi, ils n'ont pas tenu à la mise en place d'un conseil.

En juillet 1992, le Syndicat national des associations pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte (S.N.A.S.E.A.) et l'Association française de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence (A.F.S.E.A.) ont demandé au Conseil d'Etat "l'annulation pour excès de pouvoir" de plusieurs articles du décret relatif au conseil d'établissement 385 . Mais leur requête a été rejetée en mars 1997.

On mesure ainsi le peu de moyens accordés au fonctionnement des conseils d'établissement et même l'obstruction faite à leur mise en place. Il est à noter qu'aucun moyen de coercition n'a été prévu par le législateur pour les institutions qui ne respectent pas le décret. Afin de contraindre les institutions à appliquer la loi, Pierre Verdier 386 suggère que les organismes de contrôle n'approuvent ni les budgets ni les projets qui n'aient pas été soumis à l'avis du conseil d'établissement.

Nous présenterons, dans la dernière partie de cette recherche, ce qu'il en est du fonctionnement de cette instance dans les trois institutions sur lesquelles nous nous appuyons pour réaliser cette recherche.

Notes
380.

Article 2 du décret n° 91-1415 du 31 décembre 1991 relatif aux conseils d'établissement des institutions sociales et médico-sociales mentionnées à l'article 3 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 : "Le conseil d'établissement donne son avis et peut faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l'établissement, et notamment sur :

1° Le règlement intérieur relatif au fonctionnement de l'établissement ;

2° L'organisation intérieure et la vie quotidienne de l'établissement ;

3° Les activités de l'établissement, l'animation socio-culturelle et les services thérapeutiques;

4° Les mesures autres que celles définies au présent décret tendant à associer au fonctionnement de l'établissement les usagers, les familles et les personnels ;

5° L'ensemble des projets de travaux et d'équipement ;

6° La nature et le prix des services rendus par l'établissement ;

7° L'affectation des locaux collectifs ;

(...) Le conseil d'établissement doit être informé de la suite donnée aux avis et aux propositions qu'il a pu émettre".

381.

Article 4 : "les représentants des usagers et ceux des familles sont élus respectivement par les usagers et les familles au scrutin secret selon les modalités fixées par le règlement intérieur de l'établissement".

382.

ULPAT, A. (1997). La difficile mise en place des conseils d'établissement. Actualités Sociales Hebdomadaires, n° 2019, 18 avril. p. 19.

383.

Enquête CREAI/URIOPSS Rhône-Alpes.

2057 établissements et services relevant de l'accueil des enfants et adultes en difficultés, des enfants et adultes handicapés, et des personnes âgées ont été sollicités. 482 ont répondu. 7 réponses sur 10 concernent des structures ayant mis en place leur conseil d'établissement. Les résultats traduisent une difficulté plus grande du secteur enfants et adultes en difficultés à mettre en place les conseils d'établissement ou à les faire vivre. Au sein de ce secteur, seules 3 réponses sur 10 concernent des structures avec conseil d'établissement contre 8 sur 10 dans chacun des autres groupes.

Avant la mise en place du conseil d'établissement, il existait près d'une fois sur deux une instance participative pour les usagers, le plus souvent dénommée conseil de maison.

Sur les 140 institutions ne disposant pas de conseil d'établissement, 93 justifient cette absence par un choix délibéré et invoquent les mêmes raisons que les institutions qui ont essayé de créer un conseil sans y parvenir.

384.

ULPAT, A. (1997). ibid.

385.

Ce sont les articles 4, 5, 6 et 8 du décret qui étaient mis en cause par cette requête.

L'article 4 est cité dans une note précédente.

L'article 5 concerne les critères de candidature.

L'article 6 précise le mode d'élection des représentants du personnel.

L'article 8 porte sur le décompte horaire des représentants du personnel.

386.

VERDIER, P. (1997). Conseils d'établissement et droit des usagers. Journal du droit des jeunes, n° 165, mai. p. 39.