1.2.3 La synergie des processus

Nous avons retenu l'idée selon laquelle les différents pouvoirs d'agir, susceptibles d'être exercés se développent en synergie. Une telle dynamique exclut l'idée de lutte, la perspective que quelqu'un ait intérêt à chercher à exercer un pouvoir au détriment des autres. Envisager une synergie entre les différents processus de pouvoir d'agir, c'est admettre que " ‘des personnes peuvent développer leur pouvoir d'agir sans provoquer une réduction du pouvoir des autres’ " 408 .

A propos de ‘"la vulnérabilité de la jeunesse et de la famille, vue dans une perspective écologique’ ", Moncrieff Cochran privilégie la notion de transfert de pouvoir : c'est‘"un processus interactif impliquant à la fois du respect mutuel et une réflexion critique, par lequel tant les gens que les institutions et les corps constitués subissent des modifications de façon à permettre à ces personnes d'exercer un degré de contrôle plus élevé sur les forces qui exercent elles-mêmes de l'influence sur leurs efforts en vue d'atteindre ou de maintenir un statut d'égalité au sein de la société’ " 409 . Pour notre part, nous ne retenons pas l'expression "transfert de pouvoir". En effet, la référence au verbe "subir" induit l'idée de résignation alors que la notion de pouvoir d'agir s'appuie sur l'action volontaire. De plus, transférer nécessite de diminuer d'un côté pour augmenter d'un autre, dynamique incompatible avec celle de synergie.

S'agissant de lutte de pouvoirs, les membres de l'équipe éducative affaiblissent leur compétence professionnelle s'ils se substituent aux parents. En effet, dans ce cas, les conditions du retour de l'adolescent dans son milieu habituel ne sont pas travaillées. Ses relations avec ses proches ont alors de fortes chances de ne pas s'améliorer. De même, l'éducateur se déqualifie en cherchant à imposer à l'adolescent un but ou une manière de faire sans en expliciter les raisons. Dans ces deux situations, aucun protagoniste ne développe de pouvoir d'agir.

Raisonner en terme de synergie conduit, par exemple, à considérer que les intérêts respectifs, pour l'aide éducative, s'alimentent mutuellement. Ainsi, le développement, par l'adolescent, de son intérêt motive ses parents à s'intéresser aux interventions dans lesquelles ils ont une place à tenir. Cet engagement l'encourage alors à s'appuyer plus fermement sur le dispositif. Une forte implication des éducateurs dans leur activité professionnelle amplifie cet élan qui renforce conséquemment leur désir de poursuivre leur action.

La participation de plus en plus intense de l'adolescent aux interventions éducatives, peut inciter ses parents à s'engager dans celles qui les concernent. Inversement, que ceux-ci occupent leur place incite leur enfant à en faire de même. Cette dynamique repose sur celle qui est faite à chacun par les membres de l'équipe éducative : plus ces derniers favorisent une organisation adaptée à l'adolescent et ses parents, plus ceux-ci peuvent prendre conscience des effets de leur participation, en tirer profit et l'intensifier.

Pareillement, le développement, par l'adolescent, de compétences lui permettant d'améliorer la qualité de ses relations familiales et sociales, se réalise de pair avec celui, par ses parents, des compétences leur permettant d'être en relation avec lui, dans des conditions plus favorables que celles ayant motivé la mise en oeuvre du dispositif de suppléance familiale. Cette dynamique repose sur le développement, par les membres de l'équipe éducative, de leur compétence à proposer des situations autorisant une telle évolution.

Par ailleurs, l'adolescent et ses parents augmentent, sur un mode concomitant, leur estime personnelle. Ce mouvement est favorisé par l'accroissement, par les membres de l'équipe éducative, de leur confiance en leur compétence professionnelle qui est lui-même renforcé par l'accroissement de leur estime par l'adolescent et ses parents.

Il en est de même pour le développement d'une conscience critique par l'adolescent, ses parents et les membres de l'équipe éducative.

Envisageons, dans le chapitre suivant, les modalités de cette synergie au cours des décisions prises à propos de l'adolescent.

Notes
408.

SWIFT, C., LEVIN, G. (1987). op. cit. p. 76.

409.

COCHRAN, M. (1988). Faire face à la vulnérabilité de la jeunesse et de la famille : l'art de transférer le pouvoir dans une perspective écologique. Revue canadienne de santé publique, vol. 79. p. 18.