1.2 LA VERBALISATION DU VECU D'UNE ACTION SPECIFIEE

L'entretien d'explicitation ne porte pas sur une classe d'actions mais sur une action singulière et passée, une tâche réelle et spécifiée. C'est la condition pour que la personne reprenne contact avec cette expérience. L'intervieweur induit les conditions d'amorçage de ce processus en posant des questions visant à changer l'activité mentale de l'interviewé, à modifier son contexte sensoriel, et non à recueillir des données. Il convient d'aider le sujet à accéder à sa mémoire concrète en ne sollicitant pas sa mémoire consciente, en désamorçant tout enjeu et toute tension visant un effort conscient de rappel, en cherchant l'accès sensoriel fourni par l'interviewé lui-même. L'intervieweur guide celui-ci pour qu'il décrive l'action particulière qui s'est déjà déroulée et sur laquelle porte l'entretien. Il lui est demandé de laisser revenir des impressions, qui relèvent en effet de la sensorialité, et non des pensées. L'intervieweur se réfère à des indicateurs linguistiques et physiques. Quand l'interviewé est en évocation, dit ce qu'il est en train de revivre, explicite ce qui s'est réellement passé : il utilise le "je", parle au présent, utilise un vocabulaire spécifique, descriptif, concret, il ralentit son débit de parole, il décroche son regard. Il accorde alors plus d'attention à ce qu'il revit qu'à sa relation avec l'intervieweur. Une congruence s'établit entre le verbal et le non-verbal au niveau des expressions du visage, des attitudes physiques. Une gestuelle accompagne la mise en mots ; elle peut même la précéder ou s'y substituer. Dès que la personne sort de l'évocation, elle livre des informations déjà conscientisées, voire formalisées. Elle utilise un vocabulaire général.

L'entretien d'explicitation privilégie la verbalisation du vécu de l'action, "comment cela s'est-il déroulé ?", au détriment des autres domaines de verbalisation tels que l'imaginaire "comment aurait-il été possible de s'y prendre ?", et le conceptuel "explique-moi...".C'est un vécu qui est décrit et non une réalité. En effet, à partir d'une même situation, plusieurs vécus sont possibles selon l'éclairage privilégié. Si le vécu de l'action comporte lui-même de multiples facettes (émotionnel, sensoriel, aperceptif), l'entretien d'explicitation s'intéresse au déroulement procédural de l'action : il concerne la succession des actions élémentaires que le sujet met en oeuvre pour atteindre un but. La verbalisation du procédural nécessite de distinguer les informations relevant de ce registre, de celles appartenant au contexte dans lequel se déroule l'action, mais aussi de celles relevant du déclaratif (savoirs théoriques, réglementaires...), de celles renseignant sur l'intentionnel (buts, finalités, intentions...) ou des jugements (opinions, commentaires, croyances...). Pierre Vermersch 444 propose le schéma suivant pour présenter le système des informations satellites de l'action vécue :

Si des informations relevant de ces différents registres sont nécessaires à un moment donné pour éclairer le déroulement de l'action, l'intervieweur doit être vigilant à ce que leur verbalisation ne constitue pas une fuite du premier registre nécessitant une véritable implication de l'interviewé.

Les premières techniques visent à créer les conditions permettant la prise de conscience et les secondes ont pour but d'aider à produire une description précise, détaillée et fidèle du déroulement de l'action. L'entretien d'explicitation repose sur un mélange de directivité, mise en oeuvre pour conduire l'interviewé vers la position de parole incarnée, et de non-directivité pour laisser émerger les propres mots de l'interviewé et les informations qu'il est seul à détenir. Celui-ci ne doit pas être dérangé par le questionnement. Un des critères de réussite d'un entretien d'explicitation se manifeste par le peu d'attention de l'interviewé au questionnement.

L'intervieweur porte la responsabilité de commencer par mettre en place un contrat de communication et de faire vivre, tout au long de l'entretien, une dimension relationnelle satisfaisante. Le questionnement provoque l'accès à l'intimité psychique de la personne interviewée. Il est indispensable d'être respectueux des limites que celui-ci pose. Ainsi, le contrat de communication est-il renouvelé autant de fois que nécessaire. La qualité de l'échange repose aussi sur la synchronisation des deux personnes sur les plans des postures, des gestes, du rythme et du ton de la voix, du registre sensoriel employé. L'intervieweur initialise l'entretien. Il propose à l'interviewé de s'entretenir d'une situation vécue. Puis, il s'agit de focaliser l'échange, c'est-à-dire de déterminer et de limiter la partie de la situation qui va faire l'objet de l'entretien. Enfin, à travers l'élucidation, un "zoom" est réalisé sur un moment précis pour lequel il est important de mettre en lumière la succession détaillée des actions élémentaires.

L'intervieweur évite d'induire le conscientisé, d'utiliser le "pourquoi ?"qui renvoie à l'explicatif et désamorce le non réfléchi. Il propose des questions descriptives, privilégie l'expression des "quoi ?", "où ?", "comment ?", "quand ?",... Il suit le déroulement temporel de la suite des actions élémentaires : "par quoi avez-vous commencé ?", "qu'avez-vous fait ensuite ?", "par quoi avez-vous terminé ?",... Il désamorce les recherches trop directes en mémoire de l'interviewé, "ce n'est pas grave" , et les contourne par des relances, "et quand vous ne vous rappelez pas, que vous rappelez-vous ?". En effet, les expressions du genre "je ne sais pas"ne relèvent pas d'un fait mais d'un jugement. Il est peu probable que la personne n'ait aucun souvenir. L'intervieweur n'hésite pas à formuler des relances ericksonniennes et des formulations vides de contenu : "quand vous voyez ce que vous voyez, qu'est-ce que vous voyez ?". Il s'efforce de ralentir le débit verbal de l'interviewé pour lui faciliter l'accès à son expérience interne.

La description d'une action peut être envisagée selon différents niveaux de fragmentation. C'est à l'intervieweur d'accompagner l'interviewé dans le bon niveau d'explicitation.

Notes
444.

VERMERSCH, P. (1994) op.cit. p. 45.