2.2 LES INSTITUTIONS ET LES ADOLESCENTS PARTICIPANTS 449

Le "Relais Familial", la "Cordée" et la "Providence" ont donc accepté de collaborer à notre recherche.

"Le Relais Familial", association loi de 1901 créée en 1968, a ‘"pour but général de promouvoir, de gérer, d'animer des établissements destinés à recevoir des mineurs des deux sexes, privés temporairement d'un milieu familial normal. La vie des enfants reconstituera le plus possible l'atmosphère familiale’ " 450 . La maison d'enfants à caractère social (MECS) gérée par cette association accueille 35 enfants et adolescents âgés de 5 à 21 ans, placés généralement par fratrie. Ceux-ci, originaires de Savoie ou des départements limitrophes, sont confiés par le service départemental de l'ASE, soit en accueil provisoire, soit en garde. Leur séjour peut être prolongé par une prise en charge jeune majeur. L'institution est implantée dans la banlieue chambérienne. L'ambition affichée est de gérer de l'individuel dans un cadre collectif. Lieu de protection et de sécurisation dans un premier temps, le Relais Familial se veut aussi et surtout être un lieu de redynamisation permettant à des enfants, des adolescents, de jeunes adultes, d'affronter la vie sociale. Sur les dix dernières années, la durée moyenne du séjour au Relais Familial dépasse les six années.

Les enfants et adolescents sont répartis en trois groupes de vie, mixtes et verticaux, au niveau de l'âge. Quatre studios aménagés dans un bâtiment annexe, préparent les adolescents à vivre de façon plus indépendante. La scolarité, la formation professionnelle, les soins divers, sont assurés à l'extérieur de l'établissement par les dispositifs publics ou privés. Trois éducateurs spécialisés sont chargés de l'encadrement d'un des trois groupes. Les deux autres sont sous la responsabilité d'un moniteur-éducateur et de trois éducateurs spécialisés.

Dans le travail réalisé au Relais Familial, les familles ont une place. Le travail et le lien (psychothérapies, rencontres) avec elle constitue un souci constant, comme l'affirme la fiche technique de l'association. Au quotidien, chaque fois que possible, un échange doit permettre aux parents de prendre position, sur un calendrier de vacances, un projet scolaire, l'achat de vêtements...

Dans le même document, il est énoncé que le référent de l'ASE ou de la mesure d'AEMO est souvent sollicité. L'introduction de cette tierce personne dans la relation entre l'institution et les parents, répond à la nécessité de déjouer ou de dédramatiser les situations dans lesquelles la notion de rivalité bloque l'évolution du dialogue. Hors des périodes scolaires, il ne s'agit pas seulement de pallier une carence des familles mais de proposer des projets adaptés aux problématiques des uns et des autres (par exemple, des camps à thème, des séjours regroupant des fratries).

Fin 1999, trentre cinq enfants et adolescents étaient reçus au Relais Familial, dont trente et un dans le cadre d'une mesure de garde, trois en accueil provisoire et un en placement judiciaire. Il est à noter que vingt deux d'entre eux ne passent pas les week-ends en famille et ne rencontrent éventuellement leurs parents que dans un lieu tiers et protégé.

La Cordée, institution gérée par l'Association Départementale Savoyarde de Sauvegarde de l'Enfance et de l'Adolescence (ADSSEA), est constituée, à l'époque de ce recueil de données, de trois services implantés dans l'agglomération chambérienne : un accueil éducatif avec hébergement, un service d'accueil d'urgence "Interlude" et un dispositif d'accueil éducatif de proximité. L'institution possède l'habilitation Justice (ordonnance du 2 février 1945, et Décret du 18 février 1975, article 375 du Code Civil), celle de l'ASE (Décret du 7 janvier 1959, et Loi du 6 janvier 1986) et une Convention avec le Conseil Général du 23 septembre 1996. Nous ne présentons ici que l'accueil éducatif avec hébergement, où sont accueillies les deux adolescentes, Elsa, 17 ans, et Louise, 16 ans, qui ont accepté de participer à notre recherche.

La mission de l'accueil éducatif avec hébergement est d'" ‘accueillir des jeunes filles (de 13 à 21 ans) dont les familles sont, à un moment donné, en difficulté d'animer un projet de vie pour elles. Les symptômes manifestés dans cette situation sont liés à la rupture familiale (conflits, fugue, etc...), à la souffrance psychique (tentative de suicide, automutilation, prise de produits toxiques, etc...) et à la rupture sociale (échec scolaire, déscolarisation, conduites délinquantes, etc...’ )" 451 .

Les visées de l'accueil éducatif avec hébergement sont d'abord de " ‘réfléchir, en collaboration avec la famille, à la place de chacun, aux liens qui les unissent et les faire accéder à un travail de sens à partir de leur histoire", ensuite de "permettre l'expérimentation aux jeunes de la confrontation aux règles et du partage avec des adultes dans des espaces de vie différents", enfin de "favoriser l'émergence des ressources et des compétences de la jeune fille par un travail de reprise de confiance en soi et par l'inscription dans un processus valorisant de formation scolaire, professionnelle, culturelle, etc’ ." Ces objectifs sont sous-tendus par une finalité générale : ‘" faire participer la jeune fille à la construction progressive de son devenir’ " 452 .

A la Cordée, des lieux de vie différenciés correspondent à diverses étapes de l'accompagnement : "Eole" réunit un groupe de dix à douze adolescentes et cinq éducateurs pour faire connaissance, poser des repères, comprendre et construire un projet ; "El Hogar" et "le Cairn" accueillent douze jeunes filles dans deux appartements avec cinq éducateurs, pour poursuivre la construction des projets personnels ; "le Passage" est constitué d'un ensemble d'appartements, de studios et de chambres individuelles pour expérimenter une vie de plus en plus indépendante qui doit conduire quinze adolescentes à se prendre en charge dans la cité, avec l'aide de trois éducateurs. Une directrice et un chef de service coordonnent ce dispositif. Un psychiatre, deux psychologues, une infirmière et des conseillers techniques participent à l'encadrement technique de l'institution.

Fin 1998, vingt huit adolescentes étaient accueillies à la Cordée, dix huit en placement judiciaire, cinq dans le cadre d'une mesure de garde et cinq en accueil provisoire.

Située à Saint Jean de Maurienne, la Providence accueille 60 enfants, adolescents et jeunes majeurs, âgés de 3 à 21 ans, confiés par l'ASE ou par le tribunal pour enfants (Article 375 du Code Civil et Décret du 18 février 1975). Ceux-ci sont répartis dans 5 groupes de 10 à 12 enfants hébergés dans trois bâtiments. Une directrice, un chef de service, quinze éducateurs, une maîtresse de maison, trois veilleuses de nuit, une psychologue, entre autres, assurent l'encadrement du dispositif. Les axes principaux du travail sont la restauration des liens familiaux (place de l'enfant dans sa famille, projet personnel individualisé, rencontres avec les familles et les services accompagnants) et l'épanouissement individuel de chaque jeune en privilégiant la formation scolaire et professionnelle, nous indique la fiche de présentation de l'institution. Cette dernière privilégie " ‘l'existence d'un cadre éducatif ferme et sécurisant’ " 453 . Elle propose des activités de loisirs et de découvertes qui contribuent à l'épanouissement des jeunes, à leur ouverture sur le monde et sur l'environnement socio-économique régional.

Fin 1999, sur les cinquante trois enfants et adolescents accueillis à la Providence, vingt et un l'étaient dans le cadre d'une mesure de garde, seize en placement judiciaire et seize en accueil provisoire.

Pour des raisons déontologiques, les noms, prénoms, adresses et lieux de résidence ont été systématiquement transformés afin de rendre impossible l'identification des interviewés. Nous les appelons Elsa, Louise, François, Thomas et Maurice. Une présentation individualisée de chacun d'entre eux complète les renseignements portés dans le tableau suivant. Sauf indication contraire, les informations exposées couvrent l'ensemble de la période de recueil de données.

  François Elsa Louise Thomas Maurice
Age
(en mai 98)
17,5 ans 17 ans 16 ans 12 ans 13 ans
Institution Le Relais Familial La Cordée La Cordée La Providence La Providence


Type de placement
Garde ASE puis protection jeune majeur Mesure éducative TE

AEMO (jusqu'en août 98)
Mesure éducative TE

AEMO (jusqu'en janvier 99)
Accueil provisoire ASE Tutelle d'état avec délégation de compétence à l'ASE
Ancienneté dans l'institution en mai 98
4 , 5 ans

6 mois

6 mois

2, 5 ans

9 mois





Situation familiale
- Père et mère divorcés ;
- 1 soeur (21 ans)
- 2 frères (18 ans et 13 ans) placés au Relais Familial
- Père et mère en cours de divorce ;
- 1 demi-frère (10 ans) vivant avec la mère.
- Père et mère divorcés ;
- mère remariée ; 1 demi-frère et 1 demi-soeur.
- Mère élevant seul son fils. - Mère décédée.
- 1 frère (19 ans).
- 2 soeurs (17 ans et 11 ans) placées à la Providence.

En mai 1998, François, âgé de 17 ans et demi, est placé au Relais Familial depuis août 1993. Pendant les trois premiers mois, son placement en accueil provisoire est consécutif à la demande des parents. Puis, l'adolescent est confié, par l'ASE, à l'institution. Ce service assure une mesure de garde jusqu'à la majorité de François. Une aide jeune majeur permet ensuite à ce dernier de s'appuyer sur le Relais Familial jusqu'en novembre 1999.

Ses parents sont divorcés et résident tous deux dans un département voisin. Seul son père possède l'autorité parentale. Sa soeur aînée accueille régulièrement François au cours des week-ends ou des vacances. Ses deux frères, âgés de 14 et 19 ans, sont également placés au Relais Familial, le premier dans le cadre d'une mesure de garde à l'ASE, et le second dans celui d'un accueil provisoire jeune majeur.

Durant toute la période de recueil des données, François est hébergé dans un des studios du Relais Familial. Une assistante sociale du service de l'ASE, référente de la situation familiale, assure un lien entre l'institution et la famille. Alain, l'éducateur référent dans l'institution, accompagne l'adolescent avant et après sa majorité. Apprenti en maçonnerie, François obtient le certificat d'aptitude professionnel (CAP) en juin 1999.

En mai 1998, Elsa est âgée de 17 ans et fait partie du groupe "Eole". De septembre 1997 à décembre 1997, elle est placée en service d'accueil d'urgence puis à la Cordée, jusqu'en août 1998, par jugement d'assistance éducative. La mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), instaurée par jugement en août 1997, est maintenue jusqu'en août 1998 pour épauler Elsa, ses parents et son petit frère qui vit chez la mère. Il est précisé, dans l'ordonnance de placement, que "le droit de visite et d'hébergement du père et de la mère s'exercera en accord avec l'établissement, dit qu'en cas de problème il nous (juge) en sera référé" 454 . L'audience prévue en août 1998, n'a lieu qu'en décembre. Le placement de l'adolescente est alors reconduit jusqu'à sa majorité en mai 1999. La mesure d'AEMO est levée. On décide que l'hébergement d'Elsa est fixé chez son père. Rien n'est précisé à propos des périodes de week-ends et de vacances.

Les parents, en cours de procédure de divorce, vivent séparés. Jusqu'en juillet 1998, la jeune fille ne retourne en famille qu'un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. En revanche, de septembre 1998 à décembre 1998, elle passe en famille toutes les périodes de repos, fins de semaine et vacances. En décembre 1998, à la suite de l'audience judiciaire, il est décidé qu'Elsa ne sera hébergée seulement qu'une nuit par semaine à la Cordée et passera, chez son père, les autres soirées de la semaine. Ses week-ends seront organisés par ses deux parents. Durant l'année 1997-1998, elle est scolarisée en classe de troisième. L'année suivante, elle prépare un CAP tourisme et collectivité et obtient le diplôme en juin 1999.

Louise est âgée de 16 ans en mai 1998, lors de notre premier entretien. Ses parents sont divorcés depuis une dizaine d'années. A la suite de cette séparation, l'adolescente vit chez sa mère remariée. Deux enfants naissent de cette nouvelle union. Entre 1994 et le début de l'année 1997, plusieurs mesures d'assistance éducative (IOE, AEMO) sont ordonnées par jugement. Durant l'été 1997, la mère et ses trois enfants quittent le domicile familial pour rejoindre un centre d'hébergement. Quelques semaines plus tard, le beau-père de Louise vient reprendre ses deux enfants. Dans les jours suivants, sa femme revient au domicile familial. Louise, refusant de suivre sa mère, est reçue, durant une semaine, dans le foyer de l'enfance du département, où elle s'était réfugiée avec sa mère, avant d'être placée, par décision judiciaire, au service d'accueil d'urgence de Chambéry. L'adolescente séjourne deux mois dans ce service avant d'intégrer la Cordée, en novembre 1997 et pour une année, à la suite d'un jugement en assistance éducative. Une mesure d'AEMO, en faveur de la fratrie, est également instituée, pour six mois. Ce jugement précise que " ‘la poursuite de sa scolarité dans de bonnes conditions et la sécurité de (Louise) exigent qu'elle soit placée dans un établissement, les relations familiales devant par ailleurs faire l'objet d'un travail approfondi avec la jeune fille et ses parents’ " 455 . A propos des droits de visite et d'hébergement des parents, il est stipulé qu'ils ‘"seront organisés par l'établissement gardien sous le contrôle du Juge des Enfant’ s" 456 . En mai 1998, la mesure d'AEMO est renouvelée pour six mois. En janvier 1999, le placement de Louise à la Cordée est reconduit jusqu'à sa majorité, en mars 2000. La mesure d'AEMO est levée. Ce dernier jugement précise que "‘les droits de visite et d'hébergement des parents (sont) décidés à l'amiable’ " 457 .

Au cours de l'année 1997-1998, elle est scolarisée en classe de quatrième puis de troisième, l'année suivante. Elle prépare aujourd'hui un CAP d'esthéticienne. Durant le premier temps de ce recueil, l'adolescente vit au sein du groupe "Eole". En octobre 1998, elle quitte ce groupe pour faire partie du "Cairn", appartement de cinq jeunes filles. Louise est très proche de sa famille paternelle élargie. Elle séjourne régulièrement chez ses grands-parents ainsi que chez des tantes, avec lesquels le père entretient des relations difficiles.

Thomas, âgé de 12 ans et demi en mai 1998, est accueilli à la Providence, dans le cadre d'un accueil provisoire, depuis deux ans et demi environ au début de notre recherche. Il a auparavant passé dix huit mois chez une assistante maternelle. Mais cette aide a été suspendue à la suite de difficultés intra-familiales. La mère, employée saisonnière dans des stations de ski, élève seule son fils. Jusqu'à la fin de l'année 1998, l'adolescent passe la plupart de ses temps libres chez un ami de sa mère, que tout le monde considère comme un oncle de Thomas. Durant l'année 1997-1998, il est scolarisé en classe de cours moyen deuxième année, puis en 6ème pendant l'année suivante. Il est aujourd'hui en 5ème. Un éducateur spécialisé assure la référence de l'EJF, dans le cadre de la mesure d'accueil provisoire.

Maurice, âgé de 13 ans en mai 1998, est confié au service EJF, dans le cadre d'une tutelle d'état avec délégation de compétence à l'ASE. C'est au décès de leur mère, environ neuf mois avant le début de ce recueil de données, que l'adolescent, son frère de 19 ans et ses soeurs de 17 et 11 ans sont accueillis, en urgence, à la "Providence". Alors que les deux filles sont toujours placées dans cette institution, le frère aîné n'y est demeuré qu'un mois. Toute la fratrie s'est appuyée sur une mesure d'AEMO au cours de l'année précédent le décés de la mère, le père n'étant pas en mesure d'exercer son autorité parentale. Pendant l'année de nos rencontres, l'adolescent n'a pas de contact avec lui. Au cours des mois qui suivent l'accueil de l'adolescent et de ses soeurs à la "Providence", d'anciens voisins jouent le rôle de famille d'accueil pour la fratrie, à l'occasion de week-ends ou de périodes de vacances. Durant l'année scolaire 1997-1998, Maurice est en classe de 6ème, puis en 5ème l'année suivante. Il prépare aujourd'hui un Certificat d'Aptitude Professionnel Agricole (CAPA) en vue d'exercer une activité professionnelle dans le milieu équestre. C'est le même éducateur spécialisé que celui de Thomas qui assure, dans le cadre de la mesure de tutelle d'état, la référence de l'EJF.

C'est ainsi que, à partir de ces trois institutions et de ces cinq adolescents, nous avons constitué cinq sites pour organiser notre recueil de données. Des membres de la famille, des intervenants assurant une "double mesure" et d'autres personnes significatives dans la situation de chaque adolescent complètent éventuellement la composition de chaque site.

Dans chacun de ces sites, la "double mesure" mise en oeuvre nous offre l'opportunité d'étudier l'organisation des deux composantes du dispositif de suppléance familiale. Les membres de l'équipe de l'institution concernés par la situation de l'adolescent et l'intervenant assurant la "double mesure" constituent l'ensemble désigné par l'expression "membres de l'équipe éducative". Quant aux participants des équipes des différentes institutions, ils sont tous éducateurs spécialisés.

Notes
449.

A noter : avant la mise en place de ce protocole, nous n'avions pas eu de relations professionnelles avec les membres des différentes équipes éducatives concernées. Si nous ne connaissions pas les trois garçons, nous avions rencontré, plusieurs mois plus tôt, les deux filles, lors de leur accueil en urgence.

450.

Relais Familial (le). (1998). Fiche technique. Saint-Alban-Leysse : Document ronéotypé. p. 3.

451.

Cordée (la). (1998). Fiche technique. Chambéry : Document ronéotypé. p. 2

452.

Cordée (la). (1998). op.cit. p. 2.

453.

Providence (la). (1999) Fiche de présentation de l'établissement. Saint Jean de Maurienne : document ronéotypé. p. 1.

454.

Jugement en assistance éducative.

455.

Jugement en assistance éducative.

456.

Jugement en assistance éducative.

457.

Jugement en assistance éducative.