3.2.1 L'insuffisante mobilisation des parents

Traiter de la question de la mobilisation des parents nécessite de tenir compte du contexte dans lequel les décisions sont prises. Ainsi, l'équipe du Relais Familial a établi des priorités, estimant difficile de solliciter les parents au sujet de tous les actes qui engagent leur autorité. Les éducateurs cherchent à les mobiliser à propos de la scolarité d'abord, puis de la vêture, enfin du coiffeur. L'organisation des week-ends et des vacances ne constitue pas une priorité. Dans la plupart des situations, on applique ce qui est notifié par le service de l'ASE. Pour François, devenu majeur au cours de notre recueil de données, les sollicitations de l'équipe envers sa mère portent principalement sur son petit frère de 14 ans, placé dans cette même institution. Quant au père, l'équipe tient compte de sa santé fragile dans les demandes qu'elle lui adresse. Nous avons précédemment noté qu'il a toujours répondu favorablement aux invitations du Relais Familial et qu'il a reçu François au cours de toutes les périodes prévues.

Si le père d'Elsa a été invité à quatre reprises, la mère ne l'a été que deux fois. Celle-ci connaissait en effet une situation personnelle difficile au moment des deux autres périodes de vacances et les relations avec sa fille étaient tendues. Les éducateurs s'en sont tenus aux informations de l'adolescente.

Le père de Louise, lui, ne vit pas à Chambéry et l'équipe du groupe Eole, au sein duquel sa fille a passé une année, ne l'a jamais rencontré. Il n'a pas donné suite aux courriers l'invitant à découvrir l'institution. Il n'a pas été contacté pour élaborer l'organisation des vacances de sa fille. Les éducateurs, régulièrement en relation téléphonique avec les grands-parents paternels de l'adolescente, ont donc limité leurs contacts à ces interlocuteurs. Toutefois, il a fait connaissance, en janvier 1999, d'un éducateur de l'appartement du Cairn lors de l'audience au tribunal. De son côté, la mère de Louise n'a pas été sollicitée lors de l'organisation de deux des périodes de congés.

De ces différentes situations se dégagent deux modes de mobilisation des parents : soit l'équipe éducative a adopté, tout au long de cette année, une procédure stable, soit elle a tenu compte du caractère évolutif de la situation pour moduler sa démarche.

Dans les cas ci-après, l'équipe éducative a mis en oeuvre une démarche relevant du premier type. Ainsi, au cours des quatre élaborations, l'équipe du Relais Familial n'a pas cherché à mobiliser les parents de François. Pour sa part, l'équipe de la Cordée n'a pas sollicité le père de Louise afin d'organiser les vacances de sa fille. Quant à l'équipe de la Providence et au référent EJF, ils ont systématiquement favorisé la participation de la mère de Thomas.

A travers ces situations, on voit poindre le danger d'enfermer l'autre dans une représentation sans lui laisser la moindre chance de s'en dégager. A l'issue de la période difficile, celui-ci peut avoir encore des "comptes à rendre" même s'il est parvenu à dépasser les obstacles rencontrés. Anne-Marie Favard parle alors de logique "passéiste, contemplative et étiologique" 469 , insistant sur la nécessité de s'appuyer sur une information dynamique et situationnelle pour décider. Ainsi, lorsque la relation entre une personne et un intervenant n'évolue pas comme souhaité, les informations que ce dernier transmet à ses collègues risquent de focaliser sur les aspects négatifs de cette relation. Il est donc difficile, à partir d'informations reçues, de juger de la capacité des parents à participer et de l'intérêt à les solliciter.

L'absence de sollicitation équivaut à signifier à la personne son incapacité. Ce qui provoque, selon John Lord 470 , un effet dévalorisant sur la façon dont elle se perçoit, et limite tant ses capacités que sa volonté de prendre des initiatives. La non mobilisation des parents accentue leur attitude de résignation, et renforce leur sentiment de ne posséder aucune compétence à propos de l'éducation de leur enfant. D'où la nécessité de les solliciter systématiquement en postulant leur capacité à répondre positivement. C'est donc bien la prise en compte de leurs forces et de leur fragilités, comme le met au jour notre "modèle", qui fonde le mode de sollicitation. Nous avons précédemment souligné que la mobilisation autour des décisions relatives à l'organisation des vacances ne saurait être considérée isolément des autres aspects de l'intervention. L'étude des articulations entre les deux composantes du dispositif de suppléance familiale nous a permis de repérer deux défauts entravant la mise en oeuvre des conditions susceptibles de favoriser la mobilisation parentale : la non-participation de l'intervenant assurant la "double mesure", et l''adoption d'un point de vue unique par les membres de l'équipe éducative.

Notes
469.

FAVARD, A-M. (1992). op. cit. p. 27.

470.

LORD, J. (1991). op. cit. p. 20.