3.5 UNE CONDITION ENTRAVANT LA DETERMINATION DU CHOIX, PAR LES PARENTS : L'ABSENCE DE RECOURS AU JUGE

L'exercice "par défaut" d'un pouvoir de décision, par les parents, dans un certain nombre de prises de décision, nous amène à déduire que ce sont les conditions favorables à l'exercice d'un pouvoir basé sur l'argumentation qui ont manqué. Nous avons précédemment analysé les conséquences de l'absence de mobilisation de certains parents qui n'ont alors pas été en mesure d'exercer leur autorité.

Sur les vingt prises de décisions étudiées, nous n'avons relevé qu'un seul désaccord entre les parents et l'équipe éducative. Il s'agit de l'organisation imposée aux parents d'Elsa pour les vacances de Pâques 1998 où les intervenants ont commis un abus de droit, malgré l'éventuelle pertinence de leur analyse. Ils ont contraint la famille à adopter leur planning sans informer le juge des enfants habilité à trancher entre les points de vue. De telles situations légitiment le recours au magistrat, rarement sollicité pour de tels contentieux, selon les observations de Michel Huyette, juge des enfants. Dans le cas évoqué, il est vraisemblable que Elsa et ses parents pressentaient leur totale liberté lors de la mise en oeuvre du choix. L'adolescente a argumenté habilement pour amener l'éducateur à organiser le retour de camp selon ses convenances. Contrairement à l'équipe éducative, les parents n'avaient donc aucune raison de saisir le juge.

Cet abus de pouvoir des intervenants reflète leur négation de l'expertise des parents, qui se sont référés aux conditions professionnelles du père pour étayer leur point de vue. De leur côté, les intervenants ont mis en avant les relations conflictuelles du couple et la nécessaire protection de l'adolescente. Ils avaient déterminé leur choix avant la réunion elle-même, qui n'avait pour objectif que d'annoncer aux parents la position de l'équipe de la Cordée et de l'assistante sociale assurant l'AEMO. Il n'a donc pas été question de l'articulation de deux expertises. La seule concession faite aux parents a porté sur l'ordre des séjours.

Aucune des autres prises de décision n'a donné lieu à une telle divergence de points de vue entre les protagonistes et la détermination du choix n'a pas provoqué de conflit entre eux.

On peut conclure que la programmation de l'élaboration de la décision, en même temps que la prise en compte du point de vue de l'adolescent et de son réseau social ont favorisé sa participation et celles de ses proches au processus décisionnel. La sollicitation systématiquement des parents leur a permis d'exercer leur pouvoir de décision. Il apparaît donc que l'implication de la famille dans l'analyse et la résolution de la situation à partir de l'institution et d'une référence dégagée du collectif enrichit la problématisation. En revanche, l'absence de l'intervenant assurant la "double mesure" ou l'indifférenciation de l'analyse respective des deux composantes du dispositif de suppléance familiale entrave l'exercice de l'autorité parentale. La carence ou la faiblesse d'un lien entre l'équipe éducative et les personnes concernées fait obstacle à la négociation. Le défaut de recours au juge, en cas de désaccord entre détenteur de l'autorité et éducateurs, entraîne ces derniers à abuser de leur position. Leur manque d'intérêt pour l'évaluation de l'élaboration et de la mise en oeuvre des choix n'autorise pas une valorisation de l'engagement des participants au processus décisionnel.

La référence au pouvoir d'agir est susceptible d'aider l'équipe éducative à combler les carences mises ici en relief et à affermir les points forts.