§ 2 : La théorie institutionnelle en droit positif.

17. L’approche de l’entreprise par le droit positif permet d’affirmer que le législateur n’est pas insensible à la conception institutionnelle. Ainsi a-t-on pu relever la proximité du ’’modèle d’entreprise décelable dans les textes issus des lois Auroux’’ et de ’’celui qui décrit la théorie institutionnelle’’ 51 . Affirmer l’idée de citoyenneté dans l’entreprise suppose en effet que celle-ci fonctionne dans l’intérêt de tous les acteurs qui la composent. La réforme Auroux postule la nécessité d’accorder les intérêts opposés pour ’’les biens de tous’’ 52 .

L’obligation à la charge de l’employeur de présenter un bilan social annuel au comité d’entreprise est également rattachée, par certains auteurs, à la conception institutionnelle de l’entreprise.

Si l’on considère l’obligation de l’employeur de fournir aux salariés des informations leur permettant d’apprécier la situation de l’entreprise, la conception purement patrimoniale et financière de l’entreprise cède peu à peu devant une conception de celle-ci où l’aspect proprement humain est désormais… pris en compte 53 .

L’article L.122.12 du code du travail relatif à la modification de la personne de l’employeur participerait du même esprit en rattachant les contrats de travail à l’entreprise elle-même.

18. Quant à la jurisprudence, la référence constante à l’intérêt de l’entreprise démontre sa perméabilité aux analyses institutionnelles 54 . Ainsi, le pouvoir disciplinaire et le pouvoir de direction de l’employeur doivent-ils être exercés dans l’intérêt de l’entreprise, ce qui laisse supposer que ce dernier est distinct de celui de l’employeur. La portée de cette référence sur l’exercice du pouvoir de direction sera analysée lorsque nous aborderons le contrôle du pouvoir patronal.

19. Le droit du travail n’est pas le seul à s’inspirer de la théorie institutionnelle. Selon M. Despax, le droit des biens, celui des obligations, des personnes, ainsi que le droit des sociétés et le droit fiscal prennent tous en compte, à des degrés divers, l’entreprise, sujet de droit distinct de la personne juridique de l’employeur 55 .

A l’appui de son affirmation, l’auteur cite les dispositions relatives à la participation des salariés dans les conseils d’administration des sociétés, le droit de la participation et de l’intéressement, ou encore, les règles du droit successoral et le régime des entreprises en difficultés.

20. Si l’entreprise apparaît bien comme une collectivité organisée par le droit, si certaines règles peuvent paraître s’inspirer ou s’inspirent effectivement de la théorie institutionnelle, l’entreprise ne saurait cependant être qualifiée de communauté d’intérêts. En effet, la représentation de l’entreprise comme entité détachée de la logique du profit ne paraît pas juridiquement fondée, elle constitue plutôt un moyen d’attribuer une fonction sociale à l’entreprise et de ’’convaincre des bienfaits du libéralisme’’ 56 .

Juridiquement, la société est au service de ses membres, associés ou actionnaires et la quête du profit demeure la cause de la réunion de ces derniers. Aussi, que sur des points limités apporteurs de capitaux et salariés acceptent, même durablement, de considérer que leurs intérêts convergent, n’établit pas que leur but soit identique, ni qu’ils aient renoncé à faire prévaloir leurs intérêts propres. Simplement, les concessions réciproques sont inhérentes à toute vie de groupe sans pourtant que l’on puisse parler de communauté d’intérêts.

Notes
51.

A. Jeammaud, Droit du travail 1988, Des retournements plus qu’une crise, Dr. Soc., 1988, p.583.

52.

G. Borenfreund, La représentation des salariés et l’idée de représentation, Dr. soc., 1991,
p.685, voir p.688.

53.

M. Despax, L’évolution du droit de l’entreprise, op. cit., p.177.

54.

G. Couturier, L’intérêt de l’entreprise, in Les orientations sociales du droit contemporain,Ecrits en l’honneur de J. Savatier, Paris, PUF, 1992, p.192.

55.

Voir sur ce point M. Despax, L’évolution du droit de l’entreprise, op. cit., p.177.

56.

G. Lyon-Caen et A. Lyon-Caen, La doctrine de l’entreprise, op. cit., p.600.