§ 1 : Positions patronales.

22. A l’origine des associations professionnelles patronales, il y a la nécessité de représenter et de défendre les intérêts patronaux face aux autres grands acteurs économiques et sociaux : l’Etat et les syndicats ouvriers. Ainsi, le CNPF a-t-il été fondé en 1946 pour instituer l’unité des chefs d’entreprises contre un mouvement ouvrier assez puissant et une administration d’Etat dirigiste. Certes, aujourd’hui, notre société ne peut plus être utilement définie comme une société bipolarisée où dominerait le conflit ouvriers-employeurs. Elle comporte une vaste classe moyenne fortement diversifiée, à côté du groupe assez réduit des entrepreneurs et de celui, plus important, des marginaux et des exclus. Dans l’ensemble de la population française, l’identification à la classe ouvrière s’affaisse au profit d’une identification à la classe moyenne. Cette évolution tient à plusieurs facteurs. Le nombre des ouvriers diminue à partir de 1975 et est dépassé par celui des employés au début des années 1990. Dans le même temps, l’originalité sociale du monde ouvrier tend à disparaître en raison des transformations urbaines, du développement de la consommation de masse et de l’homogénéisation des styles de vie. Enfin, les grandes concentrations ouvrières ont subi les premières l’apparition du chômage et les transformations de l’emploi 57 . Ces évolutions ne sont pas synonymes de disparition du monde ouvrier mais de transformations profondes de la condition ouvrière qui se développe aujourd’hui dans le secteur tertiaire du fait de la prolétarisation de certaines catégories de salariés 58 . Cette recomposition du salariat ne permet cependant pas de déduire une homogénéisation de la société fondamentale 59 . Et, on ne peut conclure aujourd’hui à l’existence d’une société consensuelle à l’intérieur du monde du travail, à l’avènement de ’’l’entreprise–communauté’’. Les évolutions qu’a connu le patronat n’ont pas effacées ses objectifs premiers : veiller au plein accomplissement du programme libéral, revendiquer l’extension des libertés de gestion et donc défendre ses intérêts et son pouvoir. Certes, les revendications et les intérêts des chefs d’entreprises sont divers du fait même de l’hétérogénéité du groupe social 60 . En effet, les entreprises diffèrent par la taille, le métier, la nature du capital (personnel, actionnariat étranger) mais aussi par le degré d’autonomie, le rapport à l’économie mondiale (secteur concurrencé, protégé, secteur en expansion , en déclin ...). L’origine sociale du chef d’entreprise, son capital culturel, relationnel et politique sont également à prendre en compte.

Le chiffre d’affaires et la taille de l’entreprise introduisent ’’les plus forts clivages dans le monde patronal’’ 61 dans la mesure où les deux critères opposent en général patrons-propriétaires et managers.

24. La suppression d’emploi n’est donc pas toujours synonyme de mauvaise santé de l’entreprise. Ce peut être un acte de gestion normale, l’entreprise se jugeant d’autant plus performante qu’elle sait ajuster ses effectifs. Enfin, la place de l’entreprise dans le financement de la rémunération du travail tend à se réduire, entraînant une réduction de sa responsabilité sociale. En effet, de nombreuses réformes ont conduit à remettre en cause les règles relatives à la rémunération du travail qui se caractérisent par la prise en compte dans le salaire de périodes de non travail et de risques sociaux ainsi que du besoin de consommation. Aujourd’hui, de plus en plus nombreuses sont les situations où l’Etat prend en charge des prestations auparavant assurée par l’entreprise et dans lesquelles ’’la frontière entre rémunération du travail et prestations sociales devient de plus en plus poreuse’’ 72 . Ainsi, au nom d’un allégement du coût du travail jugé nécessaire à la lutte contre le chômage, une partie des cotisations sociales est prise en charge par le budget de l’Etat (exonération sur les bas salaires). De même, un nombre important de salariés perçoit un demi-SMIC dans le cadre d’emplois à mi-temps, ce qui détruit le rapport entre intégration sociale et travail.

Pour ce faire, la loi contre l’exclusion étend les possibilités de cumul entre minima sociaux et revenus d’activité. Ces évolutions tendent à transformer radicalement la logique du système de rémunérations du travail en ne faisant supporter aux entreprises que le prix réel du travail, l’Etat prenant en charge les compléments de revenus au titre de la solidarité nationale. Ce désengagement des entreprises va à l’encontre de l’idée de citoyenneté tant il est porteur d’exclusion et d’aggravation des inégalités. Ainsi, la qualité d’entreprise citoyenne revendiquée par certains résiste mal à l’analyse des faits, les engagements concrets de participation à l’intégration sociale, de création et de maintien des emplois restent lettre morte.

Derrière ce séduisant concept d’entreprise-citoyenne, la main-d’œuvre reste une ’’variable d’ajustement’’ parmi d’autres. De fait, loin de présenter l’image d’une communauté, l’entreprise demeure un lieu de confrontation d’intérêts. Les nouveaux statuts du MEDEF (Mouvement des entreprises de France), en réaffirmant fortement les ambitions patronales, viennent renforcer cette représentation de l’entreprise. La réforme des statuts et du règlement intérieur du MEDEF a été adoptée le 27 octobre 1998. Le président du mouvement, M.E.A. Seillière, a insisté sur le credo libéral de l’organisation patronale. La mission assignée au MEDEF est de promouvoir l’esprit d’entreprise et, si les salariés doivent être davantage associés au développement et à la performance des entreprises, c’est pour mieux partager l’objectif de rentabilité économique.

Notes
57.

Voir G. Noiriel, Les ouvriers dans la société française, coll. Points, éd. du Seuil, 1986.

58.

Voir S. Beaud, M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, éd. Fayard, 1999 (enquête auxusines Peugeot de Sochaux – Montbéliard).

59.

T. Andréati, La recomposition du salariat, in Le monde du travail, op. cit., p.75.

60.

J. P. Jacquier, Les clés du social en France, éd. Liaisons, 1998.

61.

J. Bunel, Le patronat français, in Le Monde du travail, op. cit., p.401.

72.

P. Volovitch, Qui doit rémunérer le travail ?, Dr. soc., 1999, p.326.