§ 2 : le choix du contenu du contrat de travail.

31. Dans le contrat de travail, l’employeur peut insérer diverses clauses spécifiques afin d’ajouter des sujétions particulières à la charge du salarié. L'usage de ces clauses concourt à un resserrement de la subordination du salarié.

Différents éléments du contrat de travail peuvent faire l'objet de l'accord contractuel. Clauses de non-concurrence, clauses prévoyant une période d'essai ou bien encore clauses de mobilité géographique ou professionnelle sont de celles que l’on rencontre dans le contrat du travail. Elles procurent à l'employeur plus de souplesse dans la gestion de son personnel. Ainsi, l'introduction dans le contrat de travail d'un salarié, d'une clause de mobilité donne-t-elle,’’ a priori’’, à l'employeur la possibilité, pour des raisons de service, de muter le salarié sans que ce dernier puisse s’opposer à cette décision 95 . La mutation peut s'accompagner d'autres modifications, les horaires de travail par exemple, que le salarié devra accepter 96 . L’application de la clause de mobilité pourra cependant être mise en échec si le salarié rapporte la preuve d’un abus de droit 97 ou s’il est fondé à opposer un droit de la personne ou une liberté fondamentale 98 . D'autres clauses en plein essor, notamment dans les secteurs du transport et de l'informatique, font obligation au salarié, en contrepartie d'une formation assurée par l'entreprise, de rester à son service pendant une certaine durée, et, en cas de démission, de rembourser l'employeur des frais de formation tandis que l'employeur est en droit de rompre le contrat pendant la durée d'amortissement de la formation 99 .

La Cour de Cassation a admis la validité de ces clauses qui, selon elle, ne s'analysent pas en une interdiction de rompre mais tendent seulement à assurer à l'employeur le bénéfice de la formation. Le contrat fait alors supporter aux salariés tout ou partie du coût de la politique de l'emploi de l'entreprise.

Les clauses d’objectifs se rencontrent dans le secteur de la vente et de la prospection. Auparavant, ce type de clause offrait à l’employeur un pouvoir que la pratique judiciaire lui refusait dans le cadre de son pouvoir de direction. En effet, il suffisait à l’employeur d’établir un écart entre résultats et prévisions contractuelles, sans qu’il lui soit nécessaire de démontrer le lien de causalité entre l’insuffisance de résultats constatée et la qualité du travail du salarié. Se fondant sur l’article 1134 du code civil, la Cour de cassation décidait que ’’l’insuffisance de résultats obtenus par un salarié chargé de commercialiser des produits de l'entreprise par rapport aux quotas prévus à son contrat constitue, sauf abus de la part de l’employeur, une cause réelle et sérieuse de licenciement, peu important que cette insuffisance soit liée à l’état du marché et que la situation économique rende souhaitable la recherche par l’employeur de moyens de vente plus efficaces’’ 100 . Alors qu’en l’absence de stipulations contractuelles l’employeur qui fonde sa décision de licenciement sur un défaut de résultats doit démontrer une insuffisance avérée d’activité de la part du salarié 101 , le défaut de réalisation des objectifs contractualisés constituerait en elle-même une cause réelle et sérieuse de licenciement.

A ce jour, la Cour de Cassation considère que la seule insuffisance de résultats ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement et ce, quelle que soit la source des objectifs non atteints 102 . L’employeur ne peut plus ’’se retrancher derrière l’application pure et simple des stipulations contractuelles’’ 103 . D’une part, le salarié peut établir que les objectifs fixés ne sont ni sérieux, ni réalisables, et, d’autre part, l’insuffisance de résultat ne constitue pas une cause réelle et sérieuse si elle s’explique par des circonstances étrangères à l’activité du salarié 104 . La clause d’objectif est donc un indice permettant à l’employeur d’établir une insuffisance de résultats mais ne suffit plus à elle seule à justifier un licenciement.

Nombreuses sont les clauses qui naissent du désir des employeurs de se soustraire aux rigidités qu'ils imputent au code de travail 105 . En convenant avec le salarié que tel aspect de sa situation n'est pas substantiel, l'employeur se ménage une position favorable au regard de la jurisprudence relative aux modifications des conditions de travail. Le salarié ne pourra s'opposer utilement à ce qui a été initialement prévu entre les parties sans commettre un acte d'insubordination dans lequel l'employeur aura le loisir de voir une faute grave.

Certains contrats de travail correspondant à des postes hautement qualifiés ou des activités spécifiques, comme le sport professionnel ou des activités scientifiques ’’pointues’’, comportent des clauses favorables aux salariés. Il s'agit pour l'employeur "d'organiser la fidélité de l'entreprise envers le travailleur plutôt que la fidélité à l'entreprise de ce dernier" 106 . Deux types de clauses permettent d'assurer une certaine prévisibilité concernant l'avenir des relations contractuelles. Les clauses de stabilité de l'emploi offrent au salarié une sécurité pendant un temps donné durant lequel le droit commun de la résiliation unilatérale est écarté. La violation d'une telle clause oblige l'employeur à indemniser le salarié du solde des salaires restant dus jusqu'au terme de la période garantie 107 . Les clauses de garantie d'emploi sont parfois assorties d'une clause pénale fixant le montant de l'indemnité due par l'employeur en cas de non respect de ladite clause. Le droit de l'employeur de rompre le contrat de travail peut également être partiellement paralysé par l'insertion d'une clause indemnitaire. Une telle clause prévoit qu'il sera alloué au salarié, en cas de rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur, une indemnité. Le rattachement de ce type de stipulation au régime de la clause pénale permet aux juges en vertu de l'article 1152 du code civil de modérer ou de majorer l'indemnité.

Les clauses contractuelles doivent être appliquées dés lors qu’elles sont claires et précises 108 . Par contre, les juges du fait détiennent un pouvoir souverain d’appréciation pour interpréter les clauses dont le sens est équivoque 109 .

Librement conclu, le contrat de travail est à priori librement rompu. L’article L.122-4 du code du travail affirme le droit à l’employeur et au salarié de résilier unilatéralement le contrat de travail lorsque celui-ci a été conclu pour une durée indéterminée. Les dispositions légales ou conventionnelles ne peuvent priver l'employeur du droit de se séparer du salarié. Les règles de procédure et les règles substantielles ne viennent qu'encadrer l'exercice de ce droit sans remettre en cause le principe selon lequel la liberté pour l'employeur de mettre fin au contrat de travail est d'ordre public.

La liberté contractuelle permet donc à l’employeur de définir assez précisément les modalités de la subordination du salarié.

Notes
95.

Cass. Soc., 30 septembre 1997, D. 1997, IR, 216 ; Dr. Soc., 1997, p.1094, obs. Rey.

96.

Cass. Soc., 30 septembre 1997, op. cit.

97.

Cass. Soc., 18 mai 1999, Dr. Soc., 1999, p.734.

98.

Cass. Soc., 12 janvier 1999, Dr. Ouvr., 1999, p.254, note P. Moussy (il s’agit en l’espèce du droit au libre choix du domicile personnel et familial).

99.

Cass. Soc., 19 mars 1987, Bull. n°176, p.111.

100.

Cass. Soc., 18 mars 1986, Bull. V, n°86.

101.

Cass. Soc., 29 septembre 1993, Jurisprudence sociale UIMM, p.55.

102.

Cass. Soc., 30 mars 1999 ; Cass. Soc., 7 avril 1999, Liaisons sociales, Juris. Actua. du
20 mai 1999, n°631.

103.

J.E. Ray, Qui dit contractuel dit juste, la contractualisation des objectifs, Liaisons sociales, Magazine, septembre 1998, p.64.

104.

Cass. Soc., 19 novembre 1997, Liaisons sociales, Juris. Hebdo n°7785 du 12 janvier 1998.

105.

cf. A. Jeammaud, Les polyvalences du contrat de travail, in "Les transformations du droit dutravail", études offertes à G. Lyon-Caen, Paris, Dalloz, 1989, p.310.

106.

J. Savatier, Les garanties contractuelles de stabilité d'emploi, Dr. soc. 1991, p.413.

107.

Cass. Soc., 27 octobre 1998, Liaisons sociales du 9 novembre 1998, n°603.

108.

P. Waquet, Le renouveau du contrat de travail, RJS 5/99, p.383, voir p.390.

109.

Cass. Soc., 10 mars 1998, p.492, Obs. M. Barthélémy.