Section 3 : La subordination.

32. L'avènement de la liberté du travail, avec le décret d’Allarde de 1791, avait permis au contrat de régir à lui seul l'ensemble des rapports de travail. Dans le Code civil de 1804, il s'agissait du contrat de "louage de service". Par la suite, l'expression "contrat de travail" a été préférée par les auteurs, les juges et le législateur. Depuis la loi de 1973, on ne doit plus parler que de contrat de travail. Il y avait, en effet, quelque chose de choquant dans le terme de louage car, comme l'écrit M. G. Lyon-Caen " Le rapport employeur-salarié n'est pas un rapport d'échange donc n'est pas un louage ..... Le travail n'est pas un bien car il n'y a pas de louage d'un corps avec jouissance reconnue aux locataires" 110 . Une position différente a cependant été défendue, en particulier par M. A. Supiot qui considère que le salarié est engagé dans sa personne et dans son corps 111 . Le caractère inaliénable des droits fondamentaux de la personne 112 , et au premier chef son intégrité physique, s’oppose à cette conception.

Le modèle contractuel étant fondé sur la fiction de deux parties idéalement libres, égales et aptes à aménager les rapports de travail en toute équité, une partie de la doctrine s’est attachée à démontrer le caractère subsidiaire du contrat de travail dans les relations employeur salariés.

Certains auteurs ont voulu montrer que l'évolution de la situation des salariés résultant de certains progrès du droit du travail se traduisait par un passage du contrat au statut, le statut signifiant un ensemble de dispositions générales qui s'imposent pour toute une catégorie de salariés. Ainsi, le droit du travail aurait-il absorbé le contrat. Cette conception a été défendue par G. Scelle pour qui le contrat devait être analysé comme "un acte conditionnel déclenchant sur un individu l'application d'un certain statut, le soumettant à une certaine loi, la loi de l'usine" 113

De même, G.H. Camerlynck a présenté le mécanisme du licenciement comme ayant cessé d'être un mécanisme contractuel pour faire partie intégrante d'un ’’statut professionnel’’ 114 .

D’autres auteurs ont présenté l’entrée du salarié dans la collectivité de travail que constitue l’entreprise comme créatrice ’’d’une relation de travail’’, d’un ’’lien d’entreprise’’ sur lesquels il conviendrait de reporter une partie au moins du rôle traditionnellement dévolu au contrat. Ainsi, pour P. Durand, la relation de travail constituait-elle un fait déclenchant, indépendamment du contrat, pour l’application des règles du droit du travail 115 .

Selon A. Brun, c’est ’’le lien d’entreprise’’ venant se superposer au lien contractuel entre salarié et employeur qui expliquait les règles assurant la stabilité de l’emploi 116 .

D’autres encore parlent de ’’relation d’occupation’’ pour désigner les rapports entre employeur et salariés régis par la loi et non plus par la volonté contractuelle 117 .

Ceci étant, si personne aujourd'hui ne peut soutenir que l'entreprise se réduit à "l'ensemble des contrats de travail" 118 , il reste que l'entreprise ne saurait représenter une communauté, faute de considérer le salarié comme un de ses membres. Aussi, la prééminence du contrat de travail est-elle défendue pour expliquer les rapports existants entre employeur et salarié.

Les relations de travail sont organisées autour du contrat de travail. Celui-ci est la source de la qualité de salarié et, par conséquent, celle du pouvoir patronal de direction des personnes. L’état du droit actuel, notamment le régime auquel est soumis une éventuelle modification du contrat, atteste de l’importance accordé au contrat de travail et, pour certains, du ’’renouveau du contrat de travail’’ 119 .

La qualification de contrat de travail est d’ordre public et les volontés individuelles ne sauraient l’exclure. Il appartient aux juges d’interpréter les contrats et de leur ’’restituer leur véritable nature juridique, la seule volonté des intéressés étant impuissante à soustraire des travailleurs au statut social découlant nécessairement des conditions d’accomplissement de leur tâche’’ 120 . De même, lorsqu’un contrat, initialement qualifié de contrat de travail, ne répond pas aux conditions de formation de ce type de contrat, les juges rétabliront la qualification juridique exacte. Ces conditions de formation sont au nombre de trois : travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération 121 . Caractéristique du contrat de travail, le lien de subordination répond à des critères objectifs fixés par la Cour de cassation 122 .

Notes
110.

G. Lyon-Caen, Défense et illustration du contrat de travail, Archives de philosophie dudroit, n°13, 1968, p.14.

111.

A. Supiot, Le juge et le droit du travail, Th. Bordeaux I, 1979, p.67 ; Critique du droit du travail, PUF, Les voies du droit, 1994, p.51 ; voir aussi M. Fabre-Magnan, Le contrat de travail défini par son objet, in Travail en perspectives, ss. direction A. Supiot, LGDJ, 1998, p.101.

112.

J. Savatier, La liberté dans le travail, Dr. soc., 1990, p.49., voir p.56.

113.

G. Scelle, Le droit ouvrier, A. Colin, 2° éd., 1929, p.109 et suiv., p.168 et suiv.

114.

G.H. Camerlynck, De la conception civiliste du droit contractuel de résiliation unilatérale à la notion statutaire de licenciement, JCP 1958, I, p.1425.

115.

P. Durand (en collaboration avec A. Vitu), Traité de droit du travail, Paris, Dalloz, 1956,T.2, n°548.

116.

A. Brun, Le lien d’entreprise, JCP 1962, I, 1719.

117.

R. Savatier, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui,
3ème éd., 1964, n°86.

118.

G. Lyon-Caen, Manuel de droit du travail et de la sécurité sociale, Paris, LGDJ, 1955.

119.

P. Waquet, Le renouveau du contrat de travail, RJS 5/99, p.383.

120.

Cass. Ass. Plén., 4 mars 1983, D. 1983, p.381, concl. J. Cabannes.

121.

G. Couturier, Droit du travail, T.1, 2ème éd., PUF, p.94, (’’Il y a contrat de travail quand une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la subordination d’un autre moyennantrémunération’’).

122.

Cass. Soc., 13 novembre 1996, Bull. civ., V, n°386, RJS 12/96, n°1320.