§ 1 : Le cadre juridique des relations de travail.

33. La place faite au contrat dans le code du travail et les références constantes de la jurisprudence aux mécanismes contractuels conduisent à voir dans le contrat le cadre juridique des relations de travail 123 .

La soumission du salarié à l'autorité patronale est fondée sur le contrat de travail, celui-ci ayant pour "objet et pour effet de placer le salarié dans une situation de dépendance" 124 .

Il a pour effet ’’de placer le travailleur sous une autorité patronale qui se manifeste par des pouvoirs spécifiques que leur titulaire tient directement de l’ordre juridique (du droit objectif), le contrat se bornant à le rendre légitimes au regard du postulat de l’égalité des sujets de droit’’ 125 .

Dans ce système où le rapport de travail naît du contrat, le législateur apporte des garanties au salarié à travers l’imposition d’obligations légales à la charge de l’employeur. Partant du constat que les prérogatives patronales en matière de direction des personnes procèdent du contrat de travail et que l’encadrement législatif se construit en référence à ce contrat, un auteur souligne la ’’centralité du contrat de travail’’ 126 .

La dimension contractuelle du rapport de travail autorise les parties à individualiser les modalités d’exécution du travail dès lors que l’ordre public est respecté.

Sous couvert du libre accord des parties, l’employeur peut proposer au salarié des modalités d’exécution du travail spécifiques. Dans de nombreuses situations, le salarié ne saura pas en mesure de discuter ces propositions.

Le contrat de travail s’apparente alors au contrat d’adhésion. Cette faculté de prévoir des obligations spécifiques sous réserve du respect des dispositions légales ’’atteste avec d’autant plus d’éclat que notre droit fait du contrat individuel un véritable outil de singularisation de chaque rapport de travail’’ 127 .

Cette dimension contractuelle est au centre de la jurisprudence relative aux modifications du contrat de travail selon laquelle l’employeur ne saurait modifier unilatéralement les éléments du contrat 128 . Elle justifie une résistance du salarié face aux pouvoirs de l’employeur. Nous reviendrons de manière approfondie sur cette jurisprudence lorsque nous traiterons des limites du champ d’exercice du pouvoir patronal, imposées par le contrat de travail.

Cette faculté de refus du salarié, même relative, fondée sur le droit contractuel, s’oppose à la conception institutionnelle de l’entreprise en ce qu’elle permet au salarié de se distinguer du reste du personnel en faisant valoir des droits propres. Le même raisonnement s’applique aux droits individuels acquis 129 .

En cas de dénonciation d’une convention ou d’un accord collectif, les salariés, présents au moment du délai de survie de la convention, conservent les avantages individuels qu’ils ont acquis en application de la convention (Art. L. 132-8 al. 3,5,6 du code du travail). Est individuel un avantage ’’susceptible d’utilisation privative par opposition à l’avantage collectif, insusceptible d’une telle utilisation’’ 130 . La notion d’acquisition est beaucoup plus incertaine 131 . La Cour de cassation définit l’avantage acquis comme un droit déjà ouvert et non simplement éventuel 132 . Cette définition semble exclure les droits liés à la réalisation d’un événement aléatoire ou ponctuel 133 . Dès lors que l’existence d’un avantage individuel acquis est reconnue, celui-ci est intégré au contrat de travail 134 . Conformément aux règles du droit des obligations, il ne peut alors faire l’objet de modification unilatérale de la part de l’employeur. Ici encore, le contrat de travail est un instrument de singularisation du rapport de travail et de résistance du salarié face au pouvoir de direction.

La légitimité des prérogatives patronales en matière de direction des personnes procède donc du contrat de travail en l’absence duquel il ne saurait y avoir, en droit, de subordination.

Notes
123.

G. Lyon-Caen, Défense et illustration du contrat de travail, Archives de philosophie du droit n°13, 1968.

124.

G.H. Camerlynck, Encyclopédie Dalloz, contrat du travail, n°71.

125.

A. Jeammaud, Les polyvalences du contrat de travail, in Les transformations du droit contemporain, Etudes offertes à G. Lyon-Caen, 1989, Paris, Dalloz, p.299, voir p.301.

126.

A. Jeammaud, Les polyvalences du contrat de travail, in Les transformations du droit contemporain, Etudes offertes à Gérard Lyon-Caen, 1989, Paris, Dalloz, p. 299.

127.

A. Jeammaud, La place du salarié individu dans le droit français du travail, in Le droit collectif du travail, Etudes en hommage à H. Sinay, Peter Lang, 1994, p.347.

128.

Voir P. Waquet, Le renouveau du contrat de travail, op. cit. ; Cass. Soc., 16 dec. 1998, "Domenech", RJS 2/99, n°154 (en l’espèce, une promotion constitue une modification du contrat de travail que le salarié n’est pas tenu d’accepter).

129.

A. Jeammaud, La place du salarié individu dans le droit français du travail, op. cit.,
voir p.363.

130.

E. Dockès, L’avantage individuel acquis, Dr. soc., 1993, p.826.

131.

G. Lyon-Caen, Jean Pélissier, A. Supiot, Droit du Travail, Dalloz, 18ème éd., 1996, p.778, n°903.

132.

Cass. Soc., 19 juin 1987, Bull. V, n°402.

133.

E. Dockès, op. cit., p.832.

134.

Cass. Soc., 6 nov. 1991, C.S.B.P., déc. 1991, p.275, A. 60, RJS 12/91, n°1342.