TITRE II : LA TITULARITE DU POUVOIR DE DIRECTION

37. Savoir qui est l'employeur a tout d’abord une utilité pratique pour le salarié, parce que c'est à lui et à lui seul que ce dernier pourra réclamer en justice l'exécution du contrat ou des indemnités en cas de ruptures.

La détermination du titulaire du pouvoir patronal de direction est parfois malaisée compte tenu des changements profonds qui ont affecté les entreprises dans leur organisation. La recherche d'une production de masse implique d'importants moyens techniques et financiers. Pour cela, les entreprises sont conduites à se concentrer. En France, le mouvement s'est accéléré depuis la création du marché commun européen, puis l’approfondissement de l’intégration communautaire. Par voie de conséquence, l'organisation de l'entreprise s'est complexifiée. Aujourd'hui, le phénomène de globalisation modifie encore les données. Les entreprises, même de petite taille, doivent penser leur stratégie en fonction de la concurrence sur le marché mondial, ce qui se traduit par l'amplification et la diversification des formes d'internationalisation. Tout d'abord, s'est développée la transnationalisation des entreprises. L'investissement d'une entreprise à l'étranger peut-être dicté par diverses considérations : cela lui permet d'avoir accès aux ressources naturelles, au marché du pays d'accueil mais également, de bénéficier d'une main-d’œuvre peu chère. Le mouvement opère une ’’décomposition internationale des processus productifs’’ 152 qui est en partie fonction des coûts de main-d’œuvre. On reproche aussi à cette politique de l'entreprise multinationale ou transnationale de créer des emplois dans le pays d'accueil au détriment du pays d'origine.

Face aux entreprises transnationales, d'autres types de relations entre entreprises se sont développées à l'échelle mondiale. La forme récente de l'internationalisation, décrite notamment par R. Reich 153 est l'entreprise-réseau. Au lieu de créer des filiales, l'entreprise tisse des relations contractuelles avec des partenaires étrangers. Ce partenariat peut revêtir plusieurs formes, celui des franchises par exemple, et présente des avantages. Il permet, en effet, la réduction des apports de capitaux ainsi qu'une intégration facilitée dans le contexte local.

Ces évolutions des modes d'organisation de l'entreprise mettent en question le droit du travail, dans la mesure où elles affectent le système productif traditionnel en contemplation duquel la législation du travail paraît avoir été construite 154 .

Quelles que soient les mutations, il demeure que l'entreprise ne peut fonctionner que si une autorité la dirige. Si dans les petites exploitations, l'essentiel des prérogatives patronales s'incarne en une seule personne, des difficultés apparaissent dés lors que l'entreprise se complexifie et la détermination de l'employeur peut susciter des interrogations. En effet, dans les grandes et moyennes entreprises, le pouvoir est, en général, collectivement exercé. La complexité des problèmes que soulève la gestion d'une firme importante est telle que les décisions sont souvent collégialement préparées sinon adoptées. Il est de plus en plus rare que la prospérité d'une grande entreprise repose sur une seule personne. Un seul individu ne peut maîtriser l'ensemble des données concernant l'entreprise. L'environnement dans lequel évolue l'entreprise, ses possibilités de développement, la gestion des ressources humaines sont autant de domaines qui nécessitent des compétences particulières et précises. A cette préparation collective des décisions s'ajoute une déconcentration des responsabilités. La gestion d'une grande entreprise est donc l’œuvre de groupes de ’’managers’’, ce que K. W. Galbraithnomme la ’’technostructure’’.

De cette évolution vers un exercice collégial et déconcentré des pouvoirs patronaux naissent des difficultés pour désigner celui qui, dans l'entreprise, est le véritable "patron". Cette identification du détenteur du pouvoir patronal de direction est d'autant plus délicate que la taille de l'entreprise s'accroît et que cette dernière s'intègre dans un groupe. La situation du groupe de sociétés favorise la mise en relation du salarié avec plusieurs sociétés, de même qu'elle multiplie les difficultés juridiques ayant trait à la détermination de l'employeur.

Avec la complexité croissante des entreprises, les agents d’exercice du pouvoir de direction se multiplient, ce qui entraîne un éclatement du pouvoir de direction. A la diversité des situations répondront différentes modalités d’organisation du pouvoir.

Ainsi distinguerons-nous la question de la détermination de l’employeur (chapitre I) de celle de la détention du pouvoir dans l’entreprise (chapitre II).

Notes
152.

B. Lassudrie-Duchène, Décomposition internationale des processus productifs et autonomie de décision, in Internationalisation et autonomies de décision, dir. A. Bourguinat, Paris, Economica, 1982.

153.

R. Reich, L'économie mondialisée, Paris, Dunod, 1997 ; D. Uzunidis, Mondialisation, intégration et normalisation du progrès technique, Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation, n°3, Paris, L’Harmattan, 1996.

154.

A. Jeammaud, Les droits du travail à l’épreuve de la mondialisation, Dr. Ouvrier, 1998,p.240.