§ 2 : L’organisation de la production.

63. L’employeur a la faculté d’aménager les locaux, les installations techniques, de choisir les moyens de production, les processus et méthodes, les activités à développer. Ces prérogatives influent nécessairement sur la situation des salariés. Les incidences peuvent tout d’abord être collectives. Ainsi, le changement d’activité décidé par l’employeur est-il susceptible de déboucher sur l’applicabilité d’une nouvelle convention collective. Parfois, la logique s’inverse et c’est l’objectif de changer de convention collective qui entraîne une réorganisation. Par exemple, un groupe de sociétés peut décider de créer une société nouvelle dans le seul but d’appliquer à certains salariés une convention collective moins avantageuse que celle en vigueur 265 . Les conséquences sont aussi individuelles puisque les choix d’organisation gouvernent les conditions du travail de chaque salarié.

L’employeur n’a pas à justifier ces choix par la nécessité. L’application de ce principe conduit à considérer que n’est pas légalement justifié l’arrêt condamnant l’employeur à payer des dommages et intérêts pour rupture abusive à un salarié au motif que la réorganisation de l’entreprise, n’était pas imposée par la force majeure 266 . Les attributions reconnues au Comité d’entreprise ne restreignent pas la liberté patronale étant donné qu’elles n’ont qu’une portée consultative. Ainsi l’employeur peut-il mettre en place une organisation, même si elle s’avère préjudiciable aux salariés. Il peut décider de confier une activité, jusqu’alors assumée par son entreprise, à une société de services.

Le recours à des prestataires de services extérieurs est fréquent. Si, pendant longtemps, l'entreprise a fourni toutes les prestations exigées par sa production, la recherche systématique de réduction des coûts, et par conséquent, la réduction des effectifs, conduit à accentuer le recours aux prestataires extérieurs. Les entreprises recherchent une efficacité maximale, non par la coordination de prestations internes, mais par le fractionnement du processus de travail et la passation de contrats avec l'extérieur.

Cette politique multiplie le nombre de tiers participant au processus de production, tiers sur lesquels pèse souvent une véritable subordination par rapport au donneur d'ordre. La loi du 11 février 1994 relative à l’entreprise individuelle, dite loi Madelin, a songé à faciliter ce mouvement d’extériorisation des emplois en établissant une présomption simple d’activité indépendante pour les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des URSSAF pour le recouvrement des allocations familiales 267 . Cette loi a fait l’objet de nombreux commentaires 268 et un auteur a souligné qu’elle visait à ’’accompagner ce mouvement d’exclusion du salariat’’ et présentait un ’’risque d’accroître l’exclusion de ceux qui accomplissent des tâches occasionnelles et précaires’’ 269 . En effet, l’article L.120-3 al. 2 du code du travail dispose que la présomption de travail indépendant peut être détruite et le contrat de travail établi dès lors que les personnes concernées ’’fournissent directement ou par personne interposée des prestations à un donneur d’ouvrage dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci’’.

Cependant, la Cour de cassation a interprété cette disposition dans un sens relativement favorable au renversement de la présomption (par celui qui se prétend salarié) en affirmant que ’’c’est la subordination juridique qui doit être permanente et non le lien’’ 270 Ainsi des relations contractuelles même ponctuelles peuvent-elles être qualifiées de relations salariales. C’est la nature des rapports entre les parties et non des considérations de durée de la relation qui permet d’affirmer ou non l’existence d’un contrat de travail. Quoiqu’il en soit, la loi du 19 janvier 2000 (Aubry II) relative à la réduction du temps de travail a 271 , suite à un amendement parlementaire, abrogé cet article L.120-3 du code du travail, à l'exception du troisième alinéa introduit par la loi n°97-210 du 11 mars 1997.

64. Caractérisé par la subordination juridique du salarié, le contrat de travail est le cadre dans lequel l’employeur peut exercer son pouvoir de direction sur les personnes. Il s'analyse comme la "convention par laquelle une personne s'engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place en tant que nécessaire, moyennant une rémunération" 272 . Il ressort de cette définition que le salarié met sa force de travail à la disposition de l'employeur et accepte de se soumettre à l'autorité patronale. Par conséquent, l'employeur dispose du pouvoir sur les hommes et l’exerce au regard des décisions de gestion qu'il a défini.

Notes
265.

I. Vacarie, L’employeur, op. cit., p.42.

266.

Cass. Soc., 11 mai 1964, Bull. civ. IV, p. 322, n°392.

267.

Loi n°94-126 du 11 fév. 1994, J.O. du 13 fév. 1994.

268.

G. Lyon-Caen, Où mènent les mauvais chemins, Dr. soc., 1995, p.647 ; M. Laroque, Présentation introductive de la loi du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle, Dr. soc., 1995, p.631 ; F. Deroy, la vérité sur le faux travail indépendant, Dr. Soc., 1995, p.638 ; Association Villermé, La loi Madelin et le code du travail : à contre courant, une menace qui devrait pourtant rester sans effet, Dr. soc., 1995 ; B. Teyssié, Sur un fragment de la loi n°94-126 du 11 février 1994 : Commentaire de l’article L.120-3 du code du travail, Dr. soc., 1994, p.667 ; M. Véricel, Des incidences en droit social de la loi Madelin sur la qualification du salarié, ALD, 1995, p.54.

269.

G. Lyon-Caen, Où mènent les mauvais chemins, op. cit., p.648.

270.

Cass. Crim., 31 mars 1998, RPDS n°652-653, p.279 ; voir également D. Boulmier, Quand ’’le lien de subordination juridique permanente’’ restreint la portée de la loi Madelin,
Sem. sociale Lamy du 22 fév. 1999, n°922, p.6.

271.

Pour un commentaire de cette loi, voir notamment le numéro spécial de Droit social, mars 2000.

272.

G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, Précis Dalloz, 18 ème éd., 1996, p.100, n°125.