§ 1 : L’édiction des normes.

67. Cet aspect normatif évoque tout d’abord le règlement intérieur. La loi du 4 août 1982 a doté le règlement intérieur d’un régime légal plus sophistiqué que le précédent 274 . Son contenu est fixé par l’article L. 122-34 du code du travail en vertu duquel doivent figurer dans ce règlement les mesures d’application de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité, les règles générales et permanentes relatives à la discipline, les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés tels qu’ils résultent de l’article L. 122-41 et enfin, les dispositions relatives à l’abus d’autorité en matière sexuelle. En matière d’hygiène et de sécurité, les dispositions du règlement intérieur sont établies par référence aux règles du code du travail. L’employeur peut à cette fin établir des consignes de sécurité. Concernant les règles générales et permanentes relatives à la discipline, elles ont pour but de fixer l’organisation du travail dans l’entreprise. Une norme présente un caractère disciplinaire dès lors que son non respect peut faire l’objet de sanctions.

La fixation de ces normes appartient à l’employeur. L’article L. 122-35 du code du travail dispose que ces mesures ne peuvent apporter ’’aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché’’.

Ces exigences ont pour but de garantir un équilibre entre l’exercice du pouvoir patronal et les droits fondamentaux des salariés. Sous réserve du respect de ces différentes règles, le règlement intérieur est un instrument de gestion du personnel au service de l’employeur. Il peut contenir des obligations très variées relatives par exemple, aux horaires de travail, à l’accès et circulation dans l’entreprise, au port d’un uniforme 275 .

Dans un arrêt du 18 mars 1998, le Conseil d’Etat admet que des mesures se rapportant à la mise en œuvre des dispositions de la loi du 10 janvier 1991, relative à la lutte contre le tabagisme, soient édictées par la voie du règlement intérieur 276 . Pour la juridiction administrative, elles répondent à un impératif d’hygiène.

Hors règlement intérieur, l’employeur peut formuler d’autres prescriptions.

68. Les mesures internes à l’entreprise ne présentent pas toutes le même caractère. Certaines possèdent un caractère de généralité et de permanence et, à ce titre, constituent indiscutablement des règles de droit 277 . Elles peuvent préciser les modalités de l’organisation de l’entreprise ou prescrire aux salariés d’adopter tel ou tel comportement. Ces règles peuvent être insérées dans des documents aux dénominations variées : ’’chartes’’, livrets d’accueil ou notes de service.

A l’inverse, d’autres sont inspirées par les circonstances économiques et sociales et peuvent conduire par exemple à la modification du rythme de production, à l’installation de nouveaux équipements ou à la fermeture ou l’ouverture d’une unité de production. Enfin, ces mesures peuvent présenter un caractère individuel et être, soit la conséquence de règles générales, soit prises pour des motifs propres au salarié.

Toutes ces mesures peuvent avoir des incidences sur les conditions de travail et imposer des sujétions nouvelles aux salariés. Ces normes sont des manifestations du pouvoir de direction et ne créent pas à proprement parler de nouvelles obligations juridiques à la charge des salariés. En les édictant l’employeur exerce une prérogative qu’il tient du contrat de travail 278 .

Mais les normes d'origine patronale ne sont pas nécessairement synonymes d’obligations, de sujétions, pour les salariés, ou les seuls salariés. L'employeur, auquel toute règle non "abrogée" est opposable, même s'il en est l'auteur exclusif, peut aussi contracter de son seul chef des engagements à l’égard de ses salariés, par exemple pour stimuler la productivité. Ainsi, l'exercice du pouvoir de direction des personnes peut-il conduire l’employeur à décider unilatéralement de l’octroi d’un avantage à tout ou partie du personnel. Souvent, il s’agira d’une prime accordée aux salariés. Cette volonté patronale constitue un engagement unilatéral doté d’un régime juridique particulier 279 .

L’engagement unilatéral ne peut créer d’obligations qu’à la charge de l’employeur. Les avantages résultant pour le salarié d’un tel engagement ne sont pas incorporés au contrat de travail 280 . L’employeur peut s’engager pour une durée déterminée ou indéterminée. La dénonciation unilatérale de l’avantage n’est possible que dans le second cas, conformément au principe du droit commun des obligations qui prohibe tout engagement perpétuel 281 . Afin d’être régulière, la dénonciation doit être précédée d’un préavis suffisant et être notifiée aux représentants du personnel et aux salariés intéressés 282 . A défaut, l’engagement demeure en vigueur et les salariés peuvent s’en prévaloir. La dénonciation n’a pas à être motivée mais si l’employeur énonce un motif illicite, la dénonciation est nulle 283 . Le régime de la dénonciation de l'engagement unilatéral est donc calqué sur celui de l'usage.

A côté de son pouvoir normatif, l’employeur dispose, afin d’organiser l’activité des salariés, de la faculté de gérer les effectifs de l’entreprise et de celle de déterminer les modalités de l’exécution de la prestation de travail.

Notes
274.

Cohen, Le règlement intérieur et le pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise, Dr. soc., 1980, p.165 (l’auteur compare le règlement intérieur avant 1982 au ’’Moyen-Age au XX ème siècle’’).

275.

C.E., 16 décembre 1994, RJS 2/95, n°128 (régularité d’une clause d’un règlement intérieur faisant obligation aux personnels d’une entreprise de pose d’ascenseurs de porter une tenue de travail prise pour des raisons de sécurité),; C.E., 29 décembre 1995, Dr. soc., 1996, p.391, concl. Maugüé ; RJS 1996, p.167, n°283 (a été jugée licite la clause imposant le port d’un badge d’identification dans une centrale nucléaire).

276.

C.E., 18 mars 1998, RJS 6/98, n°733.

277.

A. Supiot, La réglementation patronale de l’entreprise, Dr. soc., 1992, p.215.

278.

E. Dockes, L’engagement unilatéral de l’employeur, Dr. soc., 1994, p.227.

279.

Voir E. Dockes, art. précité ; M. Véricel, Sur le pouvoir normateur de l’employeur, Dr. soc., 1991, p.120 ; M. Keller, G. Lyon-Caen, Les sources du droit du travail, Encyclopédie Dalloz, p.18, n°220 ; Ph. Waquet, Du nouveau et des précisions sur la dénonciation d’un usage d’entreprise ou d’un engagement unilatéral, Sem. sociale Lamy, n°781, p.3.

280.

Cass. Soc., 25 février 1988, Bull. civ. V, n°139 ; Cass. Soc., 13 février 1996, Sem. sociale Lamy, n°781, p.3.

281.

Cass. Soc., 17 mars 1993, Dr. soc., 1993, p.456.

282.

Cass. Soc., 13 février 1996, op. cit. ; Cass. Soc,. 23 sept. 1992, Bull. civ. V, n°479.

283.

Cass. Soc., 13 février 1996, op. cit.