§ 3 : La détermination des conditions de travail.

73. Au sein de l'entreprise, l'employeur définit l'affectation des salariés à tel ou tel poste et décide des modalités d'exécution du travail : horaires, lieu de travail, détermination des cadences, etc... La détermination des conditions de travail soit appartient à la sphère contractuelle, soit résulte de l'exercice du pouvoir de direction.

En effet, certaines conditions d’exécution du travail sont incluses dans le contrat de travail alors que d’autres peuvent être fixées unilatéralement par l’employeur. Cette distinction a des conséquences importantes quant aux éventuelles capacités de résistance des salariés. L’étude des éléments contractuels et de leur modification est intégrée dans celle, plus générale, de l’encadrement du pouvoir de direction, étant donné que les règles du droit des obligations dressent dans une certaine mesure un rempart face au pouvoir patronal.

Concernant l’exercice du pouvoir de direction, celui-ci autorise l’employeur à déterminer les conditions de travail des salariés et à opérer les changements qu’il juge nécessaire au cours de l’exécution de la prestation de travail.

74. Placé sous l’autorité de l’employeur par l’effet du contrat de travail, et sous réserve du respect des termes de ce contrat, le salarié ne peut refuser d’exécuter les prestations définies par l’employeur, sauf à commettre une faute contractuelle pouvant éventuellement justifier un licenciement.

Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur impose de multiples sujétions au salarié qui imprègnent le quotidien du travail. Aussi, serait-il vain de chercher à en faire l’inventaire. Pour exemple, nous citerons les restrictions apportées à la liberté d’aller et venir des salariés. Celles-ci sont fondées à la fois sur le droit de propriété et sur le contrat de travail. Les décisions patronales qui limitent l'accès à l'entreprise en dehors de certaines heures ou qui interdisent l'accès à certains lieux trouvent une justification dans le droit de propriété. Le droit de propriété est opposable à tous, y compris aux salariés. A l'inverse, les décisions patronales relatives à l'exécution du travail et qui imposent aux salariés des horaires, des temps de présence au poste de travail tirent leur autorité du lien de subordination né du contrat de travail.

Le développement des nouvelles technologies peut venir renforcer les sujétions imposées par l’employeur au salarié. Les technologies modernes sont à l’origine de nouvelles organisations du travail, créant ainsi des formes particulières de subordination du salarié à l’entreprise 288 . L’essor des télécommunications est un exemple privilégié pour illustrer ce propos. Les multiples outils de communication, eurosignal, téléphone portable ou micro-ordinateur intégrant la télécopie par exemple, ont ruiné l’idée selon laquelle la distance était synonyme d’indépendance. Grâce à eux, le travail peut ’’rattraper’’ le salarié.

Sans envisager l’hypothèse d’une atteinte aux droits fondamentaux de l’individu, ces technologies facilitent l’accroissement de la subordination du salarié en permettant un lien constant et direct avec l’entreprise.

L’employeur a toujours la faculté de joindre ses salariés ’’nomades’’ restreignant ainsi leur autonomie dans l’organisation de l’activité. En outre, ces moyens de communication favorisent la multiplication des sujétions professionnelles en dehors du temps de travail, rendant la démarcation entre temps libre et temps de travail de moins en moins radicale. En effet, les astreintes, même si dans certains cas elles laissent une relative liberté de mouvements au salarié, l'obligent psychologiquement et physiquement à conserver un lien avec son travail. Il a l’obligation d’être accessible et peut être joint à tout moment. Le salarié demeure subordonné et pourra être sanctionné à défaut de réponse rapide en cas d'appel. Ainsi, alors que se développe une certaine souplesse dans l’organisation des horaires de travail des salariés, certains d’entre-eux connaissent une perte relative de liberté.

75. Parce que l'exécution du contrat de travail se prolonge dans le temps, il est courant que des modifications soient apportées aux conditions d'emploi et de travail du salarié. Le pouvoir de direction autorise l'employeur à imposer des modifications unilatérales des conditions de travail. En effet, comme l'écrit Mr J Savatier, "la caractéristique du contrat de travail est que salarié a accepté d'avance le pouvoir de direction de l'employeur quand celui-ci l'exerce, il n'y a donc pas en réalité modification mais exécution du contrat. Et, c'est le travailleurs refusant les modifications de ses tâches dans le cadre de l'emploi convenu qui n'exécute pas les obligations contractuelles" 289 .

Rejoignant le point de vue développé par M. Savatier, la Cour de cassation a changé de terminologie. Elle n’opère plus la distinction entre modification substantielle et non substantielle mais entre modification d'un "élément essentiel du contrat" et "changement des conditions de travail" 290 .

Sur ce point, la position de la Cour de cassation a connu une évolution qui devra être évoquée au moment de l’étude de l’encadrement du pouvoir de direction. Sans préjudice d’une analyse plus systématique de l’encadrement par l’article 1134 du code civil, retenons ici que, sur le plan du droit, le refus par le salarié du simple changement de ses conditions de travail constitue un manquement aux obligations contractuelles que l'employeur a la possibilité de sanctionner, y compris en procédant au licenciement de l'intéressé 291 . Dans deux arrêts en date du 10 juillet 1996, la Cour de cassation, se référant au pouvoir de direction de l'employeur, qualifie le refus d'exécuter du salarié de faute grave, ce qui, en cas de licenciement, entraîne la perte des indemnités de licenciement et du droit à préavis 292 .

L'appréciation de la distinction entre modification du contrat de travail et exercice du pouvoir de direction est tout aussi délicate que celle du caractère substantiel ou secondaire d'une modification du contrat de travail. Il a été jugé que l'employeur pouvait astreindre ses salariés au port de certains vêtements pour des motifs d'hygiène et de sécurité, alors même que le contrat initial ne le prévoyait pas 293 .

De même, les petites mobilités relèvent-elles du pouvoir de direction 294 . Ainsi, le déménagement d'une entreprise à l'intérieur de la région parisienne est-il qualifié de simple changement des conditions de travail 295 . Cette construction jurisprudentielle ne prend pas en considération les répercussions que la modification peut entraîner sur la vie personnelle du salarié.

L'exercice du pouvoir patronal de direction prime les exigences légitimes des salariés, à conserver une vie familiale et sociale décente. Cette position diffère de celle adoptée dans des décisions plus anciennes. En effet, la Cour de cassation avait jugé en 1982 qu'un salarié était fondé à refuser sa mutation de la Seyne à Toulon, en raison des répercussions que cette mutation pouvait engendrer sur sa vie privée et professionnelle 296 . Aujourd'hui, les juges se contentent de vérifier que la modification du lieu du travail est effectuée dans un périmètre géographique raisonnable. Parfois, cependant, les juges appliquent le critère de proportionnalité. Ainsi, a été jugé que ne constituait pas une faute grave, le refus d'un salarié ancien d'accepter un changement dans ses conditions de travail et notamment de suivre une formation de longue durée 297 .

Lorsque des clauses prévoyant l’éventualité de certaines modifications sont insérées dans le contrat de travail 298 , l’application de la clause par l’employeur constitue un simple changement dans les conditions de travail.

Ainsi, la mutation du salarié prévue dans le contrat de travail résulte-t-elle de la simple application de ce contrat 299 et le refus éventuel du salarié est constitutif d’une faute grave 300 . Par contre, il n’y a pas insubordination du salarié si la clause a des incidences sur des éléments contractuels extérieurs à son objet. Ainsi ne constitue pas une faute le refus opposé par le salarié d’accepter une mobilité prévue dans le contrat mais qui entraîne une diminution de sa rémunération 301 .

Par ailleurs, les clauses de mobilité sont désormais limitées par les "droits de la personne". La Chambre sociale a jugé que le droit de chacun au respect de son domicile - ou plutôt au libre choix du domicile qui constitue un de ses attributs - ne pouvait souffrir de restriction par la stipulation ou l’invocation d'une clause de mobilité, que dans la mesure où cette restriction était indispensable à la protection des "intérêts légitimes de l'entreprise" et proportionnée au but recherché 302 . Pour affirmer le droit au libre choix du domicile, cet arrêt vise l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. L'article L.120-2 du code du travail n'était pas applicable, en l’espèce, compte tenu de la date des faits 303 .

En outre, la Cour de cassation admet que l'usage d'une clause de mobilité est susceptible d’abus 304 .

Le devoir d’exécution des modifications des conditions de travail ne tient pas compte de la réalité du travail telle qu’elle est vécue par le salarié et n’est pas ’’nécessairement synonyme d’efficacité’’ 305 . Ainsi ’’de bonnes intentions d’amélioration par la réalisation d’une organisation plus rationnelle d’un poste de travail peuvent-elles être contre productives ….. Seul celui qui occupe le poste de travail peut juger s’il s’agit d’une aggravation ou d’une amélioration’’ 306 . La jurisprudence actuelle, qui décide que le refus d’un salarié d’accepter de nouvelles conditions de travail constitue une faute grave, présuppose que le pouvoir de direction s’exerce dans l’intérêt de l’entreprise. Corollaire du pouvoir d’ordonner, l’employeur dispose de la faculté de contrôler l’activité.

Notes
288.

J. Frayssinet, Nouvelles technologies et droits fondamentaux des salariés, in Droits fondamentaux des salariés face aux intérêts de l'entreprise, éd. Presse Universitaire Aix-Marseille, 1994, p.29.

289.

J. Savatier, Les modifications unilatérales du contrat de travail et le respect des engagements contractuels, Dr. soc., 1988, p.136.

290.

Cass. Soc., 10 juillet 1996, RJS 8/9, 1996, n°900 ; Dr. soc., 1996, p.976, obs. H. Blaise.

291.

Cass. Soc., 24 juin 1992, Sem soc Lamy, n°610, Bull. V, n°413.

292.

Cass. Soc., 10 juillet 1996, op. cit.

293.

Cass. Soc., 24 juin 1992, op. cit.

294.

J.E. Ray, La mobilité du salarié, aspects individuels, Dr. soc., 1989, p.432.

295.

Cass. Soc., 20 octobre 1998, RJS 1/99, p.24, n°8.

296.

Cass. Soc., 25 mars 1982, Bull. civ. V, p. 166, n°225.

297.

Cass. Soc., 3 avril 1997, RJS 5/97, n°523.

298.

Sur les clauses dans le contrat de travail en général, Voir M. C. Escande-Varniol,
La sophistication des clauses du contrat de travail,
Dr. ouvrier, 1997, p.478.

299.

Ph. Waquet, La modification du contrat de travail et le changement des conditions de travail, RJS 12/1996, p. 791.

300.

Cass. Soc., 10 juillet 1996, RJS 8-9/1996, n°900.

301.

Cass. Soc., 23 janvier 1996, RJS 8-9/1996, n°907.

302.

Cass. Soc., 12 janvier 1999, Dr. soc., 1999, p.287, obs. J. E. Ray.

303.

L'article L.120-2 issu de la loi du 31 décembre 1992, dispose que "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".

304.

Cass. Soc., 18 mai 1999, Dr. soc., 1999, p.734, obs. B. Gauriau (En l'espèce, un employeur impose, par l'effet d'une clause de mobilité, un déplacement immédiat à un salarié qui se trouvait dans une situation familiale critique, alors que le poste pouvait être pourvu par d'autres salariés. La Chambre sociale, rattachant la mise en œuvre de la clause de mobilité à l’exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat, et prenant en considération la situation personnelle du salarié, a considéré que l'employeur faisait un usage abusif de la clause de mobilité).

305.

P. Moussy, Un pas en avant, deux pas en arrière, Dr. ouvrier, 1999, p.5.

306.

J. Hodebourg, L’évolution des conditions de travail, le Monde du travail, éd. La découverte, 1998, p.141.