§ 4 : Le contrôle de l’activité.

76. Le pouvoir de contrôle et de surveillance de l’employeur sur les salariés pendant le temps de travail est un aspect essentiel du lien de subordination. S’ajoute à cette prérogative patronale, l’obligation légale de sécurité à la charge du chef d’entreprise.

En effet, aux termes de l’article L.230-2 du code du travail le chef d’établissement doit prendre ’’les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs de l’établissement, y compris les travailleurs temporaires’’. Ces mesures sont diverses. Elles comprennent des actions de préventions des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et des moyens adaptés. La mise en œuvre de ces mesures imposent une série d’obligations au chef d’entreprise et celui-ci devra veiller à leur application au sein de l’entreprise. Lorsqu’une infraction aux règles d’hygiène et de sécurité est relevée, la responsabilité pénale du chef d’entreprise est engagée 307 et l’obligation de chaque travailleur de prendre soin de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail (article L.230-3 du code du travail) n’affecte en rien cette responsabilité.

77. Le contrôle de l’exécution de la prestation de travail opéré par l’employeur porte sur la qualité du travail et sur le comportement du salarié. L’employeur est juge de l’insuffisance professionnelle ou de l’incompétence du salarié. Lors de l’étude du contrôle du pouvoir de direction, nous verrons qu’il doit alléguer des faits précis lorsqu’il envisage de licencier un salarié pour un tel motif. Cette obligation, cependant, ne met pas en cause la plénitude de son pouvoir.

Le contrôle de l’activité s’entend également de celui des faits et gestes des salariés. Ces derniers sont tenus de respecter les règles d’organisation édictées par l’employeur. Le salarié doit se soumettre entre autres aux horaires de travail et plus généralement, il doit appliquer toutes les instructions qui lui sont adressées dans la mesure où elles ne contreviennent pas aux lois et règlements.

Afin de s’assurer de la bonne exécution de la prestation de travail, l’employeur peut mettre en place des dispositifs de contrôle sophistiqués.

Dans ce domaine aussi, les nouvelles technologies modifient considérablem e nt la nature et la portée du contrôle patronal. Par rapport à la surveillance humaine, le changement est important. L'employeur ou le supérieur hiérarchique exerce une surveillance nécessairement imparfaite. Il ne peut être constamment présent afin de surveiller tous les faits et gestes des salariés. En outre, il peut choisir d'ignorer certaines pratiques pour préserver l'harmonie dans l'entreprise ou pour exiger d'autres services en retour. Les techniques modernes de contrôle sont, au contraire, d'une froide objectivité. Elles permettent une surveillance totale et permanente du salarié et rendent ce dernier "transparent à l'égard de l'entreprise" 308 . Les performances affichées par ces nouvelles techniques de contrôle sont liées à deux facteurs : leur permanence et leur mémoire. Le contrôle patronal a aujourd'hui les moyens d'être permanent et omniprésent dans l'entreprise 309 . Avec des matériels tels que la caméra-vidéo, le badge interactif, les écoutes, l'employeur peut suivre pas à pas les salariés.

Il est en mesure de contrôler leurs déplacements dans l'entreprise ainsi que leur temps de travail effectif, si les machines sont équipées du système adéquat. Les possibilités offertes par ces méthodes de contrôle sont impressionnantes 310 , mais elles peuvent également être la cause d'incidents dans l'entreprise, les salariés exprimant leur rejet d'une surveillance de tous les instants. Ainsi, le pin's interactif testé par les laboratoires de recherche des entreprises DEC et Olivetti au cours de l'année 1991, a multiplié les fraudes et les pannes dues à une utilisation non conforme du système 311 .

A cette faculté de tout voir à tout moment s'ajoute une mémoire sans faille. Les moyens modernes de contrôle permettent de conserver les données pendant une durée illimitée. Alors que l'homme oublie ou refuse de voir, la machine stocke et synthétise. L'utilisation de tels moyens de contrôle facilite et renforce le pouvoir patronal de direction. Une enquête sur les conditions de travail en 1998 réalisée par la Dares révèle une augmentation des contrôles des salariés, notamment ceux de la grande distribution, opérés grâce à l’outil informatique 312 . Ce contrôle des actes n’est pas adapté aux postes de travail nécessitant une réelle autonomie du salarié. Dans ce cas le contrôle patronal ne portera pas sur la manière d’exécuter le travail mais sur le résultat de ce travail. ’’A la normalisation des actes qui caractérisait le schéma taylorien succède une normalisation des personnes’’ 313 .

L’employeur exerce alors son pouvoir en élaborant des normes d’évaluation des performances qui serviront à légitimer ses décisions à l’égard des salariés, particulièrement en matière de rémunérations. Ainsi, loin de disparaître, le contrôle patronal prend la forme de normes de gestion auxquelles s’ajoute une politique d’individualisation de la situation des salariés. En effet, fort de l’organisation de la force de travail et de son contrôle, l'employeur est également fondé à singulariser le rapport individuel de travail.

Notes
307.

La loi du 6 décembre 1976 (article L.263-2 du code du travail) précise que la commission de l’infraction suppose une faute personnelle mais les juges répressifs considèrent que la violation des règles d’hygiène et de sécurité est pour le moins le résultat d’une négligence de la part du chef d’entreprise sauf délégation de pouvoir reconnue valide.

308.

J. E. Ray, Nouvelles technologies et nouvelles formes de subordination, Dr. soc., 1992,
p.531 et suiv.

309.

J. E. Ray, Nouvelles technologies et nouvelles formes de subordination, op. cit.

310.

Voir S. Foulon, Les nouveaux mouchards de l’entreprise, Liaisons sociales, Le magazine, oct. 1999, p.16.

311.

"Big Brother dans l'entreprise", Courrier International, 5 décembre 1991, p.32.

312.

Enquête ’’conditions de travail 1998’’ réalisée par J. Bué, M. Cézard, S. Hamon-Cholet,
C. Rougerie, L. Vinck, Dares, Rev. Santé et travail, 1999, n°18.

313.

A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, Dr. soc., 2000, p.131, voir p.134.