§ 2: L’individualisation de la rémunération.

80. L'employeur a toute liberté pour fixer les rémunérations dès lors qu'il respecte les minima fixés par la loi ou la convention collective. Il a le droit de fixer les rémunérations en fonction des mérites et performances de chacun. Dans son arrêt "Nouvelles Galeries" en date du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a affirmé ce pouvoir patronal d'individualisation des salaires en énonçant que "l'employeur est libre, dans son pouvoir de direction de décider pour chaque salarié des augmentations de rémunération qui ne lui sont pas imposés par les contrats individuels ou collectifs ou par la loi" 320 .

L'arrêt Ponsolle, dans lequel la Cour de cassation affirme que "l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de l'un ou l'autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique" 321 , ne remet pas en cause cette liberté de gestion.

Simplement, cette jurisprudence impose à l'employeur de fonder sa décision sur des critères objectifs. Cette contrainte reste très relative étant donné que les critères adoptés sont rarement susceptibles d'être appréciés de façon objective. L'employeur conserve son pouvoir de juger la valeur du travail de ses salariés et d'accorder une rémunération en fonction de la qualité du travail.

Nous reviendrons sur cette jurisprudence lorsque nous étudierons l’impact des droits fondamentaux sur l’exercice du pouvoir de direction et de l’étendue du contrôle du juge sur les décisions patronales. Cette politique de rémunération fondée sur des normes supposées objectives, qui valorise les performances et le mérite de chacun représentait 13,5% du salaire global versé aux salariés en 1998 322 .

Les politiques de rémunération globale sont un autre biais par lequel l’employeur peut introduire des différences entre les salariés.

Déjà largement pratiquée aux Etats-Unis, la technique de rémunération globale permet une meilleure maîtrise de la masse salariale en proposant aux salariés un ensemble varié d'éléments de rémunération, système d'intéressement, plan d'épargne d’entreprise par exemple. Le salaire de base perd, dans ce cadre, son caractère essentiel pour n'être qu'un élément parmi d'autres. Cette rémunération varie en fonction des capacités financières de l'entreprise. Ce système de rémunération à la carte suscite un intérêt croissant de la part des entreprises françaises 323 .

La tendance actuelle donc est au développement des politiques d’individualisation de la situation des salariés 324 . Celles-ci renforcent la concurrence entre les salariés et dissolvent tout repère collectif.

La productivité des individus reposerait alors non pas ’’sur la cohésion sociale du collectif, mais sur la coercition imposée par les marchés’’ 325 . Pour maximiser ses revenus, le salarié intériorise les normes et les valeurs de l’entreprise et doit donner le meilleur de lui même. Ce faisant, il se comporte ’’comme si’’ il était indépendant. ’’Les normes de gestion mettent ainsi en scène la fiction du salarié à son compte’’ 326 .

Les conséquences de ces pratiques débordent du cadre de l’entreprise pour rejaillir sur les mentalités et comportements des individus et structurer peu à peu une société éclatée.

81. Le pouvoir de direction, dans ses deux dimensions, pouvoir économique et pouvoir sur les personnes, n’est consacré par la loi qu’à travers l’encadrement dont il fait l’objet. Le code du travail ne contient pas de dispositions d’ensemble aux pouvoirs de l’employeur, pourtant la plupart des normes ont pour objectifs de les limiter ou d’encadrer certaines manifestations de leur exercice.

Notes
320.

Cass. Soc., 9 juillet 1985, Bull. V, n°419.

321.

Cass. Soc., 29 octobre 1996, Dr. soc., 1996, p.1014, note A. Lyon-Caen.

322.

La rémunération versée aux salariés en 1998, Premières synthèses, DARES, Ministère du travail, de l’emploi et de la solidarité, n°1, janvier 2000.

323.

Liaisons sociales, novembre 1996, n°113, p.36, "Rémunération flexible : une pratique en plein essor".

324.

Voir Th. Coutrot, L’entreprise néo-libérale, nouvelle utopie capitaliste ?, Ed. La Découverte, Paris, 1998.

325.

Voir Th. Coutrot, L’entreprise néo-libérale, nouvelle utopie capitaliste ?, op. cit., p.239.

326.

A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, op. cit.