§ 2 : La réglementation du travail.

105. Le contrat de travail, source juridique de la condition du salarié, soumet le travailleur et l’employeur à un ensemble de normes indépendamment de leur volonté des parties. Cette réglementation se compose ’’de dispositions légiférées, législatives ou réglementaires au sens formel, qui tendent essentiellement à imposer des conditions, restrictions ou exigences de conformité à des actes juridiques ou matériels, activités, opérations, relations, voire à des choses’’ 418 .

Les règles qui répondent à cette définition sont très précises afin de saisir étroitement les actions de l’employeur. Ce dernier doit agir conformément à ces normes qui ne supportent aucune dérogation. Le code du travail comporte un livre deuxième intitulé ’’réglementation du travail.’’ Celui-ci traite des conditions de travail, des repos et congés, de l’hygiène et de la sécurité, de la médecine du travail, du service social du travail, et enfin, des pénalités assorties à la violation de ces règles. Les règles relatives à l’hygiène et à la sécurité illustrent parfaitement ce concept de réglementation. Elles décrivent avec minutie ce que l’employeur doit faire ou ne pas faire et ne laissent aucune marge de liberté d’action.

En ce, elles peuvent être comparées aux dispositions du code de la route. L’indérogeabilité concerne essentiellement une partie de la réglementation, au sens du livre II : les dispositions d’hygiène et de sécurité. Les règles relatives au temps de travail sont susceptibles, assez largement, de dérogations, in melius ou in pejus, de même que les dispositions sur le licenciement ou l’information et la consultation des représentants du personnel, dès lors que la convention collective est plus exigeante. Son caractère indérogeable caractérise la réglementation. Indépendamment de leur appartenance au livre deuxième du code du travail, de nombreuses autres dispositions relèvent de cette qualification. Il s’agit au premier chef, les règles de procédure qui régissent la formation des actes patronaux. Ainsi, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il est tenu de respecter la procédure prévue par les textes. De même, toutes les règles substantielles imposant une protection minimale du salarié ressortissent du domaine de la réglementation. Dans ce dernier exemple, la réglementation revête une acceptation plus large que précédemment. Elle doit s’entendre comme l’ensemble des règles qui s’impose à l’employeur tout en lui reconnaissant une latitude d’action certaine. Ce type de disposition n’énonce pas ’’une marche à suivre’’ mais pose des limites à l’exercice du pouvoir de direction.

Qu’il s’agisse des dispositions relatives à la rémunération ou de celles relatives au contrat de travail, l’employeur ne saurait s’y soustraire, sauf à établir une règle plus favorable au salarié. Il est contraint d’agir à l’intérieur de ces limites légales qui constituent une protection ’’plancher’’, la seule latitude dont il dispose est d’opter pour une amélioration de ces normes. Ainsi, tenu de verser au salarié une rémunération égale au salaire minimum prévu par les textes, l’employeur, par contre, est libre d’attribuer une rémunération d’un montant supérieur. Dans ces hypothèses, c’est le minimum légal qui est intangible, le salarié bénéficiant du ’’principe de faveur’’ 419 .

106. Ce principe, qualifié de fondamental par la Cour de cassation 420 , consacre l’application de la règle la plus favorable au salarié en cas de conflit de normes.

Ce principe spécifique au droit du travail 421 , n’a cependant pas valeur constitutionnelle, il relève du domaine réservé au législateur au sens de l’article 34 de la constitution 422 . Par conséquent, la loi peut ’’ouvrir la voie à la prévalence d’une règle moins favorable aux salariés qu’une autre norme également applicable’’ 423 . La technique de l’accord dérogatoire introduite dans le code du travail en 1982 introduit une remise en cause partielle du principe de faveur. Ce type d’accord permet de déroger aux normes hiérarchiquement supérieures dans un sens défavorable au salarié.

Afin d'en limiter la pratique, la loi a prévu un double encadrement. D'une part, la dérogation ne peut porter sur les dispositions législatives d'ordre public qu'en vertu d'une disposition expresse de la loi et, d'autre part, un mécanisme d'opposition est reconnu aux syndicats. L'article L.132-26 du code du travail prévoit que peuvent s'opposer à l'entrée en vigueur d'un accord dérogatoire, les organisations syndicales qui ont recueilli plus de la moitié des votes des électeurs inscrits aux dernières élections.

Dans un arrêt en date du 18 novembre 1998, la Cour de cassation retient comme formule de calcul les résultats obtenus lors du premier tour des élections pour les seuls titulaires 424 . Ce mode de calcul, qui prend en compte les voix recueillies au premier tour, favorise les syndicats représentatifs du fait de leur monopole de présentation des candidats au premier tour des élections. Il devient alors plus facile de dégager une majorité lors de ce tour et le droit d'opposition pourra être exercé plus souvent. Nombre d'accords dérogatoires concerne la durée du travail.

Telle que définie ci-dessus, la réglementation du travail comprend donc des textes de nature différente. Selon un critère formel, il peut s’agir de lois, de règlements ou de règles élaborées par les ’’partenaires sociaux.’’ Seules les normes étatiques retiendrons notre attention.

107. La finalité immédiate de la réglementation est la protection du travailleur. D’aucun lui attribue la fonction de ’’civiliser les relations sociales’’ 425 dans l’entreprise. S’il est incontestable que le droit du travail limite la subordination du salarié en lui attribuant des droits et libertés et en encadrant l’exercice du pouvoir patronal, il est aussi la garant de la ’’pérennisation du mode de production capitaliste’’ 426 . La protection du salarié concerne les divers aspects du rapport de travail mais tend à s’ordonner autour de trois axes : protéger l’intégrité physique du salarié, lui assurer le droit à une vie décente et la stabilité des relations du travail. Ces trois points sont étroitement imbriqués, tant il est vrai que le premier participe à la réalisation du second, tout comme le troisième.

Ces différentes règles sont autant d’outils favorisant l’application effective des droits fondamentaux dans l’entreprise, notamment le droit à l’intégrité physique qui pour certains ’’a été, et demeure, le cœur du droit du travail’’ 427 .

Notes
418.

A. Jeammaud, Des concepts en jeu, in Après la déréglementation, les nouvelles formes de régulation, CREDEO, univ. de Nice-Sophia Antipolis/CNRS, LGDJ, 1996.

419.

A. Jeammaud, Le principe de faveur, Enquête sur une règle émergente, Dr. soc., 1999, p.115.

420.

Cass. Soc., 17 juillet 1996, 2 espèces, Bull. civ. V, n°296 et 297 ; Dr. soc., 1996, p.1049, concl. P. Lyon-Caen, note J. Savatier.

421.

Encycl. Dalloz. Rep. Trav., V Travail : sources, n°76 (G. Lyon-Caen et M. Keller).

422.

A. Jeammaud, Le principe de faveur, Enquête sur une règle émergente, op. cit.

423.

A. Jeammaud, Le principe de faveur, Enquête sur une règle émergente, op. cit., voir p.124.

424.

Cass. Soc., 18 novembre 1998, JSL, n°27, 5 janvier 1999, p.11.

425.

A. Supiot, Pourquoi un droit du travail ?, Dr. soc., 1990, p.466.

426.

A. Jeammaud, Le droit du travail en changement, Essai sur mesure, Dr. soc., 1998, p.213.

427.

A. Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 1994, p.68.