§ 2 : Règles procédurales assurant l’expression collective des intérêts des salariés.

129. Le système de représentation des salariés dans l'entreprise se compose de plusieurs institutions : délégués du personnel, comité d'entreprise, sections syndicales. Il faut également ajouter le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui est un organisme spécialisé. Retiendront notre attention le comité d'entreprise et les sections syndicales en tant que titulaires de prorogatives susceptibles de limiter l'autorité patronale. Il convient de préciser quand cas d'absence du comité d'entreprise, les délégués du personnel assurent un certain rôle de suppléance. Ils peuvent également être investis d'un mandat de délégué syndical dans les entreprises de moins de 50 salariés 494 .

Les deux systèmes de représentation, représentants élus du personnel et syndicats, ont une base constitutionnelle. L'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de la Constitution de 1958 qui le maintient en vigueur, dispose en effet que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des relations de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".

130. Le comité d'entreprise a été créé par une ordonnance du 22 février 1945. Le projet de création de comité d'entreprise établi en 1944 par le Gouvernement provisoire de la République avait pour objet d'instaurer des pratiques de coopération entre les salariés et le chef d'entreprise tout en maintenant l'autorité de ce dernier. Au cours des années 1960-1970, le poids des comités d'entreprise a connu un réel accroissement dans la vie des entreprises. On assiste à une augmentation de leur implantation effective dans les entreprises ainsi qu'à un développement de leurs attributions. Ces dernières sont multiples et peuvent se décliner en deux parties : les activités sociales et culturelles et les attributions ayant trait à la gestion économique de l'entreprise. S'agissant de s'interroger sur sa capacité à encadrer le pouvoir patronal de direction, seules les secondes prérogatives feront l'objet de développements.

131. La loi du 21 mars 1884 consacre la liberté syndicale et il faut attendre celle du 27 décembre 1968 pour que cette liberté puisse s’exercer au sein de l’entreprise avec l’instauration de la section syndicale et des délégués syndicaux. Le principe de la liberté syndicale est affirmé dans de nombreux instruments internationaux dont deux conventions de l’O.I.T. 495 et dans la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (article 11). L'activité syndicale a pour objet la défense des intérêts individuels et collectifs des salariés. La loi leur attribue le monopole de la négociation (Art. L.132-2 CT) et par conséquent leur donne les moyens d'influencer la gestion de l'entreprise. Le rôle de négociateur conduit les syndicats à élaborer des règles de droit par le biais des accords collectifs, règles qui s'imposent à l'employeur.

132. Le droit d’expression collective des salariés n’a cessé de prendre de l’importance au cours des vingt dernières années. Il est notamment au centre des réformes de 1982. Ces réformes, issues du Rapport Auroux 496 ont introduit l’idée de citoyenneté dans l’entreprise. Cette citoyenneté implique des droits pour le salarié, notamment celui de s’exprimer sur la gestion de l’entreprise. Elle a conduit le législateur à majorer les attributions du comité d’entreprise ’’et à le recentrer’’ sur le suivi économique de l’entreprise 497 , contribuant ainsi à un certain perfectionnement de la ’’démocratie industrielle’’ et à l’imitation du modèle de droit à l’échelle de l’entreprise 498 .

Ceci étant, les attributions du comité dans la gestion de l’entreprise demeurent consultatives. Cette consultation des salariés est aussi présente dans différents textes européens. La charte sociale européenne modifiée en 1998 499 prévoit la mise en place d’une procédure d’information et de consultations et deux directives européennes relatives aux licenciements collectifs 500 et au transfert d’entreprise 501 imposent la consultation des représentants des salariés.

Afin de permettre au comité d’entreprise d’exercer efficacement sa mission, le législateur offre à ses membres la possibilité de perfectionner leurs compétences en matière de gestion en suivant un stage de formation économique (art. L.434 du code du travail). Dans son rapport intitulé ’’les lois Auroux, dix ans après’’, Michel Coffineau observe que si cette formation initiale est jugée de bonne qualité, elle est insuffisante car courte et non renouvelable. Une mise à jour serait donc souhaitable 502 .

Le comité d’entreprise a donc pour rôle de faire entendre la voix des salariés sur les principales questions économiques mais il n’a ni le pouvoir de décider, ni celui de s’opposer aux choix de l’employeur. Ainsi, les lois Auroux ne remettent-elles pas en cause la primauté du pouvoir patronal dans l’entreprise mais consacre, au contraire, ce pouvoir en préservant ’’l’unité de direction et de décision dans l’entreprise’’ 503 . Conférant à l’entreprise ’’la légitimité d’une sphère citoyenne’’ tout en refusant un droit d’opposition aux salariés, l’ambivalence de cette réforme a été soulignée 504 . Ainsi, les règles qui favorisent l’intervention des salariés pour la défense de leurs intérêts ’’réalisent-elles, au service de l’ordre établi, une manière d’équilibre. Ce n’est pas dire que ce droit assure l’égalité concrète des protagonistes mais qu’il a pour sens de reconnaître, de satisfaire ou de fortifier une part de leurs intérêts respectifs, amplement antagonistes, en fixant un certain rapport et en autorisant une certaine confrontation entre eux’’ 505 .

133. Les règles de procédure qui reposent sur la reconnaissance de droits collectifs des salariés instaurent un double encadrement du pouvoir patronal de direction, qui recoupe les attributions respectives des systèmes de représentation des salariés. Elles permettent aux salariés d'être informés, de s'exprimer sur la gestion économique et financière de l'entreprise, mais aussi de participer à la création de normes substantielles. Les premières de ces règles de procédure organisent l'activité des représentants élus du personnel alors que les secondes sont destinées à la mise en œuvre de la négociation collective. Ceci étant, consultation et négociation sont deux fonctions étroitement imbriquées, tant il est vrai que la consultation peut servir de vecteur à la création de règles de fond et que la négociation, qui suppose un contrôle de ce qui a été accompli, devrait pouvoir s'appuyer sur les informations détenues par le comité d'entreprise. L'intrication des rôles respectifs des représentants du personnel et des syndicats se vérifie également dans les domaines d'intervention que la loi leur attribue. Ainsi des problèmes d’articulation des missions se présentent-ils dans certains cas.

Nous étudierons respectivement les règles reconnaissant un droit d’information et d’expression des salariés sur la gestion de l’entreprise à travers le comité d’entreprise et celles leur accordant le droit de négocier à travers les syndicats.

Notes
494.

G. Couturier, Droit du travail, t.2, Les relations collectives de travail, PUF, 1993, p.205.

495.

Convention n°87 de 1948 et n°98 de 1949.

496.

J. Auroux, Les droits du travailleur, Rapport au Président de la République et au Premier ministre, Paris, La Documentation française, 1982.

497.

Déclaration du ministre, J.O., Deb. Ass. Nat., 1982, p.2094 et 3046.

498.

Voir A. Jeammaud et A. Lyon-Caen, France, in Droit du travail, démocratie et crise en Europe occidentale et en Amérique (dir. A. Jeammaud et A. Lyon-Caen), Actes Sud, 1986.

499.

L’approbation de la charte sociale européenne révisée du Conseil de l’Europe ainsi que le protocole additionnel à cette charte prévoyant un système de réclamations collectives est autorisée par les lois n°99-173 et 99-174 du 10 mars 1999, J.O. du 11 mars, p.3631 ; La nouvelle charte porte à 31 le nombre des droits sociaux fondamentaux.

500.

Directive du 17 février 1975, JOCE, N.L. 48 du 22 février 1975.

501.

Directive du 14 février 1977, JOCE, N.L. 61 du 5 mars 1977.

502.

M. Coffineau, Les lois Auroux, dix ans après, coll. Rapports officiels, la doc. Française, 1993, p.72.

503.

A. Supiot, Autopsie du ’’citoyen dans l’entreprise’’: le rapport Auroux sur les droits des travailleurs, extrait de ’’Deux siècles de droit du travail, L’histoire par les lois’’, dir. J.P. Le Crom., Paris, éd. de l’atelier, 1998, p.265.

504.

A. Supiot, Autopsie du ’’citoyen dans l’entreprise’’, op. cit., p.265.

505.

A. Jeammaud, A. Lyon-Caen, Droit du travail, démocratie et crise, op. cit., introduction, p.10.