§ 2 : Les obligations d’adaptation et de reclassement.

152. Dans un arrêt en date du 25 février 1992, la Cour de cassation affirme que ‘"l'employeur, tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d'assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi"’ 578 .

Dans deux autres décisions, elle a affirmé l'existence d'une obligation de reclassement à la charge de l'employeur 579 . Ainsi, avant de prononcer le licenciement économique d'un salarié, l'employeur doit s'assurer que son reclassement dans l'entreprise était impossible 580 . Dans sa recherche de reclassement, il doit ‘"proposer aux salariés concernés des emplois disponibles de même catégorie, ou, à défaut, de catégorie inférieure, fût ce par voie de modification substantielle du contrat de travail"’ 581 . Devoir d'adaptation et devoir de reclassement sont complémentaires.

153. Le devoir patronal d'adaptation des salariés à leur emploi répond à l’obligation du salarié de s'adapter, de se former 582 . L'origine contractuelle de ce devoir patronal commande son étendue. En effet, l'article 1134 du code civil, sur lequel repose le principe de la force obligatoire du contrat, ne saurait permettre à l'employeur de modifier celui-ci, voire de le rompre, dans l'exercice de son devoir d'adaptation 583 . Par conséquent, l'adaptation des salariés à leur emploi doit s'effectuer dans le respect des dispositions contractuelles. Ce devoir d'adaptation, présent tout au long du rapport de travail, oblige l'employeur à pratiquer une gestion prévisionnelle des compétences ainsi qu'à mettre en place une politique efficace de formation.

Des textes spécifiques ont aussi pour objet de promouvoir la formation des salariés. Ainsi, l’article L.322-7 du code du travail précise-t-il que les accords d’entreprise conclu dans le cadre d’une convention de branche ou d’un accord professionnel sur l’emploi ouvrent droit ‘’’au bénéfice d’une aide de l’Etat d’un montant forfaitaire par salarié calculé en fonction de la durée de la formation’’’. En outre, les aides du Fonds national de l’emploi ont pour objet de favoriser les actions visant à l’adaptation des salariés à leur emploi (article L.322-1 du code du travail) 584 .

L’accélération de l’évolution des techniques rend impératif ce devoir d’adaptation afin que les salariés puissent maintenir leur ’’employabilité’’.

Si chaque salarié peut se prévaloir d’un droit individuel à l’adaptation à son emploi sur le fondement de l’article 1134 du code civil 585 , c’est en général à l’occasion du licenciement que la défaillance de l’employeur sera démontrée. Licencié pour insuffisance professionnelle, le salarié invoquera alors l’absence de formation pourtant nécessaire au regard de l’évolution de son emploi, ce qui sera sanctionné par le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement.

154. L'obligation de reclassement vise également la pérennité du lien contractuel. En cas d’inaptitude physique, l’obligation de reclassement a une base légale (art. L.122-32-5 et L.122-24-4 du code du travail). A l'inverse du devoir d'adaptation, elle n'intervient que lorsque l'emploi est menacé et peut entraîner la modification du contrat de travail. Le fondement contractuel de cette obligation est critiqué dans la mesure où elle peut conduire à la modification du contrat. Pour certains, ce devoir de reclassement doit être rattaché au droit de l'emploi et au préambule de la Constitution de 1946 qui proclame le droit de chacun de travailler et d'obtenir un emploi 586 . L’employeur doit proposer au salarié un emploi au sein de l’entreprise ou dans les autres sociétés du groupe 587 . Cette obligation impose à l'employeur de tout mettre en œuvre pour éviter le licenciement qui doit demeurer la solution ultime.

D’aucuns parlent d’obligation de moyens renforcée 588 , voire d’obligation de résultat atténuée 589 . Le contenu de cette obligation peut être comparé à celui du plan de reclassement prévu par l'article L.321-4 al.2 du code du travail et sera par conséquent développé lorsque nous aborderons le contrôle judiciaire des décisions économiques de l'employeur.

Ces deux obligations sont inhérentes au contrat de travail et aucune disposition contractuelle ne peut les tenir en échec.

Notes
578.

Cass. Soc., 25 février 1992, Dr. soc., 1992, p.379 ; RJS 4/92, n°421 ; D. 92, p.390, Som.,
p.294, obs. A. Lyon-Caen.

579.

Voir les études générales sur l’obligation de reclassement de F. Héas, Les obligations de reclassement en droit du travail, Dr. soc., 1999, p.504 ; B. Lardy-Pélissier, L’obligation de reclassement, D. 1998, p.399 ; G. Couturier, Vers un droit du reclassement ?, Dr. soc., 1999,
p.497.

580.

Cass. Soc., 1er avril 1992, Bull. V, n°228.

581.

Cass. Soc., 8 avril 1992, Bull. V, n°258.

582.

F. Meyer et C. Sachs-Durand, L'évolution du rapport salarial, in Le droit collectif du travail, Etudes en hommage à H. Sinay, Frankfurt, éd. Nikitas Alipantis, Francis Kessler, 1994, p.382.

583.

A. Bouilloux, L'adaptabilité du contrat de travail, Dr. ouvrier, 1997.

584.

Voir J. Pélissier (sous la direction), Droit de l’emploi, éd. Dalloz, 1999, p.687, n°2401.

585.

A. Jeammaud, La place du salarié individu dans le droit français du travail, in Le droit collectif du travail, op. cit., p.347 (L’auteur souligne que le droit a l’adaptation à l’emploi peut être invoqué par tous les salariés, y compris ceux qui ne font pas l’objet d’une mesure de licenciement).

586.

A. Bouilloux, L’adaptabilité du contrat de travail, op. cit., p.493.

587.

Cass. Soc., 4 mars 1998, Liaisons sociales, Juris. Hebdo., n°7834 du 24 mars 1998 ;
Cass. Soc. 5 oct. 1999, Dr. soc., 1999, p.1113, obs. G. Couturier.

588.

V. B. Lardy-Pélissier, article précité, p.402.

589.

V. H. Blaise, Une jurisprudence en pleine évolution, RJS 2/92, p.90.