TROISIEME PARTIE : CONTRÔLE EXTERNE UN POUVOIR PATRONAL DE DIRECTION

156. Le pouvoir patronal de direction réside dans la faculté de choisir de l’employeur, dans son pouvoir de décision sur les personnes et sur la gestion de l’entreprise. Le contrôle du pouvoir patronal de direction a donc pour objet les choix patronaux.

L’objet de cette partie n’est pas d’étudier le contrôle de légalité pratiqué par le juge ou par l’administration. Il s’agit de savoir dans quelle mesure et selon quels critères des autorités externes à l’entreprise peuvent remettre en cause les choix opérés par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction. La question posée est, par conséquent, celle du contrôle du contenu des décisions patronale et non celle du contrôle du respect des règles substantielles et procédurales qui encadrent, comme nous l’avons vu dans la seconde partie, le pouvoir de direction. Par conséquent, si le propos n’exclut pas toute considération de contrôle de légalité, c’est en tant que celui-ci recouvre éventuellement un contrôle d’opportunité.

Ainsi, l’exigence légale d’une cause réelle et sérieuse en matière de licenciement bride-t-elle l’action de l’employeur en lui imposant de justifier son acte et ouvre-t-elle à un contrôle du contenu de la décision. Il convient dès lors de s’interroger sur l’application de cette règle qui, a priori, est annonciatrice d’un contrôle des choix patronaux et de la logique qui les sous-tend.

Le juge, ou l’administration sous le contrôle de ce dernier, peut-il, ou peut-elle, aller jusqu’à critiquer ou mettre en échec les décisions patronales, au motif qu’elles ne sont pas adaptées aux circonstances ou doit-il s’incliner devant ces choix ? En d’autres termes, est soulevée la question de l’intensité du contrôle exercé sur l’opportunité des choix patronaux.

Cette question du contrôle du pouvoir patronal est relativement récente et se pose avec plus d’acuité encore dans une phase de recomposition de l’appareil productif affectant l’emploi.

157. Longtemps, l’employeur a été considéré comme l’unique maître de l’entreprise, décidant seul des mesures de gestion. Son pouvoir était discrétionnaire. En 1804, le Code civil avait consacré le droit de propriété, déclaré droit ’’inviolable et sacré’’ par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et, sur 2281 articles qu’il contenait, seuls trois intéressaient les rapports de travail. Le Code civil faisait état du ’’louage des gens de travail qui s’engagent au service de quelqu’un’’ et précisait que ‘’’si la convention s’exécute et qu’il y a contestation sur le salaire ou sur son paiement, le maître dont on a suivi la foi est alors cru sur son affirmation…’’’ ‘ 592 ’ ‘.’

Des fondements civilistes est née la doctrine de l’employeur ’’seul juge’’. Le pouvoir de l’employeur ’’seul juge’’ a été consacré par le célèbre arrêt ’’Etablissements Brinon’’, du 31 mai 1956 593 . En l’espèce, une entreprise viable avait déposé son bilan et un salarié demandait à être indemnisé en raison de la faute commise par l’employeur. Le comité d’entreprise s’était inquiété de la manière dont l’entreprise était gérée depuis plusieurs années. Le salarié est débouté au motif que ‘’’l’employeur qui porte la responsabilité de l’entreprise est seul juge des circonstances qui le déterminent à cesser son exploitation, et aucune disposition légale ne lui fait obligation de maintenir son activité à la seule fin d’assurer à son personnel la stabilité de son emploi….’’’.

Les évolutions législatives et principalement la loi du 13 juillet 1973 introduisant l’exigence d’une cause réelle et sérieuse pour tout licenciement, y compris pour motif économique, ne pouvaient pas ne pas mettre en question cette doctrine de l’employeur seul juge. La limite du pouvoir patronal de direction par l’introduction d’une exigence de justification appelle, logiquement, un contrôle du bien fondé de ce pouvoir.

En outre, la référence fréquente à l’intérêt de l’entreprise dans les décisions de justice laisse supposer que le juge tient compte d’intérêts distincts, voire divergents, de ceux de l’employeur pour trancher les litiges qui lui sont soumis. Si le droit positif semble avoir accueilli cette notion 594 , la question reste posée de savoir si elle appelle et autorise un contrôle d’opportunité des décisions patronales.

La gestion ordinaire est du seul ressort de l’employeur. Décider des horaires applicables dans l’entreprise, des méthodes de travail, des cadences à respecter sont autant de décisions qui appartiennent exclusivement à l’employeur. Lorsque les choix patronaux sont susceptibles d’entraîner des conséquences sociales importantes, le législateur impose à l’employeur d’informer et de consulter les salariés. Pour autant, l’employeur reste maître des orientations économiques de l’entreprise dans la mesure où les attributions des représentants du personnel n’ont qu’une portée consultative. Le contrôle du pouvoir de direction, et son éventuelle mise en cause, existent seulement dans l’hypothèse d’une contestation de l’acte patronal devant les tribunaux et dans les cas où la loi l’institue au profit de l’autorité administrative. C’est dans ce cadre qu’il faut se placer (titre I) pour analyser l’intensité du contrôle exercé (titre II).

Notes
592.

G. Aubin, J. Bouveresse, Introduction historique au droit du travail , PUF, 1995, p.105, n°123.

593.

Cass. Civ., 31 mai 1956, JCP 1956, II, 9397, note P. Esmein ; Dr. soc., 1956, p.489 ;
D. 1958, p.21, note Levasseur ; P.21, Grands arrêts, 2ème éd., n°79.

594.

G. Couturier, L’intérêt de l’entreprise , in Les orientations sociales du droit contemporain, Ecrits en l’honneur de J. Savatier, Dalloz, 1992, p.143 et suiv.