219. S'il a pour mission de normaliser les rapports le travail, de protéger le salarié contre l'arbitraire des décisions patronales et de préserver autant que faire se peut les emplois, le juge n'est pas responsable du fonctionnement de l'entreprise. Son domaine d’intervention est limité à l’objet de la demande dont il est saisi et il n'a ni les moyens ni la compétence pour juger des décisions en amont des mesures litigieuses. Pour cela, la proposition doctrinale de créer une ’’magistrature économique’’ qui opérerait un contrôle de légalité supposant une appréciation d'ordre économique voire un pur contrôle d'opportunité économique 817 ne paraît pas viable. Cette magistrature économique se heurterait elle aussi à la conception libérale de l'entreprise dans une économie de marché et au pouvoir de gestion du propriétaire-employeur qui en découle.
La direction de l'entreprise et les risques afférents relèvent du pouvoir de l'employeur et il n'entre pas dans le rôle du juge de prendre des mesures au lieu et place de celui-ci, mesures qui par ailleurs, peuvent avoir des incidences non maîtrisées dans le temps. En outre, les aléas liés à l'exercice d'un contrôle d'opportunité pèseraient inégalement sur la gestion des entreprises. Dès lors, il convient, lorsque l'employeur invoque une réalité économique justifiant de prendre des mesures de lui laisser la responsabilité de ses choix. Le rôle du juge est de vérifier que l’argumentation patronale repose sur des éléments objectifs mais non de décider au lieu et place de l’employeur des mesures à mettre en œuvre.
220. L'idée selon laquelle l'employeur a une fonction économique et sociale et commettrait une faute s'il privilégiait un aspect sur l'autre est erronée car elle repose sur une conception inexacte et irréaliste de l'entreprise. Celle-ci est la propriété de l’employeur et l’exercice du droit de propriété n’est pas subordonné à des exigences d’ordre social. Par conséquent, la protection des intérêts fondamentaux des salariés et la préservation de l'emploi ne seront effectives que si elles font l'objet d'un traitement préventif et si des sanctions efficaces sous-tendent le dispositif. Le droit à l'emploi et la défense de l'emploi sont indissociables des droits fondamentaux des salariés.
Cela implique une participation efficace des salariés à la réflexion, aux propositions et au contrôle des entreprises. Il convient de renforcer leurs moyens d'action en amont de la décision patronale. Faute de pouvoir imposer à l'employeur de considérer les exigences sociales comme de véritables facteurs de décisions, il faut le contraindre à expliciter ses choix de façon très précise et renforcer la participation collective des salariés. L'analyse judiciaire a posteriori de la justification d'une décision patronale prise sans suffisante concertation ni suffisant examen de solution alternative ne saurait être un moyen efficace de rationalisation du pouvoir patronal, d'autant que, comme nous l'avons vu précédemment, l'opportunité de la décision n'est pas abordée.
A. Jacquemin, RTD Commercial, 1977, p.421.