§ 2 : Propositions pour une rationalisation renforcée du pouvoir patronal de direction.

La rationalisation du pouvoir de direction ne peut être effective que si elle s’organise en amont de la décision patronale.

A Renforcement des droits des salariés en amont de la décision patronale.

221. Concernant les droits individuels, il conviendrait de généraliser un droit de recours suspensif contre tout licenciement, pour motif personnel ou pour motif économique, ouvert au salarié menacé et à un syndicat représentatif. Aujourd'hui, le salarié qui fait l'objet d'une mesure de licenciement est démuni tout au long de la procédure. Seule une action judiciaire a posteriori lui permet de contester la décision et, en outre, sauf motif discriminatoire prouvé, il perd son emploi. Le droit de recours suspensif du salarié pourrait être porté devant la formation de référé du conseil des prud’hommes et les syndicats devraient avoir le droit de saisir cette juridiction pour obtenir la suspension de la procédure de licenciement. Dans un souci de simplification, le conseil des prud’hommes serait compétent quel que soit le demandeur, salarié ou syndicat. Afin que ce recours puisse être formé, le délai entre la convocation à entretien préalable et la lettre de licenciement devrait être allongé. Ce recours suspensif ne méconnaît pas la liberté constitutionnelle de l’employeur de choisir ses collaborateurs mais simplement lui impose de se justifier avant de prendre une décision radicale et définitive.

Ce recours pourra être fondé sur les articles R.516-30 et R.516-31 du code du travail. L’article R.516-30 indique que, dans les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de Prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. Quant à l’article R. 516-31 du code du travail, il prévoit que ’’la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite’’. Sur le fondement de ces articles, on peut envisager que le juge des référés suspende une procédure de licenciement dés lors que la procédure engagée par l’employeur ne respecte pas les exigences légales. Cette suspension de procédure rappelle ce qui se fait déjà lorsqu’est critiqué l’insuffisance du plan social ou le défaut du plan de reclassement. L’employeur ne pourra procéder à la rupture du contrat de travail qu’après régularisation de la procédure. Lorsque la contestation porte sur le bien-fondé des motifs du licenciement, le juge des référés, qui ‘’’est aussi le juge de l’apparence ’’’ 818 , pourrait apprécier la consistance des motifs et suspendre la procédure le cas échéant.

L’employeur serait alors dans l’obligation de communiquer des informations supplémentaires sur les motifs de licenciement et les mesures de reclassement envisagées lorsqu’il s’agit d’une décision d’ordre économique. En matière d’insuffisance professionnelle, ce recours permettra au salarié d’avoir des éléments de défense et de rapporter éventuellement la preuve d’une discrimination. L’employeur supportera ainsi la charge de l’attente et le salarié sera maintenu dans son emploi.

Ce droit à l'information doit être étendu au salarié pendant la période d'essai, ce qui ferait disparaître la figure singulière de l’essai en matière de rupture. Il conviendrait d'obliger l'employeur à formuler précisément les motifs qui le conduisent à interrompre la période d'essai ou à ne pas poursuivre la relation de travail au terme de cette période.

222. Cette conviction selon laquelle le traitement des problèmes par anticipation permet d'éviter les licenciements et de préserver l'emploi est celle du législateur en matière de licenciement pour motif économique. Si le pouvoir dans l'entreprise tel qu'il est conçu aujourd'hui ne permet pas de développer un contrôle judiciaire approfondi des décisions de gestion, celui-ci a par contre toute latitude pour s'appliquer aux conséquences du licenciement. L’article L.321-4-1 du code du travail dispose notamment que ‘"dans les entreprises employant au moins 50 salariés, lorsque les licenciements envisagés concernent au moins 10 salariés dans une même période de trente jours, l'employeur doit établir et mettre en œuvre un plan social pour éviter les licenciements et faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait pas être évité.....". "La procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu'un plan de reclassement intégré au plan social n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel....."’ (article L.321-4-1 alinéa 2).

L’article L.321-4-1 inventorie une palette de mesures allant de la formation à la réduction de la durée du travail, au développement d’activités nouvelles. Ces mesures ne sont citées qu’à titre d’exemples. La seule obligation légale à la charge de l’employeur est de ‘’’prévoir des mesures autres que les dispositions concernant les conventions de conversion’’.’

Le juge des référés du tribunal de grande instance apprécie la régularité de la procédure d’information, et de consultation des institutions représentatives du personnel. De même, il exerce un contrôle approfondi sur le plan social et le plan de reclassement et a posé plusieurs exigences de validité.

223. Tout d'abord, le plan social doit répondre à une exigence de consistance. Les dispositions contenues dans ce plan doivent être précises et suffisamment rigoureuses pour permettre aux représentants du personnel de porter une appréciation. L'employeur ne peut se contenter d'une pétition de principe 819 . Dans la continuité de ce principe, les juges examinent les efforts effectués pour reclasser les salariés.

Le plan de reclassement conforte la consistance du plan social. Le plan de reclassement doit comprendre des ‘"mesures précises et concrètes de nature à éviter les licenciements et à en limiter le nombre"’ 820 . Il doit fournir des précisions "permettant de déterminer si les postes offerts sont de nature à permettre un reclassement efficace" 821 .

Le reclassement peut être externe ou interne à l'entreprise ou au groupe 822 . De multiples dispositifs répondent au reclassement externe : antennes d'emploi, aides à la mobilité géographique..... Quant à de l'obligation de reclassement interne, sur laquelle le contrôle des juges est intense, la Cour de cassation en a précisé les contours. L'espace de reclassement est constitué ‘"à l'intérieur du groupe par les entreprises dont les activités, l'organisation et le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel"’ 823 . Les permutations doivent être possibles. Cette définition est pragmatique et n'enferme pas l'obligation de reclassement dans un espace rigide. Aussi, dans un arrêt en date du 7 octobre 1998 824 , la Cour de cassation a étendu l'obligation de reclassement aux entreprises situées à l'étranger, dés l'instant que la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de salariés étrangers.

Enfin, le plan social doit répondre au principe de proportionnalité 825 . Les juges doivent prendre en considération la taille de l'entreprise et du groupe auquel elle est éventuellement intégrée et les moyens financiers dont elle dispose.

L’application de l’exigence de proportionnalité conduit la Cour de cassation à exiger que les mesures envisagées soient quantitativement et qualitativement satisfaisantes. Dans un arrêt du 28 mars 2000 826 , la Cour renforce les exigences de proportionnalité et de pertinence.

En l’espèce, un employeur propose à 14 salariés, dont il envisage le licenciement, trente postes au sein d’une filiale du groupe au titre du reclassement. Relevant qu’il disposait des moyens pour enrichir son plan social, la Chambre sociale invalide ce dernier.

L'employeur doit mettre en œuvre les mesures envisagées dans le plan social. En refusant à des salariés de travailler à temps partiel, ce qui aurait permis l'application d'une des mesures du plan social, l'employeur commet une faute causant aux salariés licenciés un préjudice résultant de la perte d'une chance de conserver un emploi 827 . Le juge opère donc un contrôle qualitatif du plan social, obligeant l'employeur à prévoir les conséquences de ces décisions à l'égard de ses salariés. L'importance du plan social est d'autant plus effective que la Cour de cassation, dans les célèbres arrêts La Samaritaine 828 , a considéré comme nuls les licenciements consécutifs à une procédure de licenciement elle-même atteinte de nullité du moins lorsque cette nullité résulte d'une carence du plan social. Autrement dit, les salariés licenciés peuvent prétendre retrouver leur emploi. Ces arrêts ont fait couler beaucoup d'encre et certains ont pu écrire que l'équilibre des entreprises était menacé. La Cour de cassation n'a cependant fait qu'une application littérale de l'article L.321-4-1 al. 2 du code du travail. Sauf à rendre inopérante la sanction prévue par ce texte, elle ne pouvait statuer dans un sens différent 829 .

Ainsi, aux deux cas de nullité prévus par les textes en matière de licenciement, celui des licenciements attentatoires aux droits fondamentaux ou libertés des salariés et celui des licenciements irréguliers des salariés protégés, s'ajoute celui des licenciements consécutifs à une procédure atteinte de nullité pour carence du plan social. Le maintien de l'emploi, selon ‘"le critère des intérêts à sauvegarder"’ 830 , requiert cette sanction de nullité.

Le contrôle approfondi exercé par le juge de droit commun sur les plans sociaux ne peut, cependant, suppléer les actions des salariés eux-mêmes et leurs représentants dans la gestion des entreprises.

Notes
818.

F. Lepany, Les pouvoirs du juge et les voies procédurales, Dr. ouvrier, 1999, p.115.

819.

Cass. Soc., 18 novembre 1998, Liaisons sociales, 29 décembre 1998, n°611, p.5.

820.

Cass. Soc., 17 mai 1995, "Everite", Dr. soc., 1995, p.570, Sem. Soc. Lamy, n°746, p.3, D. 1995, p.436.

821.

Cass. Soc., "La Samaritaine", 13 février 1997, Dr. soc., 1997, p.249, concl. P. de Caigny, note G. Couturier

822.

F. Héas, Les obligations de reclassement en droit du travail , Dr. soc., 1999, p.504 ;
B. Lardy-Pélissier, L’obligation de reclassement , D. 1998, p.399.

823.

Cass. Soc., 5 avril 1995, Dr. soc., 1995, p.482.

824.

Cass. Soc., 7 octobre 1998, Liaisons sociales, 29 octobre 1998, n°601.

825.

Cass. Soc., 30 septembre 1997, Barraud, Liaisons sociales, Juris Actualité n°7759 du
13 novembre 1997.

826.

Cass. Soc., 28 mars 2000, Liaisons sociales n°669 du 10 avril 2000.

827.

Cass. Soc., 6 mai 1998, RJS 6/9, n°715, p.456.

828.

Cass. Soc., 13 février 1997, Dr. soc., 1997, p.255, concl P. de Caigny et note G. Couturier.

829.

G. Couturier et J. Pélissier, Nullité du plan social, Sem. Soc. Lamy n°829, 3 mars 1997,
p.3 ; T. Grumbach, Encore une fois sur les arrêts La Samaritaine, Dr. soc., 1997, p.331.

830.

B. Bossu, La sanction d'un plan social non conforme aux exigences légales, Dr. soc., 1996, p.383.