Conclusion de la troisième partie

234. Le contrôle du pouvoir patronal de direction par des autorités externes à l’entreprise, plus particulièrement le juge judiciaire depuis la réforme de 1986, s’est renforcée sous l’impulsion du législateur. Le juge doit, aujourd’hui, s’assurer de l’objectivité des décisions patronales et de leur justification au regard de l’intérêt de l’entreprise, ce qui permet à M. Waquet d'écrire que ‘’’le pouvoir discrétionnaire a pratiquement disparu et que, en cas de litige, le juge doit trancher, sans prétendre que l’employeur est “seul juge”’’’ 863 . L’intensité de ce contrôle varie selon qu’il s’exerce sur le pouvoir de direction des personnes ou sur le pouvoir économique.

En matière de direction des personnes, la Cour de cassation se montre très exigeante sur la motivation des décisions patronales contraignantes pour les salariés. L’employeur doit étayer son argumentation d’éléments objectifs et matériellement vérifiables 864 . La primauté accordée à une augmentation objective est la seule voie respectueuse des libertés et droits fondamentaux des salariés. En matière de licenciement, la Cour de cassation impose à l’employeur d’énoncer avec rigueur la motivation de la rupture dans la lettre de licenciement 865 .

La décision patronale doit en outre être justifiée par l’intérêt ou les nécessités de l’entreprise. Ce critère de finalité se retrouve notamment dans l’analyse judiciaire des clauses du contrat de travail qui tendent à limiter les libertés individuelles des salariés 866 . Les juges se livrent alors à un contrôle de proportionnalité visant à instaurer un équilibre entre les droits et libertés des salariés et l’intérêt de l’entreprise.

En matière économique, le contrôle juridictionnel est beaucoup plus formel. Le juge ne s’immisce pas dans la gestion de l’entreprise. Son contrôle se limite à l’examen de l’objectivité de la mesure proposée et ‘’’à imposer une certaine conception de la justice sociale à travers l’examen du caractère réel et sérieux du licenciement’’’ 867 . Le pouvoir de direction économique de l’employeur est reconnu et respecté, et l’opportunité de la mesure contestée n’est pas appréciée. La détermination de l’intérêt de l’entreprise et le choix des moyens visant à le satisfaire appartient à l’employeur. Ainsi, le juge admet-il ‘’’sans difficulté ce qu’il appelle maintenant “l’objectif de compétitivité” que poursuit l’entreprise’’’ 868 . Par contre, la Cour de cassation fait preuve d’une grande exigence relativement au respect des procédures de dialogue et des obligations de plan social. ‘’’La politique volontariste de la Cour de cassation’’’ 869 est toutefois limitée, le juge étant lié par les textes.

Par conséquent, la rationalisation du pouvoir de direction est à rechercher dans un renforcement de la concertation entre employeur et salariés sur les scénarios d’évolution possibles 870 . Anticipation, information, concertation, il conviendrait de donner à ces trois termes, fréquemment utiliser en la matière, une consistance plus forte afin d’envisager de réelles solutions pour le maintien de l’emploi. Garantir l’emploi suppose également de sanctionner par la nullité les décisions de licenciement qui contreviennent aux règles légales.

Ces propositions viendraient concrétiser et enrichir le droit constitutionnel à l’emploi et à conserver son emploi - dont deux auteurs ont démontré la ’’réelle positivité’’ 871 – tout en respectant la liberté d’entreprendre de l’employeur.

Notes
863.

Ph. Waquet, Le juge et l’entreprise, Dr. soc., 1996, p.476.

864.

La jurisprudence relative à la perte de confiance est à ce titre exemplaire, Voir Cass. Soc., 29 novembre 1990, D. 1991, p.190, note J. Pélissie r; Cass. Soc., 14 janvier 1998, RJS 3/98, n°292 ; Cass. Soc., 26 janvier 2000, Liaisons sociales n°661 du 14 février 2000.

865.

Cass. Soc., 29 novembre 1990, Bull. civ. V, n°59 8; Cass. Soc., 26 janvier 2000, op. cit.

866.

Cass. Soc., 14 mai 1992, RJS 6/92, n°735 (concernant une clause de non-concurrence) ; Cass. Soc., 12 janvier 1999, Dr. soc., 1999, p.287 (concernant une clause de mobilité).

867.

M. C. Escande-Varniol, La Cour de cassation et l’intérêt de l’entreprise, op. cit.

868.

B. Balmary, Le droit de licenciement économique est-il vraiment un droit favorable à l’emploi ?, Dr. soc., 1998, p.131.

869.

J. E. Ray, La politique volontariste de la Cour de cassation, Sem. Soc. Lamy, n°829,
3 mars 1997.

870.

B. Balmary, Le droit de licenciement économique est-il vraiment un droit favorable à l’emploi ?, op. cit.

871.

A. Jeammaud et M. Le Friant, L’incertain droit à l’emploi, op. cit.