A- Une histoire législative mouvementée : vers une démocratisation des casinos

1- Les jeux traditionnels

Au début des années 1980, les salles de jeux traditionnels sont de moins en moins fréquentées en France. Ce sont les premiers jeux qui ont été autorisés légalement dans les casinos français et ce sont eux aussi qui leur ont donné cette image de grandeur et d'élitisme.

Qui sont-ils et pourquoi ont-ils dû céder la place aux machines à sous dans les casinos ?

‘"Selon le décret n°59-1489 du 22 décembre 1959 portant sur la réglementation des jeux dans les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques (modifié par les décrets du 19 juin 1969 et du 20 août 1987), l'article 1 prévoit que peuvent être autorisés dans les casinos les jeux de hasard suivants :’
  1. La boule et le vingt-trois ;
  2. Les autres jeux dits de "contrepartie", à savoir la roulette, la roulette dite "américaine", la roulette dite "anglaise", le trente et quarante, le black jack, le craps et le punto banco ;
  3. Les jeux dits " de cercle", à savoir le baccara chemin de fer, le baccara à deux tableaux à banque limitée, la baccara à deux tableaux à banque ouverte et l'écarté"- Recueil des textes relatifs à la réglementation des jeux dans les casinos, Travaux de recherches et mise à jour effectués sous la direction de Maître Laurence Lichtmann, Avocat à la cour de Paris, éditions a.m.i., décembre 1987..

Selon le titre IV de cette même loi, article 14, l'accès à la salle des jeux traditionnels "‘est subordonné à la délivrance d'une carte d'admission passible du droit de timbre mentionné à l'article 945 du code général des impôts’" 56 .

En résumé, pour entrer dans une salle de jeux traditionnels dans un casino, il faut être âgé de plus de 21 ans, présenter obligatoirement une pièce d'identité, car le casino doit inscrire le joueur sur un fichier qui sera transmis au ministère de l'intérieur, et s'acquitter d'un droit d'entrée d'environ 70 Frs correspondant à un timbre fiscal auquel est souvent ajouté un montant variable destiné au casino. Les mises minimales imposées aux tables de roulette par exemple sont souvent de 10 ou 20 Frs ou plus. Ces minima sont fixes, ce qui veut dire qu'une table dont la mise est fixée à 200 Frs pendant la semaine ne peut pas passer à 100 Frs le week-end. Ce qui veut dire aussi que, en cumulant le droit d'entrée et la mise minimale, il faut au minimum 100 Frs ( en jouant à une table où le minimum est de 10 Frs par exemple) pour pouvoir jouer une ou deux parties. Le port d'une tenue correcte est exigée, celui de la cravate reste souvent obligatoire.

Toutes ces obligations représentaient un frein non seulement financier mais aussi psychologique qui fait que peu de personnes osaient entrer dans un casino, pensant que c'était un lieu réservé à une catégorie de personnes dont il ne faisaient pas partie.

Alors que les machines à sous ont ouvert une nouvelle ère pour les casinos, les jeux traditionnels, quant à eux, restent le vestige d'une époque révolue et d'un prestige conservé, mais surtout ils sont une espèce en voie de disparition. L'ambiance y est encore feutrée et pleine de sérieux. Ils sont situés dans une salle distincte de celles des machines à sous, distinction imposée par la législation française.

‘"Une étonnante maladie, celle du jeu, ou de la flambe, dont ont été atteints Tchekhov et Dostoïevsky ; le prince de Galles, futur Édouard VII, et Léopold II, roi des Belges ; le prince Gargarine, fils ruiné de la grande noblesse russe, et qui fut réduit à servir de larbin aux joueurs, afin de quémander quelques piécettes et continuer à miser, et le milliardaire Américain Vanderbilt, qui en une seule nuit gagna 6 millions à la roulette en 1914. Une maladie de riches, une maladie de privilégiés, une maladie propre à la noblesse décadente. Une maladie qui se perd, éradiquée peu à peu par la maladie des jeux de masse." 57

Dans la plupart des casinos, la salle des jeux traditionnels est presque déserte 58 , et, depuis le milieu des années 1970 leur recette brute est en déclin constant.

‘"Les joueurs n'existent plus. Les gros joueurs s'entend ceux capables de miser sans sourciller plusieurs millions de francs sur un numéro à la roulette ou une carte au Baccara. Les Onassis, Opel, Henessy, Farouk. Les cheiks arabes débarquant de leur jets privés, réservant à eux tout seuls une table de roulette et jouant mécaniquement un million à la minute."59

En effet, la crise pétrolière, au milieu des années 70, a affaibli les moyens financiers de la plupart d'entre eux. La fin des trente glorieuses a marqué la fin de l'âge d'or des casinos dont la gloire était déjà bien entamée.

Il est indiscutable que jusqu'à l'arrivée des machines à sous, la clientèle des casinos était généralement fortunée et appartenait à un milieu social assez élevé même si elle avait évolué avec les changements économiques de la société (l'aristocratie avait disparu avec le première guerre mondiale).

Le Palm Beach à Cannes, fondé en 1929, par Henri RUHL a été démoli en 1991 pour reconstruire un casino moderne adapté à l'arrivée des machines à sous. "Le décor luxueux, les costumes de soirée, l'armada de valets glissant comme des ombres, à l'affût du moindre désir des flambeurs, les lumières tamisées des lustres en cristal de baccarat, et le silence, surtout ce silence uniquement ponctué du cliquètement des jetons ratissés par les croupiers et des mystérieuses annonces que ces derniers clamaient à haute voix : "faites vos jeux, messieurs... 36 rouge pair et passe 60 ", tout cela a disparu pour laisser place aux machines à sous et à l'ambiance bruyante des pièces qui tombent et des gens qui crient, les lustres sont remplacés par des néons et le costume de soirée obligatoire par une tenue "correcte" (terme à signification très large). La pratique élitaire des jeux traditionnels a laissé place à la pratique populaire des machines à sous : "‘gagner au jeu n'a plus rien à voir avec ce frisson esthétique de dandy qu'ont décrit les flambeurs impénitents d'hier, de Scott FITZGERALD à Françoise SAGAN’" 61 .

Une autre contrainte des jeux traditionnels est qu'ils imposent une connaissance parfois poussée des règles du jeu et une véritable compétence dans leur mise en pratique. Jouer à la roulette n'est pas vraiment facile, mis à part le fait que l'on peut pousser un jeton sur une case et attendre le tour de cylindre. Si le joueur veut mettre en oeuvre une stratégie, il doit savoir ce qu'est un carré, ou jouer à cheval, afin d'optimiser ses chances. Même chose pour le black jack auquel on ne peut pas jouer si l'on se sait pas compter les points qui correspondent aux cartes.

Mais pour aller plus avant, il est nécessaire de recourir maintenant à la typologie désormais classique des jeux établie par Roger Caillois 62 .

Notes
56.

- Ibid.

57.

- BRASEY Edouard, La république des jeux, Laffont, 1992.

58.

- Un seul casino fait exception à cette règle, celui d'Enghiens-les-Bains qui ne fonctionne qu'avec les jeux tradtionnels car il n'a jamais obtenu l'autorisation du Ministère de l'Intérieur d'exploiter les machines à sous.

59.

- BRASEY Edouard, La république des jeux, Laffont, 1992.

60.

- BRASEY Edouard, ibid p. 188.

61.

- BRASEY Edouard, La république des jeux, Laffont, 1992. p. 253. Nous n'avons pas insisté sur l'image du dandy, parce qu'elle bien entendu une des formes du joueur fortuné.

62.

- Caillois Roger , Les jeux et les hommes, Gallimard, Paris, 1985.