C- Le casino : mode de gestion d'une entreprise sous surveillance

Jusqu'il y a peu, donc, les casinos étaient affectés d'une très mauvaise réputation. Celle-ci, en France, était en grande partie due à toutes les affaires mafieuses qui ont concerné les casinos de la côte d'Azur et d'autres. Les dirigeants des casinos, à l'heure actuelle, veulent désormais être considérés comme les dirigeants d'une entreprise aussi légitime que les autres et font tout pour construire cette légitimité. Certes les casinos sont des entreprises plus surveillées que les autres à cause des risques engendrés par les montants colossaux d'argent qui y circulent, et la suspicion qui règne toujours à leur sujet.

Les premiers à "avoir fait le ménage" sont les américains. Las Vegas, après bien des péripéties, a voulu retrouver l'image d'une ville "propre" et éliminer tout risque de banditisme ou de fraude. A la fin des années 60, l'industrie du crime qui contrôlait la ville est éliminée par les pouvoirs publics. Toute personne qui veut posséder ou gérer un casino doit posséder une autorisation délivrée par les autorités municipales. Celle-ci est donnée après une enquête minutieuse sur la personnalité du demandeur ainsi que sur ces relations (aussi bien le propriétaire que l'actionnaire). Cela a eu pour conséquence l'entrée de gros groupes financiers comme Ramade ou Hilton dans la gestion des hôtels-casinos de la ville. Ces derniers bénéficient maintenant d'une image de respectabilité qui a rejailli sur la ville toute entière. Aujourd'hui Las Vegas est une ville gérée dans sa plus grande partie par des conglomérats cotés en bourse, ce qui renforce encore cette image de ville "saine". Des groupes comme Le Mirage (propriétaire du Golden Nugget, du Mirage, du Treasure Island), Mandalay ou Circus Circus Enterprises (propriétaire de l'Excalibur, du Luxor, du Circus Circus ou du Silver City casino), Park Place Entertainment (le Caesar's, le Flamingo Hilton...) et d'autres se partagent les plus beaux palaces de Las Vegas dont les profits (cash-flow moyen : 25% du CA) leur permettent de financer de nouveaux hôtels et donc de continuer leur expansion, tout en entretenant l'image d'un business rentable et respectable 104 .

En France, les législateurs ont compris dès 1959 que cette industrie présentait un risque de connexion mafieuse à prendre en compte. Ils ont donc commencé à légiférer pour la limiter avec l'article 2 de la loi de 1959. Celui-ci interdit d'affermer les activités du casino. Le directeur et les membres du comité de direction n'ont pas le droit de jouer. La concession de jeu ne peut être cédée ni à titre onéreux, ni à titre gratuit. Ensuite au fur et à mesure des années d'autres lois ont permis de renforcer la surveillance et la réglementation des casinos. Gaston Deferre, en présentant son projet de loi visant l'interdiction totale des machines à sous, cherchait à supprimer toute possibilité d'implantation de la mafia par ce biais. Ces machines sont d'"excellentes gagneuses" pour le milieu 105 . La fabrication, l'importation et l'exploitation de ces machines sont donc formellement interdites. Une dérogation pour leur exploitation uniquement dans les casinos a donc été accordée par le biais du décret de 1987 et cela dans des conditions extrêmement réglementées. Les seuls modèles de machines autorisés sont ceux agréés par le ministère de l'intérieur. Leur nombre par casino est lui aussi réglementé par cette même autorité. Cette autorisation est valable pour une durée limitée renouvelable par demande. Elle est faite pour un nombre précis de machines. Celles-ci doivent être acquises à l'état neuf auprès des SFM qui sont des distributeurs agréés 106 . Elles ne peuvent pas être cédées à d'autres casinos et doivent donc être exportées ou détruites une fois qu'elles ne servent plus. "‘Les personnes physiques ou morales qui fabriquent, importent, vendent ou assurent la maintenance des appareils visés à l'alinéa précédent ainsi que les différents modèles d'appareils sont soumis à l'agrément du ministère de l'intérieur. Un décret en conseil d'État définit les modalités de calcul du produit brut des jeux provenant des appareils et les conditions dans lesquelles sont fixés les taux de redistribution des mises versées au joueur’" 107 . Le décret du 20 août 1987 prévoit aussi que le directeur responsable et les membres du comité de direction "veillent en permanence à la sincérité des jeux et à la régularité de leur fonctionnement. La comptabilité des jeux doit être séparée de la comptabilité des autres activités de l'établissement. Le plan comptable est établi par un arrêté du ministère de l'intérieur et du ministre des finances. Tous les documents doivent être maintenus en permanence à la disposition des agents des autorités évoquées précédemment. Tous les employés du casino ne peuvent y travailler qu'en ayant obtenu un agrément du ministère de l'intérieur, le dossier à présenter contient un extrait de leur casier judiciaire. Une enquête de moralité est effectuée pour tous les membres du comité directoire et les actionnaires du casino. Les articles 5 à 13 de l'arrêté du 23 décembre 1959 modifié par les arrêtés du 9 août 1962, du 10 septembre 1969, du 20 novembre 1976, du 7 novembre 1986, du 26 août 1987 et enfin du 9 mai 1997 imposent toutes une série d'obligation à respecter pour toutes les personnes travaillant dans un casino (interdiction aux employés de jouer, d'avoir des jetons à titre personnel sur eux, de prêter de l'argent aux joueurs...). Comme la législation le laisse à entendre, les casinos sont des entreprises qui en fait laissent très peu de place au hasard en matière de gestion et de fonctionnement.

L'arrêté du 9 mai 1997 constitue encore un renforcement de la surveillance et de la sécurité dans les casinos. Il prévoit que "sous réserve des dispositions de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, les salles de jeux autres que celles où sont exploités uniquement les jeux de cercle, la boule et le vingt-trois doivent être équipées d'un système de vidéo-surveillance des tables, des caisses, de la physionomie et de la salle des coffres avec enregistrement du son pour les tables et les caisses. Les cassettes vidéo sont conservées une semaine" 108 . La vidéo-surveillance est un élément important des casinos. Elle surveille tout ce qui se passe au casino. Tous les agents de la sécurité y sont reliés par talkie-walkie. Elle filme toutes les parties de jeu et permet de régler les litiges (dans le cas où deux joueurs se disputent la paternité de leurs jetons par exemple). Les cassettes sont archivées pendant trois jours et à la disposition de la police des jeux. Elle permet de suivre un client à la trace en cas de comportement suspect (savoir le montant exact changé à son arrivée et à son départ par exemple). Elle est aussi un élément de surveillance du personnel. Elle fonctionne durant toute l'ouverture du casino 109 .

Les mouvements de trésorerie sont eux aussi très contrôlés. Les jetons sont suivis depuis la caisse où le joueur les prend jusqu'à la salle de comptage (où une balance électronique fait leur pesée). Un ordinateur relié à toutes les machines suit leurs mouvements. Il y a ensuite une confrontation entre les données de l'ordinateur et celles données par la pesée. Lorsqu'un jeton perdu (orphelin) est découvert par un membre du personnel, ce dernier doit le signaler à une caméra.

La police des jeux est elle aussi très présente dans les casinos et chargée de faire respecter une réglementation déjà très poussée. Selon les dirigeants des casinos, ils sont une des professions les plus contrôlées de France. Les renseignements généraux peuvent à tout moment intervenir dans les salles de jeux, demander à voir les comptes, vérifier le système de sécurité (les frais de contrôle sont à la charge du casino). En cas d'anomalies comptables ou fiscales, la sanction peut aller jusqu'à la fermeture du casino.

Un rapport de la commission d'enquête de l'assemblée nationale sur les moyens de lutter contre les tentatives de pénétration de la mafia en France déclare qu'il n'existerait plus d'intérêts italiens dans les casinos français depuis 1991 et la fermeture du casino de Chamonix. Le fait qu'il existe une concentration de l'exploitation des casinos au profit de grands groupes français comme Partouche ou Barrière a assaini la profession 110 .

Enfin Frédéric Bir 111 reprend un à un les préjugés associés aux casinos et montre que ceux-ci ne sont plus fondés et que l'activité des casinos est tellement contrôlée que les risques sont inexistants.

Ces exemples montrent que l'association mythique entre la mafia et les casinos a désormais disparu. La crainte de toute fraude ou de toute intrusion du banditisme a conduit à une surveillance sourcilleuse et à une réglementation extrêmement sévère. Cela a permis le rétablissement d'une respectabilité indéniable qu'exprime le fait que, en France comme aux États-Unis, la plupart des groupes qui gèrent les casinos sont maintenant cotés à la Bourse.

Notes
104.

- Capital, n°97, octobre 1999.

105.

- Plenel Edwige, "Le projet d'interdiction des machines à sous", Le Monde , 22/4/1983. Yung Eric, Après le grand "tilt", Le Quotidien de Paris , 22/4/1983.

106.

- Les machines doivent obtenir une homologation du ministère de l'intérieur pour pouvoir être exploitées en France. Les marques agréées sont : Aristocrat (Australie), Atronic (allemagne), Bally (U.S.A), Cirsa (Espagne), Franco Récréativos (Espagne), International Gaming Technology (U.S.A), Sigma (Japon), Universal (Japon), Williams (U.S.A).

107.

- Réglementation des jeux dans les casinos , les éditions des journaux officiels, édition mise à jour le 30 avril 1997. Le produit brut ainsi calculé est théorique et diffère du produit brut réel. Le taux de redistribution légal est de 85% mais il peut > ou = selon la machine.

108.

- Réglementation des jeux dans les casinos , Les éditions des journaux officiels, édition mise à jour le 30 avril 1997.

109.

- Dossier spécial "Casinos : "Le guide de l'apprenti flambeur", Capital , n°59, août 1996.

110.

- Extraits du rapport remis le 27 janvier 1993, dépôt publié au journal officiel du 28 janvier 1993, Casinos et tourisme , Les cahiers espaces , n°38, octobre 1994.

111.

- Bir Frédéric, La mutation du marché des casinos français, Casinos et tourisme , Les cahiers espaces , n°38, octobre 1994.

112.

- Réglementation des jeux dans les casinos , les éditions des journaux officiels, édition mise à jour le 30 avril 1997.