a- Les débats à l'Assemblée Nationale

La discussion pour la proposition de loi concernant l'autorisation d'exploiter des machines à sous dans les casinos a eu lieu lors de la première séance du 17 décembre 1987 sous la présidence de Monsieur Claude Evin. Elle commence par la discussion des conclusions d'un rapport sur la situation économique des casinos en France. Cette proposition de loi a deux buts : le premier est la légalisation des machines à sous dans les casinos, le deuxième de leur permettre l'acquisition d'autant de licences qu'ils proposent de points de ventes de boissons (c'est à dire une règlementation identique à celle des hotels classés "de tourisme"). La première partie de ce débat a été consacrée aux enjeux économiques que représentent les casinos, non seulement pour l'Etat mais aussi pour la commune où ils sont implantés. Le rapporteur rappelle que le produit brut des jeux pour l'année 1985/86 était de 842 MF, en baisse de 138,5 MF par rapport à celui de 1984/85 (980,5 MF). Le prélèvement de l'Etat qui était de 326,9 MF en 1984/85 est descendu à 263 MF pour l'année 1985/86, soit une perte nette de 63,9 MF pour l'Etat.

Les casinos en France emploient alors 10 000 personnes, et sont souvent le premier employeur des petites communes où ils sont établis. La principale raison de cette proposition de loi est donc que ce secteur est en crise. Depuis une quinzaine d'années, le produit brut des jeux a subi une baisse de 19,6% et c'est l'année 1985-86 qui avait enregistré la plus forte baisse (record historique) : 14,1%. Un casino sur trois est en cessation de paiement, six sont en redressement judiciaire. Le rapport conclut que cette situation catastrophique est due au fait que la règlementation en France empêche la modernisation des jeux autorisés et freine le développement économique des casinos français par rapport à leurs homologues européens. Ensuite le rapporteur rappelle les lois sur l'interdiction d'exploitation des machines à sous dans les lieux publics et dans les débits de boissons, et les liens entre ces machines et le banditisme (qui avait réalisé de gros profits grâce à elles). Puis il souligne que la situation est tout à fait différente en Europe où 10 pays sur 12 ont légalisé ce type de machine en les considérant comme un jeu "normal", correspondant aux goûts d'une clientèle moyenne mais plus nombreuse. Ces pays représentent donc une concurrence pour la France, et celle-ci n'a pas les moyens de rivaliser. "‘L'objectif de cette loi est double. D'abord, celui de sortir le secteur d'activité des casinos d'une crise grave que nous avons rapidement évoquée. Ensuite celui de moderniser et d'harmoniser notre législation avec celle des autres pays européens. Elle consiste à autoriser les appareils automatiques de jeux de hasard, dits machines à sous, dans les seuls casinos, enceintes règlementées et étroitement contrôlées’" 114 . Elles représenteraient ainsi une nouvelle source de financement pour les casinos et leur permettraient de sortir de la crise. Ensuite le rapporteur indique une série de modalités pratiques à l'intérieur de la loi qui visent à éliminer toute possibilité d'infiltration du banditisme dans ce secteur.

Le second orateur est monsieur Yves Galland, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé des collectivités locales qui précise notamment : "‘La proposition de loi qui vous est soumise vise à sauvegarder l'équilibre économique et la situation d'un secteur important pour l'industrie touristique et qui n'est pas négligeable pour la balance des paiements de notre pays’". L'argument est brutal : sauver ce secteur, c'est sauver l'apport financier important qu'il représente pour l'Etat. Le ministre souligne ensuite l'assainissement qu'a subi le marché des machines automatiques, ce qui rend possible sans aucun danger leur implantation dans les casinos. Il rappelle que les casinos font partie de l'attrait touristique des stations et que cela constitue une raison supplémentaire de les aider à surmonter cette crise, l'industrie du tourisme connaissant elle aussi des difficultés en France (son apport aux finances de l'Etat est notamment très important en terme de devises étrangères). Enfin, pour le ministre, "‘la limitation de cette autorisation aux seuls casinos permet de s'entourer de toutes les garanties’", notamment sous le point de vue de la morale, puisque l'accès des casinos est règlementé. En outre toutes les mesures seront prises pour garantir aussi la moralité des exploitants de casinos qui seront soumis à des contrôles très stricts pour éviter toute infiltration du grand banditisme. Nous pouvons remarquer que tous les atouts mis en avant sont de nature économique, mais qu'il y a aussi une volonté de rassurer les députés sur la moralité de la loi. En effet si la principale source de cette loi est d'ordre économique, on ne peut pas oublier que l'opinion est très sensible à la connotation mafieuse qui est déjà liée aux casinos, à laquelle il faut encore ajouter les affaires de banditisme liées aux machines à sous. Les interventions des autres députés se plaçant sur un ordre moral, elles seront traitées dans un chapitre de la 3e partie de cette thèse, consacré à ce type d'oppositions.

Notes
114.

- Compte rendu des discussions de l'assemblée nationale, première séance, 17 décembre 1986.