C- L'industrialisation des casinos : une réussite

Hubert Benhamou, directeur du casino Le Lyon Vert en 1994 et maintenant directeur général du groupe Partouche, résumait alors bien le bénéfice des machines à sous pour les casinos français : "‘Les casinos français ont trop galéré durant le début des années 80. Celui qui achète un établissement de jeux en France aujourd'hui ne sait pas ce qu'est un casino ! Moi j'ai dû tellement tirer le diable par la queue il y a une dizaine d'années (ndlr : Hubert Benhamou dirigeait alors un casino au Touquet) qu'aujourd'hui je savoure chaque franc gagné grâce aux machines à sous..."’ ‘ 118 ’ ‘.’

Évolution du Produit Brut des Jeux depuis 1987
Évolution du Produit Brut des Jeux depuis 1987

Les machines à sous ont donc fait leur apparition dans les casinos en 1988. Ils sont alors 16 casinos à les exploiter dans un premier temps et cela suffit à faire faire un bond au produit brut des jeux 119 de 59,5% dès la première année. Il atteint 1,8 milliard de Frs pour la saison 88-89. Pour la saison 91-92, 83 casinos ont obtenu l'autorisation pour les machines à sous, le produit brut des jeux atteint alors 3,03 milliards de Frs soit une augmentation de 26,3% par rapport à l'année 90-91 où seulement 36 casinos avaient l'autorisation (2,4 milliards de Frs). Les machines à sous génèrenent à elles seules un peu moins de la moitié du produit brut des jeux des casinos, soit 1,08 milliard de Frs pour la saison 90-91 et 1,86 milliard de Frs pour la saison 91/92 et cela ne va pas cesser d'augmenter. Les jeux traditionnels, quant à eux, commencent un long déclin qui va se poursuivre jusqu'à nos jours (en 1993 les 20 premiers casinos de France ont enregistré une baisse de 8% des jeux de tables, par exemple, pour le Lyon Vert, casino de Charbonnières-Les-Bains, la baisse a été de 11%, celle du Ruhl à Nice a été de 29%).

Répartition du PBJ en milliards de francs
Répartition du PBJ en milliards de francs

Prenons par exemple la saison 92/93 pour illustrer l'importance des machines dans le volume global des affaires pour les casinos français. Le produit brut total pour cette saison a été de 3,9 milliards de Frs ce qui fait une progression de 31,8% par rapport à la saison 91/92. Dans ce chiffre il faut prendre en compte le fait que pendant cette saison là, 22 casinos de plus ont obtenu l'autorisation d'exploiter les machines à sous. Pour eux, globalement, la progression de leur CA a été de 241,4%. En revanche, si on prend les 27 casinos qui n'avaient pas de machines à sous on s'aperçoit que ceux-ci n'ont enregistré qu'une progression de 3,6%. En 89/90, soit 2 ans après leur introduction, les machines à sous représentaient déjà 42,2% du produit brut total ; en 92/93 cette part atteint 70%. Le nombre d'entrées dans les salles des machines à sous a lui aussi connu un accroissement foudroyant. Il passe de 9 260 450 en 90-91 à 20 455 286 en 91-92 soit une évolution de 120,9%. On peut donc dire qu'il y a une nette progression du chiffre d'affaires des casinos en France au début des années 90, directement liée au développement des machines à sous. En 1996, la France compte 10684 machines à sous réparties dans 137 des 154 des casinos autorisés. La progression du produit brut des jeux a été constante depuis 1989 (soit environ 1 milliard de Frs de plus chaque année), il atteint, pour la saison 95/96, 8,15 milliards de Frs. Sur cet exercice, 7 casinos dépassent la barre de 200 millions de Frs, totalisant à eux seuls 1,7 milliard de Frs 120 (soit 24,95% du PBJ 121 ). En 1997, les français ont dépensé 118 milliards de Frs de mise dans les jeux d'argent dont 50 milliards dans les casinos, ce qui est à l'époque dix fois le budget du ministère de la Culture. Les casinos ont totalisé près de 47 millions d'entrées et un produit brut des jeux de 9,24 milliards de Frs. Les enjeux misés par les français représentent environ le double de ce qu'ils étaient en 1987, et les jeux qui en ont le plus profité sont ceux des casinos 122 . La France compte alors 156 casinos et plus de 11 000 machines à sous dans leurs murs. Les "petits joueurs" ont désormais remplacé les "gros" joueurs. En effet, la plupart des personnes qui vont jouer dans les casinos ne dépensent qu'une centaine de francs en moyenne dans les machines à sous. Celles-ci coûtent environ 50 000 Frs à l'achat et rapportent entre 1400 et 2800 Frs par jour, ce qui en fait un investissement très vite rentabilisé. Le produit brut des jeux atteint 10,7 milliards de Frs pour la saison 97/98 soit une augmentation de 16,6% par rapport à l'exercice précédent. Le produit des jeux traditionnels est alors de 1,13 milliard de Frs et celui des machines à sous (13800 réparties dans les casinos français) de 9,64 milliards de Frs (+ 17% par rapport à l'année précédente) 123 .

EVOLUTION DU PRODUIT BRUT DES JEUX DE LA SAISON 1996-97 PAR RAPPORT A LA SAISON 1995-96 EN FRANCE

(Source AFP)

1995-96 :
153 casinos
1996-97 :
156 casinos
Produit brut des jeux 1995-96 :
8, 15 milliards de FF
Produit brut des jeux 1996-97 :
9, 24 milliards de FF

Soit une hausse de + 12, 96 %

1er casino de France 1995-96 :
Divonnes les Bains
1er casino de France 1996-97 :
Le Lyon Vert

2 casinos ont un produit brut des jeux > 300 MF en 1996-97

Seul Divonnes les Bains dépassait les 300 MF pour 1995-96

5 casinos ont un produit brut des jeux > 200 MF en 1996-97

Ces 7 casinos représentent 24, 9 % du produit brut total

14 casinos ont un produit brut des jeux > 100 MF en 1996-97

Actuellement la France est le pays d'Europe qui a la plus forte densité de casinos par habitant. Le seul problème que rencontrent les casinos est l'arsenal législatif contraignant dont ils font l'objet en France et qui les empêche de se développer autant qu'ils le voudraient, notamment concernant le nombre de machines, car il fait l'objet de demandes d'autorisations qui sont aujourd'hui de plus en plus difficilement accordées. La stagnation de l'activité, de ce fait, constitue un risque réel, ce qui contraint de plus en plus de casinos français à chercher d'autres moyens d'étendre leur activité, par exemple en rachetant des concessions de jeu vacantes.

Ce succès économique des casinos profite aussi à l'État. En effet, les prélèvements de taxes diverses croissent avec l'évolution du produit brut des jeux. Les casinos s'acquittent déjà, bien sûr, de tous les impôts et taxes qui frappent les sociétés, mais en plus, ils sont soumis à de nombreux prélèvements spécifiques. Ces derniers représentaient environ 48% du PBJ au début des années 90 et représentent actuellement 51% de celui-ci. Par exemple, pour la saison 96/97, sur 9,24 milliards de Frs, 4,7 milliards de Frs sont allés à L'État et aux communes. Ces prélèvements se décomposent de la manière suivante :

- un prélèvement progressif de l'Etat d'un taux variant de 10 à 80% 124 qui s'applique selon le montant du PBJ lequel est soumis à un abattement de 25% (depuis 1934) correspondant aux charges d'exploitation. Ce prélèvement pour l'année 96/97 était de 3,4 milliards de Frs (soit une hausse de 14,57% par rapport à la saison 95/96) et 266 MF ont été reversés aux communes. Cela représente 38,59% du produit brut total des jeux.

La montant total des prélèvements représente 59,44% du produit brut total des jeux pour la saison 96/97.

Il faut ajouter cependant que les casinos sont exonérés de TVA sur les jeux 129 .

Évolution des prélèvements de l'État en milliards de Francs
1992/93 2, 01
1993/94 2, 55
1994/95 3, 12
1995/96 3, 87
1996/97 4, 69

Source : Casinos de France

On peut donc voir que le redressement financier des casinos dû à l'exploitation des machines à sous profite non seulement à ses dirigeants mais aussi aux pouvoirs publics, ce qui va dans le sens de l'argumentation économique qui a été développée par les représentants de l'Etat lors des débats à l'Assemblée nationale et au Sénat que nous avons vus précédemment.

Notes
118.

- Thierry Lammens, "La métamorphose des casinos en France", Turf & Casino Magazine, n° 19, mars 1994.

119.

- Il est nécessaire de rappeler ici la distinction entre le produit théorique et le produit réel . Le produit théorique est celui qui est estimé par la sous-direction des courses et des jeux et c'est celui sur lequel se fait l'imposition pour les casinos (le produit brut théorique est le chiffre officiel sur le plan fiscal) . Ce produit théorique se calcule à partir de l'argent réellement entré dans la machine, mais, plutôt que de compter celui qui en ressort, on procède à une estimation par rapport au taux de redistribution de la machine. Exemple si on mise 1000 Frs dans une machine et que son taux de redistribution est de 95% cette machine va réaliser un produit théorique de 5000 Frs, puisque normalement elle aurait du redistribuer 95000 Frs aux gagnants. Ce calcul est fait comme si tous les joueurs misaient à chaque fois le nombre maximum de pièces, ce qui n'est bien souvent pas le cas. Il en résulte que ce produit théorique (c'est ce produit théorique que cite généralement les journaux) est bien souvent très éloigné du produit brut réel. (pour la saison 92/93 le produit brut théorique de tous les casinos était de 2,88 milliards de Frs alors que le produit brut réel était de 3, 995 miliards de Frs, ce qui fait un écart entre les deux de plus de 1 milliard de Frs, selon les chiffres cités dans un article de Turf & casino n°19, "La métamorphose des casinos en France"). Il faut aussi souligner que les casinos font leur principale marge bénéficiaire sur l'écart entre le produit brut théorique et le produit brut réel. Ce dernier est imposé au titre de l'impôt sur le bénéfice.

120.

- Jean-Michel Dumay, Les "bandits manchots" font la fortune des casinos français, Le Monde, 23/1/96.

121.

- Abréviation de Produit Brut des Jeux couramment utilisée.

122.

- Nirascou Gérard, "Jeux, les français sont accros", Le Monde , 22/1/98.

123.

- A. B, "Le produit brut des jeux a atteint 10,7 milliards de Frs en 1998", Les Echos , 16/3/99.

124.

- Recueil des textes relatifs à la réglementation des jeux dans les casinos , Travaux de recherches et mise à jour effectués sous la direction de Maître Laurence Lichtman, Avocat à la cour de Paris, éditions a.m.i., Paris, 1987. Loi des finances du 19 décembre 1926 fixant le tarif du prélèvement progressif opéré sur le produit brut des jeux. Article 1er : le tarif du prélèvement progressif opéré sur le produit brut des jeux dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 s'établit après abattement institué par le décret-loi du 23 juillet 1934 susvisé comme suit : 10% jusqu'à 380 000 Frs, 15% de 380001 Frs à 750000 Frs, 25% de 750001 Frs à 2220000 Frs, 35% de 2220001 Frs à 4125000 Frs, 45% de 4125001 Frs à 6875000 Frs, 55% de 6875001 Frs à 20625000 Frs, 60% de 20625001 Frs à 34375000 Frs, 65% de 34375001 Frs à 48125000 Frs, 70% de 48125001 Frs à 61875000 Frs, 80% au-delà de 61875000 Frs. Décret-loi du 28 juillet 1934. Article 1er. A compter du 1er novembre 1934, une somme égale à 25% du produit des jeux sera préalablement déduite dudit produit pour le calcul de l'impôt progressif institué par l'article 14 de la loi des finances du 19 juillet 1926.

125.

- Ibid. Modèle de cahier des charges (Article 4 de l'arrêté du 23 décembre 1959). Art 3. Prélèvement communal. Le directeur responsable du casino verse à la commune un prélèvement de ...% du produit brut des jeux après abattement légal.

126.

Réglementation des jeux dans les casinos, Les éditions des journaux officiels, 1998. Loi de finances pour 1991 n° 90-1168 du 29 décembre 1990 (JO du 30/12/1990). Article 50 : Il est institué au profit de l'Etat un prélèvement fixe de 0, 5% sur le produit brut des jeux dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques. Pour le produit brut des jeux d'argent dont l'exploitation est autorisée dans les casinos par l'article 1er de la loi n° 87-306 du 5 mai 1987 modifiant certaines dispositions relatives aux casinos autorisés, le taux prévu à l'alinéa précédent est fixé à 2%. Le prélèvement est recouvré dans les mêmes conditions que le prélèvement opéré sur le produit brut des jeux dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 précitée.

127.

- Ibid. Loi n°96-1160 du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997. Article 16, III- Il est institué une contribution sur le produit brut de certains jeux dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques. Cette contribution est, d'une part, de 3, 40% sur le produit brut des jeux automatiques des casinos (élevée ensuite à 7, 5%) et, d'autre part, de 10% prélevés sur tous les gains d'un montant supérieur ou égal à 10000 Frs, réglés aux joueurs par des bons de paiement manuels définis à l'article 69-20 de l'arrêté du 23 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos.

128.

- Ibid. Ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996. Article 18, III- Sans préjudice des prélèvements existants, il est institué une contribution sur une fraction du produit brut des jeux réalisé entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009, dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques. Cette fraction est égale à 600% du produit brut des jeux dans les casinos.

129.

- Les montants des prélèvements sont cités d'un dossier du Figaro . Conte Nathalie et Lagoutte Christine, "La guerre des casinos", Le Figaro , 8/6/98.