D- La restructuration capitalistique de l'industrie des casinos depuis 1987

L'apparition des machines à sous dans les casinos a entraîné un autre type de phénomène : l'apparition de groupes de casinos qui ont poursuivi leur expansion depuis 1987 jusqu'à nos jours. Cette légalisation imposait aux casinos non seulement un investissement important en matériel à un moment où leurs ressources propres avaient fondu, mais aussi une restructuration générale de l'espace du casino (réorganisation du lieu, aménagement d'un nouveau décor), une embauche nécessaire de nouveaux personnels (à former) et le développement d'une politique de communication. Tout cela a poussé à une réorganisation en profondeur des acteurs économiques des casinos. Des groupes se sont développés et sont devenus puissants en une dizaine d'années, à l'image de la réorganisation capitalistique des lieux de tourisme (hôtellerie, résidences de villégiature) et de loisirs (parcs d'attractions). Ainsi les casinos entraient-ils en un temps très rapide dans l'"industrie culturelle". En France, le seul groupe de casino reconnu comme tel avant 1988 était le groupe Lucien Barrière. Aujourd'hui plus de 2/3 des casinos français font partie d'un groupe ou plutôt de quelques grands groupes comme nous allons le voir par la suite (cf schéma). La plupart des groupes familiaux, propriétaires de 2 ou 3 casinos, qui s'étaient constitué au début des années 90, ont été rachetés par les grands groupes comme Partouche ou, à l'heure actuelle, l'Européenne des casinos. Le monde des casinos est un monde constamment en mouvement qui ne cesse de changer au rythme des fusions, des cessions et des acquisitions. En 1999, le groupe Partouche est devenu le premier groupe français de casinos.

Répartition du nombre de casinos par groupe fin 1993
Répartition du nombre de casinos par groupe fin 1993

Source Cahier Espaces n°38, octobre 1994.

Nous allons donc nous pencher dans un premier temps sur l'historique de ce groupe, qui a été l'outsider gagnant du développement des machines à sous en France dont il a pleinement profité. Puis nous examinerons ensuite succinctement les autres groupes qui existent en France et la différence dans l'approche de gestion des casinos entre ces groupes, notamment entre le groupe Barrière et le groupe Partouche qui ont une approche stratégique complètement différente.

Le groupe Partouche a réellement commencé son développement avec le rachat du casino Le Lyon Vert situé sur les communes de Charbonnières-Les-Bains et la Tour de Salvagny. Fondé en 1973 par Isidore Partouche 130 , le groupe a toujours conservé une indépendance financière et son caractère familial. Il a pour vocation l'exploitation de casinos principalement et d'hôtel-restaurants.

Le groupe Partouche avait commencé son expansion dans le nord de la France avec comme première acquisition le casino de Saint-Amand en 1973. En 1976, il rachète au groupe Barrière l'un des deux casinos du Touquet dont il redresse le CA en un an (500 KF de PBJ en 1976 - 3,5 MF en 1977).

En 1982, le groupe crée son premier casino à Calais. La stratégie du groupe est de reprendre des petits casinos en difficulté et de les remettre à flot avec "‘une technique qu'il considère comme infaillible : une gestion familiale de petits commerçants’" 131 .

En 1986, il acquiert le casino de Forges-Les-Eaux et crée celui de Boulogne sur Mer. En 1988, il reprend le casino de Dieppe et en 1989 ceux de Fécamp, Bagnoles de l'Orne (ex groupe Emeraude) et ceux de Vichy. En 1991, le groupe rachète le casino Le Lyon Vert qui deviendra son fleuron. En 1993, le groupe Partouche devient le second groupe français, talonnant le groupe Barrière. Ces deux groupes sont les plus gros bénéficiaires de la loi de 1987 autorisant les machines à sous dans les casinos, loin devant les autres groupes concurrents.

En 1994, Partouche devient le leader avec 15 casinos (et 12 hôtels) même s'il reste second avec un PBJ et un chiffre d'affaires inférieurs à ceux du groupe Barrière. Le groupe emploie alors 800 personnes et dégage un chiffre d'affaires de 534,25 MF, il possède un parc de 1230 machines (contre 1500 environ pour le groupe Barrière).

En 1995, le chiffre d'affaires du groupe s'élève à 722,22 MF en progression de 35,18% par rapport à l'année précédente. Le Lyon Vert avec son PBJ de 222 millions (en hausse de 18,8% par rapport à l'année précédente) participe pour 23% au CA total. La même année, le groupe Partouche signe un accord avec le Club Med prévoyant l'ouverture d'un casino à Agadir 132 .

Enfin le groupe signe son introduction en bourse sur le second marché le 25 mars 1995. Le prix des actions est alors de 185 Frs (en 1999 aux environs de 550 Frs). C'est une succès et le titre passera ensuite au règlement mensuel en 1998.

En 1996, le groupe obtient l'accord de la ville de Lyon pour construire le futur casino de la Cité internationale qui sera implanté dans l'hôtel Hilton. C'est le premier investisseur à bénéficier de la loi de 1988 qui autorise la construction d'un casino dans une agglomération de plus de 500 000 habitants si celle-ci remplit certaines conditions culturelles. En 1997, le casino Le Lyon Vert devient le premier casino de France. En 1998, Partouche rachète à Vivendi le célèbre casino Le Palm Beach. La course entre les deux "grands", Partouche et Barrière, est de plus en plus serrée (1997 : PBJ de Partouche = 1, 6 milliard de Frs et PBJ de Barrière = 1, 7 milliard de Frs)

De plus, de nouveaux acteurs apparaissent sur le terrain et se positionnent de manière active comme par exemple l'Européenne des casinos qui va, en très peu de temps, devenir propriétaire de 13 casinos à la suite de son introduction sur le second marché en juillet 1997. En 1999 le groupe Partouche est le premier groupe de "casinotiers" de France. Le Lyon Vert, qui possède le plus gros parc de machines à sous de France, garde sa place de leader.

La situation en France en 1999 est la suivante : cinq groupes (Partouche, Barrière, Tranchant, Européenne des casinos et Accor casinos) se partagent plus de 70% du chiffre d'affaires du marché 133 .

Évolution des parts de marché par groupe 1999
Évolution des parts de marché par groupe 1999

Source Le Monde du 9-10/4/2000

Cette concentration du marché est le résultat de la politique d'expansion des groupes. En effet, compte-tenu du fait que les autorisations d'extension des parcs de machines à sous sont accordées au compte-gouttes par le Ministère de l'Intérieur, il faut, comme nous l'avons dit plus haut, qu'ils trouvent d'autres moyens de s'étendre s'il veulent augmenter leur volume d'affaires en France. Le meilleur moyen consiste donc à racheter des casinos indépendants ou des petits groupes familiaux 134 . La concurrence a fait monter le prix des ces derniers qui se vendent 2 à 3 fois plus cher qu'auparavant (le prix normal serait l'équivalent de 1 an de produit brut des jeux). Une autre solution d'extension serait de profiter de la loi de 1988 mais peu nombreuses sont les villes remplissant les conditions nécessaires et qui souhaitent avoir un casino sur leur territoire (Toulouse et Marseille par exemple). Mais pour chaque appel d'offres, les groupes se battent pour obtenir la concession (exemple de Lyon ou de Bordeaux que nous verrons dans la troisière partie de cette thèse). Ce qui fait que les groupes tels que Partouche, Barrière ou l'Européenne des casinos se tournent vers l'étranger pour continuer leur expansion. Les meilleurs perspectives de développement se trouvent en Europe et dans le bassin méditerranéen. Partouche possède ainsi des casinos en Belgique, en Tunisie, au Maroc, en Espagne et en Roumanie et l'Européenne des casinos a même été jusqu'à racheter un casino à Reno dont elle attend la licence d'exploitation.

Tous ces groupes ont des politiques d'exploitation différente. Par exemple le groupe Partouche et le groupe Barrière ont un mode de fonctionnement complètement différent. Le premier a vraiment une image de groupe de "casinotiers" avec une vocation plutôt populaire alors que le second, qui exploite des casinos souvent liés à une hôtellerie de luxe, a une image beaucoup plus élitiste. C'est une façon pour ces deux groupes de se démarquer l'un de l'autre. "Nous ne renions pas notre image haut de gamme, liée à nos implantations historiques" déclare Philippe Lazare, directeur général du groupe Lucien Barrière 135 . Toute la politique de ce groupe est organisé autour d'un concept : le "resort", terme anglais qui désigne un lieu de villégiature regroupant, autour d'un casino, des hôtels de luxe, des restaurants, des équipements sportifs et de remise en forme 136 . Le groupe Partouche cherche plutôt à conquérir une clientèle de masse et met en avant ses casinos avec une politique volontariste donnant la primauté à l'investissement 137 . Un outsider sur ce marché qui prend de plus en plus d'importance, l'Européenne des casinos, observe un peu une stratégie de suivisme vis à vis du groupe Partouche. "‘Nous préférons miser sur des masses de clients qui se déplacent plutôt que sur de très gros clients comme des émirs qui fréquentent les établissements de la côte d'Azur mais qui peuvent faire basculer à eux seuls l'équilibre du casino’" déclare Fabrice Lendormy, de l'Européenne des Casinos 138 .

Mais tous ces groupes se rejoignent sur une même idée : les casinos doivent être des espaces de loisirs où le public vient pratiquer toutes sortes d'activités dont le jeu. "Le casino ne répond plus à un geste social, estime Philippe Gazagne, directeur général du groupe Barrière, il doit être un pôle global de loisirs pour grand public associant restaurants et spectacles" Et multipliant, bien sûr, les formules de marketing, pour drainer, in fine, le flux des clients vers l'Eldorado des "bandits manchots" 139 .

Les casinos se sont donc soumis à des règles de management comparables à celle de toute entreprise, mais en développant en plus des techniques de marketing spécifiques à leurs produits pour pouvoir mieux répondre aux attentes de leur clientèle très diversifiée. "‘Un casino, ça se gère comme un supermarché, avec pour produit d'appel des machines qui distribuent peu mais souvent’", commente Fabrice Lendormy, porte-parole de L'Européenne des casinos 140 .

Notes
130.

. Date de création, 1973. La société est de forme anonyme à directoire et conseil de surveillance, régie par la loi sur les sociétés commerciales du 24 juillet 1966 et le décret du 23 mars 1967. La société se dénomme Groupe Partouche.

131.

- Coulange Jean-Paul , "Comment Isidore Partouche domine le monde des jeux", Le Nouvel Economiste , n°958, 12/8/94.

132.

- CH. D, "722 millions de chiffre d'affaires pour Partouche", Le Figaro , 15/12/95.

133.

- Collomp Florentin, "Les casinos jouent la carte du business", Le Journal du Dimanche , 7/11/99.

134.

- Dupont Véronique, "Le rachat du Palm Beach accélère la concentration dans les casinos", Le Monde , 6/11/98.

135.

- Collomp Florentin , "Les casinos jouent la carte du business", Le Journal du Dimanche , 7/11/99.

136.

- Dossier de Presse du groupe Lucien Barrière, mars 1998.

137.

- Amaré Marie-France, "Le groupe Partouche, un acteur de poids dans les jeux et les loisirs", Les cahiers espaces, Casinos et tourisme, n°38, Octobre 1994.

138.

- Collomp Florentin , "Les casinos jouent la carte du business", Le Journal du Dimanche , 7/11/99.

139.

- Dumay Jean-Michel, "Les "bandits manchots" font la fortune des casinos français", Le Monde , 23/1/96.

140.

- Dupont Véronique, "Le rachat du Palm Beach accélère la concentration dans les casinos", Le Monde , 6/11/98.