Troisième partie : la légalisation des casinos et l'implantation d'un casino sur un territoire : enjeux et débats

La seconde partie nous a permis de vérifier l'hypothèse selon laquelle le développement des jeux de casino reposaient, in fine, sur une préoccupation essentiellement économique qui trouve une double expression du côté de ses principaux acteurs. La légalisation des machines à sous en 1987 et l'autorisation d'implanter des casinos dans les grandes villes en 1988, expriment l'attention des pouvoirs publics au redressement d'un secteur de l'économie nationale dont le déclin était préoccupant. Les opérateurs des casinos, pour leur part, ont saisi cette opportunité pour restructurer leurs activités à partir d'une forme qui répond aux impératifs d'un marketing rigoureux, inspiré du modèle de Las Vegas. Cela permettait donc une transformation de l'économie des jeux qui allait de pair avec la modification des pratiques sociales qui lui sont liées.

Mais cette perspective, relativement générale, doit être précisée, parce que cette transformation s'est opérée au moyen de l'implantation, dans telle ou telle localité, de casinos qui n'y existaient pas auparavant ou par le développement sous d'autres formes, de ce qui existait déjà, et qui produisait donc une modification de la fréquentation. La localisation de nouveaux établissements engendre régulièrement un affrontement, ou du moins un débat, entre les tenants du progrès économique local, et ceux qui s'insurgent contre ce qui leur semble constituer une modification dommageable de leur environnement.

En somme, l'implantation d'un casino est l'occasion d'un conflit de représentation entre les défenseurs d'un développement économique plus que social et ceux pour qui le casino apporte, potentiellement, une pertubation de leurs valeurs morales ou plus simplement de l'équilibre local.

Cette opposition est intéressante parce qu'elle introduit la transformation des casinos et le développement des jeux d'argent dans une perspective de développement local. Cela suscite donc des réactions variables qui sont d'abord fonction de la culture locale, mais aussi des particularités économiques de la localité concernée.

On y retrouve donc, forcément, du côté des opposants, les arguments liés à l'image négative qui faisait l'objet de notre première partie et, de l'autre, ceux qu'on a vu triompher dans la seconde partie. Les acteurs politiques, devant impérativement être soutenus ou approuvés par leurs électeurs, ne peuvent pas, à priori, leur imposer ce qu'ils rejettent ou réprouvent. D'où la naissance de consultations, la création de commissions, etc. dont nous prendrons quelques exemples.

Curieusement, c'est le modèle d'une économie touristique qui s'est imposé dans ce secteur, comme si toutes les parties prenantes, conscientes du caractère "improductif" du jeu, se trouvaient au fond d'accord pour estimer que l'investissement, dans le jeu, de consommateurs venus d'ailleurs, constituait une ressource plus intéressante que le développement proprement local du loisir que cette activité apporte.

Nous retrouverons donc les peurs liées au jeu pathologique et nous verrons de quelle façon, dans des contextes et situations géographiques très différentes, c'est le même type de débat qui s'instaure, mais il conduit à des conclusions institutionnelles différentes (gestion publique vs gestion privée par exemple).

La place maîtresse des États-Unis dans ce domaine nous impose de commencer par là, avec l'examen d'Atlantic City. Mais l'étude que nous ferons ensuite de la situation canadienne très contrastée, de l'est (Québec) à l'ouest (Vancouver), nous conduit à mettre l'accent sur les modes d'intégration du jeu au tourisme, c'est à dire, en somme, à une refondation de ce qui, dans le passé, en Europe, avait permis l'implantation des casinos dans les villes d'eau pour des curistes fortunés que les seuls soins ne parvenaient pas à divertir.

Après l'examen des oppositions locales, dont témoignent les commissions américaines et canadiennes, nous reviendrons donc sur celles qui se sont exprimées au parlement français en 1987, avant de faire un gros plan sur l'implantation à Lyon d'un casino à l'intérieur de l'hôtel Hilton de la "cité internationale", qui constitue le premier exemple de la loi de 1988.

Cet examen, naturellement, reprend des arguments ou des thèmes précédemment évoqués ou cités. Mais la perspective n'est pas la même que dans les chapitres précédents ; c'est celle de l'effet d'une légalisation sur la transformation d'un territoire local et de son identité, c'est à dire l'impact dans un espace public local de principes plus généraux.