b- pour ou contre : pourquoi ?

Les différents discours des campagnes publiques pour la légalisation des casinos comportent trois thèmes récurrents :

Dans la première partie de ce travail nous avons étudié la naissance de la ville de Las Vegas et ses liens avec la Mafia dans les années 40 avec notamment Bugsy Siegel qui fût à l'origine du premier grand hôtel de la ville : le Flamingo Hilton. Même si Las Vegas est devenue aujourd'hui la capitale mondiale du divertissement, ses antécédents restent gravés dans l'opinion publique. La criminalité liée aux casinos est l'une des peurs les plus ancrées qui soient dans l'esprit américain. La présence de nombreux gros groupes financiers qui ont contribué à renverser cette image, notamment grâce à leur transparence financière due à leur cotation en bourse, a rassuré la population qui garde quand même quelques réticences sur cette industrie. Les débuts chaotiques de la ville sont restés fortement ancrés dans l'esprit populaire qui ne veut pas que ce type de scénario se reproduise. Une surveillance accrue de la part des autorités et une législation structurée sont présentes pour éliminer toute possibilité d'infiltration par le banditisme. L'oeuvre de Bugsy Siegel fait pourtant l'objet de croyances populaires qui ressurgissent dans tous les débats lors des campagnes de légalisation des casinos. Le discours des opposants aux casinos donne toujours une place à ce risque d'infiltration des casinos par la mafia. Cette association d'image mafia-casino est désormais davantage liée à un mythe qu'à une réalité.

Comme nous l'avons vu dans le cas d'Atlantic City, l'opposition religieuse à la légalisation des casinos est très forte et principalement centrée sur des questions de morale. Le jeu est un vice qui se propage et fait des victimes qui prennent les traits du joueur compulsif. Pourquoi les gens jouent-ils ? A cette question William N Thompson répond : “People have asked this question for centuries. Answers to the question have been invariably the same. Gamblers are deviants and people who gamble violates the rules of the gouvernement, society and religion. Gamblers are possessed of criminal minds or are in some other way depraved or subject to evils spirits 248 . Nous avons mis en italiques les mots qui nous semblent intéressants dans cette réponse. Ce que nous pouvons remarquer et que nous avons souligné dans la première partie de notre travail, est que cette image néfaste du jeu l'accompagne depuis des siècles, sans la faire disparaître. Le discours sur le jeu n'est pas lié à une argumentation qui repose sur des faits réels, mais à une image qui s'est transformée en mythe au fil des époques. Il est vrai que depuis la légalisation des jeux d'argent dans certains états, le nombre de joueurs compulsifs a augmenté. Cette augmentation est due en grande partie à une classification normative très peu élaborée. La manière dont les anglo-saxons classent les types de joueurs se fait de façon très subjective et reflète les stéréotypes en vigueur. 249 Selon l'auteur, l'image du jeu a beaucoup évolué, car de plus en plus de gens jouent. Ils viennent de tous les secteurs de la population : riches, pauvres, de toutes les races et de tous les niveaux d'éducation. Pour les opposants aux casinos, le danger est justement là, dans l'extension du "vice". Plus il y a de joueurs, plus il y a de joueurs pathologiques. Le problème de ces joueurs apparaît toujours lors des débats politiques sur le jeu. Pour l'image d'un candidat, défendre le jeu d'argent, c'est adopter une position risquée, car le jeu est condamné par la morale. Comme au sujet de l'homosexualité ou de la légalisation de la drogue, l'homme politique risque de ternir son image vis à vis d'un certain nombre de citoyens, mais, d'un autre côté, il s'attirera la sympathie d'autres pour lesquels il apparaîtra comme faisant preuve d'une ouverture d'esprit et d'une tolérance en adoptant cette position en opposition au courant traditionnel. Depuis quelques années, de nombreuses études ont été menées sur l'effet du jeu sur la population et le nombre de joueurs pathologiques notamment au Maryland, en Ohio ou encore à l'université du Michigan. Une commission nationale d'étude sur les jeux d'argent a été créée en 1996. Il est indéniable, encore une fois, que le nombre de joueurs compulsifs a augmenté avec la légalisation des jeux d'argent (de tous types), mais on ne peut pas dire non plus qu'ils représentent la majorité de la population joueuse. 250 / 251

Le troisième pôle de questionnement repose sur l'enjeu économique lié à la légalisation des casinos. Comme nous l'avons vu précédemment pour le cas d'Atlantic City, c'est l'argument le plus fort et le plus souvent proposé pour la légalisation des casinos. Ceux-ci apporteront de nouveaux fonds dans les caisses de l'Etat qui pourront être dépensés pour de nobles causes (écoles, batiments publics, aides aux personnes âgées...). Les casinos créent aussi des emplois et permettent une croissance économique de la communauté. Les taxes sur le jeu sont beaucoup mieux acceptées par les habitants du fait qu'elles sont payées volontairement et non par obligation. S'agissant de la criminalité (et de la perte d'argent que subit l'état quand les jeux sont clandestins), les "pro-casino" soulignent que le jeu est mieux contrôlé quand il est légal. 252 Si on examine les bénéfices que procurent les casinos, l'impact économique du jeu ne peut être nié. Aux États-Unis, l'industrie du jeu représente 30 milliards de dollars par an, alors que les ventes de musique enregistrée sont de 8 milliards de dollars et celles de vidéo casettes de 5 milliards de dollars. Les discours favorables à la légalisation des casinos sont centrés sur les revenus fiscaux énormes générés par cette industrie du jeu (les taxes sur l'essence rapportent 19 milliards $, celles sur le jeu 99 milliards $) 253 . Dans les discours anti-casino, il existe une théorie selon laquelle l'industrie des casinos "cannibalise" les autres activités commerciales déjà existantes et ne crée pas de renouveau économique dans l'Etat. Le jeu est une activité économique improductive. En effet, l'argent dépensé au jeu n'est pas dépensé ailleurs, et ce sont donc les autres commerces qui en pâtissent, ce qui ne stimule pas l'économie locale. Contrairement aux autres discours sur le jeu, ce n'est pas un discours sur une image mais une argumentation chiffrée qui prévaut dans le discours économique. Celle-ci apparaît comme fiable du fait qu'elle s'appuie sur quelque chose de concret, le nombre d'emplois, les revenus fiscaux, etc.

On peut dire à travers ce deux exemples qu'il y a d'un côté de la part des "anti-casino" une stigmatisation de l'industrie américaine des casinos qui reposent sur des stéréotypes ou des mythes, les discours étant surtout centrés sur une image du jeu et non pas sur la réalité. Le jeu pathologique, même s'il représente un danger réel, ne concerne qu'une minorité de joueurs. Le contrôle du jeu par différents organismes de régulation et son étroite surveillance permet d'éviter toute implication mafieuse. Et de l'autre côté, pour les "pro-casino", le jeu compulsif laisse la place à un loisir pratiqué selon l'envie de chacun, avec des retombées économiques importantes qui seront bénéfiques aux citoyens puisqu'elle permettront de réaliser de nouvelles infrastructures, de créer des emplois. Les états ont besoin de nouveaux revenus à une période où la population n'est pas prête à accepter de nouveaux impôts. Dans ce cas, le discours ne s'appuie pas sur des images ; il est argumenté à l'aide de chiffres qui sont la preuve concrète de ce que peuvent apporter les casinos à un état. On se trouve dans ce cas face à un deuxième type de stéréotype où le bien de la société est calculé à partir de valeurs économiques plus que morales. Mais ce stéréotype passe mieux, car il recourt à des données statistiques qui le rationnalisent et le légitiment. Dans les exemples que nous venons de voir, l'image du jeu est réhabilitée par ses enjeux économiques car c'est un impôt indolore. L'évolution du débat en Indiana est à cet égard tout à fait significative.

Notes
248.

- Thompson N William, Legalized gambling, contemporary world issue, ABC-CLIO, Santa Barbara, 1994. Ndt : Les gens posent cette question depuis des siècles. Les réponses restent toujours les mêmes. Les joueurs ont un comportement déviant et les gens qui jouent violent les lois du gouvernement, de la société et de la religion. Les joueurs sont possédés par un esprit criminel ou, on pourrait le voir autrement, dépravé ou possédé par l'esprit du diable.

249.

- Le questionnaire des "Gamblers Anonymous" est très stéréotypé. Un joueur passe très vite du "joueur social" au "joueur compulsif" potentiel ou affirmé (selon la classification de Bergler) puisqu'il suffit de répondre 6 fois oui sur 20 questions et que les questions sont très subjectives (Jouez-vous souvent jusqu'à votre dernier dollar ? ; Jouez-vous pour échapper à vos ennuis ou troubles quotidiens ?).

250.

- Une étude faite par la commission fédérale du jeu rapporte que les joueurs compulsifs représentent 0,77% de la population nationale soit 1,1 million de personnes et que 2,33% de la population seraient des joueurs compulsifs potentiels. Abt Vicki, Smith James F, and Christiansen Eugene Martin, The business of risk, commercial gambling in mainstream america, University press of Kansas, 1985.

251.

Task force on gambling addiction in maryland, Valerie C. Lorenz, Robert M. Politzer, rapport final, 1990.

252.

- Thompson N William et Dombrink John , The last resort, University of Nevada press, Las Vegas, 1990.

253.

- Thompson N William, Legalized gambling, contemporary world issue, ABC-CLIO, Santa Barbara, 1994.