2- La légalisation des jeux d'argent en Indiana

En 1999, aux États-Unis, les jeux d'argent légaux sont : les casinos à terre ou sur des bateaux dans certains états comme le Mississipi par exemple, les loteries, les paris sur les courses de chevaux, les jeux dits charitables ou de sociabilité, comme le bingo, organisés par des organisations à but non lucratif, les salles de poker ou autres jeux de cartes et le jeu dans les réserves indiennes. L'industrie du jeu s'étend de plus en plus :

Les états d'Hawaï et l'Utah sont les deux seuls états où les jeux d'argent sont prohibés. Les motivations pour la légalisation du jeu et la forme choisie varient selon les états et incluent la collecte de fonds pour des organisations charitables, le développement économique de régions sinistrées et une volonté de récolter plus de taxes pour l'Etat.

L'Indiana est un des États où les jeux d'argent on fait leur apparition très tardivement. La première loterie d'Etat est autorisée en 1989 seulement alors que tous les États voisins comme le Michigan, l'Illinois ou l'Ohio en possèdent déjà une ou plusieurs depuis 1972 ou 1974. En 1993, les courses de chevaux et les bateaux-casinos 254 sont légalisés. Ces derniers connaissent un succès rapide au fur et à mesure de leur implantion. Il faut dire aussi que seul un état voisin, l'Illinois, autorise l'exploitation des casinos. Celui-ci va d'ailleurs voir décroître les dépenses dans ses casinos avec l'expansion de ceux en Indiana. Ce qui laisse à penser que les personnes qui habitaient en Indiana allaient jouer dans les casinos en Illinois avant la légalisation de ceux en Indiana sous forme de bateaux-casinos. En 1999, chaque comté de l'État d'Indiana a sa propre loterie, 4 villes possèdent des hippodromes (Anderson, Indianapolis, Fort Wayne et Merrillville) et 9 bateaux-casinos sont répartis sur 6 comtés (Dearborn, Harrison, Lake, Laporte, Ohio et Vanderburgh).

Total des dépenses en dollars dans les casinos ne dépendant pas du Indian regulatory Act (L'Indiana est dans ce cas)
STATE 1995 1996 1997
Colorado 358,561,345 401,862,892 423,431,813
Illinois 1,178,311,827 1,131,491,531 1,054,573,793
Indiana 39,041,491 397,864,320 961,937,823
Iowa 455,935,892 653,028,536 696,879,405
Louisiana 913,482,404 1,159,033,423 1,218,988,334
Mississipi 1,720,031,392 1,862,046,331 1,984,366,845
Missouri 310,831,118 537,383,994 651,975,278
Nevada 7,152,873,000 7,522,618,000 7,572,618,000
New Jersey 3,747,575,654 3,813,581,000 3,905,752,000
South Dakota 46,965,350 44,539,019 42,696,574

Source Rapport de la commission d'étude sur l'impact du jeu en Indiana

Comme nous pouvons le remarquer la croissance des dépenses dans les casinos en Indiana a été spectaculaire en 1995 et 1996 et ensuite entre 1996 et 1997. Cela est dû au fait qu'entre 1995 et 1997 plusieurs bateaux-casinos ont débuté leur activité. Ce développement rapide des jeux d'argent sous différentes formes dans tout l'État a soulevé la question suivante : quelles sont les conséquences engendrées par la légalisation du jeu, et des casinos en particulier, en Indiana, depuis 1989. La commission d'étude sur l'impact du jeu en Indiana est créée le 1er janvier 1998 pour une mission d'une durée de 2 ans. Son rôle est de coordonner une étude complète sur les impacts économiques, fiscaux et sociaux de cette légalisation et de faire ensuite des recommandations aux pouvoirs publics sur la conduite future à tenir pour la régulation du jeu en Indiana. En Indiana comme dans les autres États américains où le jeu est légal, il existe d'un côté ceux qui souhaiteraient revenir en arrière et bannir à nouveau toute forme de jeux d'argent, et de l'autre côté ceux qui voient en eux un moyen de faire prospérer l'État par le biais de taxes et autres profits économiques. L'intérêt de ce rapport pour notre problématique réside dans un premier temps dans le fait même de son existence. Les nombreuses interrogations et polémiques suscitées par le jeu et surtout son extension sous une forme légale dans de nombreux pays à travers le monde nécessitent des études de ce type. En France par exemple, malgré l'expansion rapide de toutes les formes de jeux, aucune étude n'a été faite ou même envisagée pour savoir si les bénéfices économiques engendrés par cette industrie ne cachaient pas d'autres types de conséquences. Les impacts sociaux par exemple sur la population locale sont fréquemment mis en avant par les opposants au jeu mais jamais à l'aide d'arguments chiffrés. Ce qui est à noter aussi est que cette étude, comme la plupart de celles qui ont été réalisées, a été faite après la légalisation et non avant, ce qui lui aurait permis de fonctionner comme une prospective et aurait permis de mettre en place dès le début une politique de régulation structurée et adaptée. Cette étude a aussi l'avantage ne nous faire voir de manière concrète, à l'aide d'arguments chiffrés, l'impact du jeu sur une communauté. Il faut noter aussi que la population qui joue dans l'état d'Indiana est constitué pour la moitié de la population locale et pour l'autre moitié de personnes venant des états voisins ou de touristes. En 1998, la population adulte de l'Indiana a dépensé $197 par personne dans les jeux d'argent légaux (en 1996 le chiffre était de $119). Les jeux de casino sont ceux qui ont remporté le plus de succès.

L'importance de ces différents impacts comme par exemple le nombre d'emplois créés par l'industrie du jeu, les taxes rapportées à l'État ou encore l'augmentation des problèmes liés au jeu sont le résultat d'une part des forces en présence sur le marché et d'autre part de la politique publique. Ce qui veut dire que ces impacts peuvent être dépeints comme les trois sommets (économique, fiscal et social) en interconnexion d'un triangle et que chaque variation concernant un de ces trois points aura des conséquences sur les deux autres 256 .

Concernant l'impact économique, le sujet qui revient le plus souvent concerne le nombre d'emplois qui ont été fournis par l'arrivée des casinos. Concernant l'Indiana, le taux de chômage a baissé dans les cantons où se sont installés les casinos.

Taux annuel de chomage en%
  1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998
Nation 5,3 5,6 6,8 7,5 6,9 6 5,6 5,4 4,9 4,5
Indiana 4,7 5,3 6 6,6 5,4 4,3 4,7 4,1 3,5 3,1
Dearborn 7,1 8,3 8,6 8,8 7 6 6,6 5,2 3,7 3,3
Lake 5,6 6,5 7,1 8,7 7,7 7 6,9 5,7 4,5 4,1
Laporte 5 5,5 5,7 7 6,2 5 5,6 5,1 3,9 3,3
Ohio 6,2 8,1 7,4 8,2 5,7 6,4 5,9 5,3 3,6 3,2
Vanderburgh 4,8 5,5 6 6,9 5,6 5,1 5,6 4,1 4,2 3,3

Source Rapport de la commission d'étude sur l'impact du jeu en Indiana

Ce qu'il faut observer est que le taux de chômage a baissé dans la plupart des comtés l'année de l'ouverture d'un casino sur leur territoire. Un autre fait important est que la plupart de ces comtés avaient un taux de chômage supérieur à celui du reste de l'Etat avant la construction de leur casino. On peut aussi voir que le taux de chomâge global en Indiana, même s'il a suivi le même type de variation que celui de la nation, est nettement inférieur à celui-ci en 1998 notamment à cause de la baisse conséquente du taux des comtés qui possèdent un casino et qui influe sur le taux général. Par exemple ce taux a été divisé par deux entre 1992 et 1998 pour le comté de Lake après l'ouverture d'un casino, ce qui veut dire que grâce au casino le taux de chômage de ce comté s'est réduit beaucoup plus vite que celui de l'État. On peut donc bien dire que dans ce cas la légalisation des casinos a été bénéfique en terme de création d'emplois pour la population locale. En effet les employés de ces nouveaux casinos ont été recrutés pour 78% parmi les habitants de l'État d'Indiana. Les deux plus petits comtés concernés, Ohio et Dearborn, sont ceux qui ont le plus bénéficié de l'apport en terme d'emploi, et ce qui s'explique par la faiblesse antérieure de l'économie locale. Il ne faut pas oublier que les casinos créent aussi des emplois à l'extérieur de leurs murs et contribuent aussi à enrichir l'économie locale. Le fait par exemple que la moitié de la population qui fréquente les casinos vienne d'un autre État nécessite la mise en place d'infrastructures de service comme des hôtels ou des restaurants, ce qui signifie encore d'autres opportunités en terme d'emploi. Les commerces de détail des comtés où ont été installés des casinos ont vu leurs chiffre d'affaires augmenter de façon significative. Le secteur des services a vu aussi son nombre d'emplois décuplé (1300% pour Ohio et 87, 3% pour Dearborn). Nous ne sommes donc pas dans un effet de cannibalisation sur l'économie locale comme cela a pu être observé par exemple dans l'État du Nevada le long du strip où la plupart des petites boutiques ont disparu pour laisser place à des centres commerciaux à l'intérieur des hôtels. Au contraire, le comté de Ohio comptait trois commerces de détail en 1994, en 1997 il y en avait 17. La plupart d'entre eux ont ouvert entre 1994 et 1995 en perspective de l'ouverture du casino Tous ces chiffres vont dans le sens de l'argumentation économique des politiques en faveur de la légalisation des casinos. En 1998, les casinos de L'Indiana employaient environ 11 400 personnes à temps plein (ceux-ci bénéficient en prime d'une couverture médicale complète et de congés payés) ou à temps partiels.

Casino - Ville Nb habitants/Ville Comté Nb employés 257
Date d'ouverture
Aztar - Evansville 122 779 Vanderburgh 1187 - dec 1995 -
Argosy - Lawrenceburg 4 257 Dearborn 2155 - dec 1996 -
Blue Chip - Michigan city 32 626 Laporte 1080 - août 1997 -
Majestic Star - Gary 108 469 Lake 1183 - juin 1996
Trump - Gary 108 469 Lake 1228 - juin 1996
Empress - Hammond 78 212 Lake 1797 - juin 1996
Harrah's - East Chicago 30 885 Lake 1333 - avril 1997
Grand Victoria - Ohio 1958 Ohio 1470 - oct 96
? ? Harrison ? - nov 1998 258

Sources Rapport de la commission d'étude sur l'impact du jeu en Indiana et Centre de la politique urbaine et d'aménagement du territoire de l'Indiana. Ce tableau concerne l'année 1998.

Le comté de Lake possède 4 casinos (situé sur le lac Michigan) sur les 9 de l'État d'Indiana. C'est le comté qui a le plus bénéficié de la légalisation des casinos notamment du fait qu'il a récupéré une clientèle locale (comme par exemple celle de Chicago) qui allait dépenser son argent sur les bateaux-casinos de l'Illinois. D'ailleurs en octobre 1997, les revenus des casinos de l'Indiana ont dépassé ceux de l'Illinois. L'industrie des casinos de l'Indiana est celle qui a produit le plus de revenus en 1999 parmi tous les États ayant légalisé les casinos sur des bateaux 259 . Nous pouvons donc dire que le succès économique de cette légalisation est certain. L'industrie des casinos est devenue la cinquième plus grosse source de taxes pour l'État. Concernant l'impact fiscal, la légalisation des casinos a provoqué la plus grosse augmentation des revenus fiscaux entre 1997 et 1998 depuis 1990 date de la première rentrée fiscale due au seul jeu d'argent en vigueur depuis 1989 : la loterie.

Les casinos ont généré un revenu total de $961,937,823 pour l'année 1997. Les taxes sur le produit brut des jeux ont rapporté $192,504,470 et celle prélevée sur le droit d'entrée $74,343,701, ce qui fait un total de $266,848,171. Le total des taxes collectées sur les jeux d'argent étant de $390,3 millions pour l'année 1997. La majeure partie de celles-ci, 60, 8%, proviennent des casinos. Les casinos ont dans ce cas un impact fiscal non négligeable puisqu'ils deviennent une des premières sources de revenus pour l'Etat. Nous pouvons remarquer aussi que depuis 1990 le montant des taxes collectées sur le jeu a été multiplié par quatre, l'État se retrouve donc avec une source supplémentaire de revenus non négligeable qui vient en plus des autres sources existantes.

Total des taxes sur les jeux collectées par l’Indiana en millions de dollars
Total des taxes sur les jeux collectées par l’Indiana en millions de dollars

Centre de la politique urbaine et d'aménagement du territoire de l'Indiana.

Les revenus provenant du jeu sont reversés à 16 organismes dont par exemple le fond de pension des enseignants et 25% vont directement dans les caisses du comté qui constitue le port d'ancrage du bateau. Il existe différentes taxes qui frappent les casinos. La principale est une ponction de 20% sur le produit brut des jeux qui est collectée sur une base journalière (The riverboat wagering taxe, qui représentait $231,8 millions en 1998). Elle constitue la plus grosse source de revenu sur les jeux. Ensuite viennent différentes taxes comme la taxe d'admission dans le casinos (The riverboat admission tax) qui est de $3 par personne. Son revenu pour l'année 1998 était de 90,921,375. Celle-ci est redistribuée de la manière suivante :

Ensuite les propriétaires de casinos doivent s'acquitter de deux licences (Occupational license fee, Owner's license fee) et ceux qui fournissent des équipements de jeux d'une licence (Supplier's license fee). La dernière source de revenus provient des pénalités que doivent acquitter les casinos ou les fournisseurs en cas de violation de la réglementation. Comme nous pouvons le voir, les taxes sur les casinos sont nombreuses et rapportent beaucoup d'argent au comté et à l'État où ils sont implantés. Les localités ont touché $362,431,979 en 1998. En terme d'impact fiscal, si nous regardons tous les chiffres cités précédemment nous pouvons donc en conclure que la légalisation des casinos est un succès pour l'État d'Indiana.

Au niveau de l'impact social, des études ont été faites pour voir notamment s'il existait des cas de faillite ou d'endettement liés au jeu. Il n'a pu être établi aucune preuve tangible établissant un lien entre les deux. Certaines personnes concernées ont répondu qu'effectivement elle avait une pratique du jeu mais que celle-ci n'était pas la cause de leur leur problème. Pourtant les personnes ayant des problèmes de jeu ont cité comme conséquence un surendettement. La commission a conclu que seul 2,4% des cas d'endettement ou de faillite pouvaient être imputables aux jeux d'argent. Une étude a été réalisée pour essayer de voir si le nombre de joueurs pathologiques avait augmenté avec l'apparition des casinos. L'obstacle rencontré est le fait que la légalisation des casinos, notamment, est récente et donc que les effets en terme de jeu pathologique ne sont pas encore observables. Mais la commission à travers une enquête sur le terrrain a conclu que le jeu pathologique concernait 2,4% de la population totale des joueurs. Ce qui est à la fois peu mais déjà trop. Ce qu'elle a observé est le nombre peu élevé de structures d'accueil pour venir en aide aux joueurs pathologiques et le manque d'information sur les dangers de la maladie du jeu. Un fait qui mérite d'être soulevé, mais dont le lien n'a pu être établi avec la légalisation des casinos, est la baisse du nombre d'habitants dans les comtés où se sont établis des casinos. Un dernier problème soulevé par la commission d'étude est d'éviter que les mineurs participent à des jeux d'argent. Or il est vrai que pour les loteries par exemple il est très difficile de contrôler l'identité de celui qui achète le billet. Les casinos effectuent des contrôles d'identité très stricts à l'entrée, ce qui leur permet d'interdire leur accès aux mineurs de moins de 21 ans. Les loteries ou jeux de grattage se trouvent partout, d'où la difficulté du contrôle d'accès, le mineur pouvant aussi faire acheter son billet par une autre personne. La commission d'étude a aussi organisé trois forums publics où les habitants de l'État étaient conviés pour exprimer leur opinion sur cette légalisation. Il en est ressorti que la plupart des participants pensaient que le jeu doit être légal mais contrôlé, que des mesures doivent être prises pour éviter que les mineurs n'y aient accès, que les aspects négatifs du jeu tel que le jeu pathologique doivent être pris en charge financièrement par l'État. Celui-ci doit assurer la mise en place de campagne de prévention du jeu pathologique et consacrer des fonds au traitement des joueurs malades. Les impacts sociaux sont présents même s'ils ne sont pas la plupart du temps mesurables quantitativement. La question est de savoir, lorsqu'on fait la balance entre les apports économiques et fiscaux des jeux d'argent et les problèmes sociaux engendrés, quels sont ceux qui sont les plus importants. Ensuite il faut déterminer le coût social du jeu et voir si celui-ci est moins important que les revenus générés. Si c'est le cas la légalisation du jeu est bénéfique à l'Etat dans une perspective économique.

Nous pouvons conclure de cette étude que les arguments économiques qui sont soulevés au moment des débats en faveur de la légalisation des jeux d'argent et des casinos en particulier sont fondés dans le cas de l'Indiana. Cet État rencontrait de graves difficultés économiques avant la légalisation des casinos et ceux-ci lui ont permis de retrouver une prospérité peu évidente. L'impact social n'est pas non plus pas à négliger mais on doit remarquer que l'impact social ou culturel est systématiquement minimisé ce qui donne lieu à une argumentation relativement élémentaire, par exemple dans l'argument selon lequel les activités à risque comportent toujours un risque précisément. Le rôle de l'Etat devient alors de trouver des solutions pour limiter les dégats. Cette conception est issue directement du libéralisme qui consiste d'un côté à privatiser les bénéfices et de l'autre à socialiser les pertes et les riques.

Notes
254.

- Règlementation des bateaux -casinos pour l'Etat de L'Indiana. Les bateaux casinos sont obligés dans l'obligation de naviguer et si ils ne peuvent pas à cause des conditions météo une session de jeu à quai est organisée. L'ensemble des passagers doit s'acquitter d'un droit d'entrée de $3. Les jeux autorisés sontles machines à sous, les jeux de cartes et la roulette.

255.

- Les dépenses sont en fait les sommes pariées moins les gains payés.

256.

-- Rapport de la commission d'étude sur l'impact du jeu en Indiana, Les impacts économiques, fiscaux et sociaux de la légalisation des jeux d'argent en Indiana, Indiana University, décembre 1999.

257.

- Le nombre d'employés concerne aussi bien les employés à temps partiels qu'à temps complet.

258.

- Ce casino ayant ouvert peu de temps avant la fin de l'étude il n'y a pas de données disponibles le concernant.

259.

- Collectif, International casino law, third edition, Institute for the study of gambling and commercial gaming, University of Nevada, Reno, 1999.