b- Le Sénat

La question préalable soulève le côté “immoral” de cette proposition de loi. Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, députée communiste, s'exprime ainsi : “‘De grâce, ne comparez pas ce genre d'activités avec les quelques centaines de francs que peut jouer tel ou tel citoyen moyen au Loto ou au Tiercé... Ce texte, loin de résoudre les problèmes posés au personnel des casinos, tend à développer des activités et des comportements parasitaires inqualifiables..., vous tentez d'accréditer l'idée selon laquelle il serait possible de prospérer, voire de s'enrichir non pas en travaillant mais en jouant’”. Les casinos sont une nouvelle fois mis en marge des autres jeux, ils auraient un caractère immoral que les autres jeux n'auraient pas. Est-il plus amoral de s'enrichir en gagnant au loto qu'en gagnant dans un casino ? ou de jouer quelques centaines de francs dans un casino plutôt qu'au Loto ou au tiercé ? Cette question reste sans réponse. La seule chose qui change est l'image attachée au lieu où cet argent est joué.

Une autre remarque sur la moralité est à prendre en compte, celle du sénateur Paul Souffrin qui concerne la rentrée des devises étrangères par le biais des casinos. "‘Il existe d'autres sources de devises aussi bien au Luxembourg qu'en République Fédérale d'Allemagne dont nous ne bénéficions pas en France : je pense aux Eros centers par exemple. Voulez-vous que nous en installions en France ? Vous rendez-vous compte du niveau auquel vous placez votre morale ?". ’La comparaison des casinos aux Eros centers, le recours à la perversion de la sexualité (vénalité) indique le peu de moralité attachée aux casinos et de la représentation qu'en ont les sénteurs pour qui le jeu assimilé à la prostitution stimule le vice. C'est au fond exactement la même argumentation qu'au Parlement.

La dernière phrase que nous prendrons en compte est celle du sénateur Jean Collin : "Qu'il y ait extension, soit ! Mais que celle-ci se limite à l'enceinte des jeux telle qu'elle est définie actuellement, voilà qui me rassurerait tout à fait". Nous trouvons ici en face du même type de réaction que nous avons vu pour le cas d'Atlantic City avec le slogan : "When you vote "yes" for casinos in Atlantic City and only in Atlantic City". Cette reprise d'un thème récurrent repose sur la limitation du "mal nécessaire" dans un lieu réservé.

On doit souligner ici que l'opposition à la légalisation repose sur trois figures rhétoriques très différentes :

  • la première, l'analogie, assimile le jeu à une drogue (alcoolisme) ; elle repose sur le souci de protéger les citoyens contre un risque que la légalisation leur ferait courir. Elle se présente donc comme politique publique de prévention.-
  • la seconde, propre au parti communiste, est celle de l'exploitation des classes populaires ("exploitation du rêve"). Elle repose sur la dénonciation de l'entreprise comme source d'aliénation. Elle prend en compte l'aspiration au rêve (le désir de gagner), mais condamne sa forme pour une raison explicitement "politique" ou "idéologique".
  • la troisième, sans doute la plus vicieuse, repose sur un paralogisme : l'assimilation d'un lieu réservé, le casino, à cet autre lieu réservé qu'est l'Eros Center. Ce faisant, elle occulte le principal élément constitutif du marché du sexe : l'exploitation du corps de l'autre dont le casino n'offre bien entendu aucun équivalent. On voit dans cet argument, qui peut être de bonne foi, que c'est bien le lieu même du casino, et ses images anciennes, qui provoque le rejet.

Dans les trois cas, l'argumentation dénie ce qui est pourtant le fondement du jeu : le désir de jouer, et la confrontation au hasard qui est à la source du plaisir de ces jeux.

La discussion de la proposition de loi à l'Assemblée Nationale et au Sénat montrent que ce sont les mêmes objections qui ont été soulevées à l'occasion de la légalisation des casinos dans la ville d'Atlantic City dans le New Jersey. Nous les retrouverons dans le projet de la construction d'un casino dans la cité internationale de Lyon. Elle sont centrées sur la discussion des trois items que nous avons évoqué précédemment : la criminalité supposée et la dépendance au jeu opposées aux enjeux économiques. La proposition de loi ayant été adoptée à l'Assemblée Nationale puis ensuite au Sénat malgré les objections morales qui ont été soulevées, on peut en déduire qu'à nouveau les enjeux économiques ont été plus importants que les enjeux sociaux. La question de la moralité des jeux de casinos tient aussi une place importante dans les débats. Nous avons pu nous rendre compte que ceux-ci ne bénéficiaient pas de la même reconnaissance sociale que les jeux du type Loto, Loterie nationale, promus par l'Etat. C'est par l'association à une industrie “légitime”, le tourisme, que les intervants ont cherché à légitimer leur position et à donner une image positive des casinos en France.