c- Le traitement médiatique du projet de l'implantation d'un casino après le vote du 15 janvier 1996

A la suite du vote du 15 janvier 1996, la ville de Lyon s'est prononcée en faveur de l'implantation d'un casino dans l'hôtel de la cité internationale de Lyon.

Pour l'analyse du traitement médiatique de ce vote nous avons retenu comme corpus :

L'article du Progrès laisse, en rapport avec son titre "Petit succès pour le casino", une petite place à l'adoption du principe de contruction d'un casino dans la ville de Lyon. L'article est un compte rendu du conseil municipal du 15 janvier. Celui-là a commencé par un hommage à François Mitterrand, puis par le vote sur le projet du casino pour embrayer immédiatement sur la coupe de football. Il n'est plus question du projet en lui-même mais de l'attitude des hommes politiques et notamment de ceux qui ont montré leur peu d'enthousiasme ou leur refus catégorique. L'attitude de Raymond Barre est éloquente: "personnellement j'aurais préféré ne pas présenter ce projet". Le journaliste fait tout pour démontrer que ce casino a vraiment été admis à contrecoeur et parce qu'on ne pouvait pas faire autrement ("un projet porté à bout de bras", "n'a pas réjoui", "l'adopter du bout du lèvres", "loin du "banco" attendu" (ici le terme “banco” qui fait partie du champ lexical du jeu est employé pour le déprécier), "scepticisme"). L'auteur met l'accent sur les partis politiques auquels appartiennent les votants ainsi que sur ce qu'ils ont voté ("le projet a reçu le vote négatif du PC, du FN et de la gauche alternative”). Il n'y a plus d'enjeux économiques mais un débat politique (“seuls les élus de la majorité").

Le Figaro titre "Casino, vote et passe" un article dans la rubrique "Lyon société". On note à nouveau l'emploi du vocabulaire du jeu pour parler du projet. Le chapeau insiste quant à lui sur le vote positif mais plutôt à contrecoeur des élus ("quelque réticence", "sans enthousiasme débordant, mais plutôt avec résignation"). Il s'agit "de sauver les meubles" et Le Figaro souligne que "ce mal nécessaire a été compris", notamment par Raymond Barre. Il note les réactions des différents hommes et groupes politiques et cite leurs phrases les plus "piquantes" (les communistes qui trouvent "indécent" un tel équipement en temps de crise, "où l'on flambe en une nuit ce que certains ne gagnent pas en une journée"). Cela pour souligner à la fin que ce sont les enjeux économiques de ce projet qui l'ont emporté sur le reste. ""La crise est bien là, il faut s'adapter à sa réalité" a répondu Henry Chabert à tous ses interlocuteurs, tentant de les rassurer sur les garanties qui entouraient le montage du dossier.", et le casino est le seul moyen de résoudre le problème. Ce débat politique est du même type que celui qu'on a pu trouver dans les discussions à l'Assemblée Nationale et au Sénat en 1988. On y retrouve les mêmes arguments mais aussi le même type d'opposition morale que suscitent les casinos. Cette idée du “mal nécessaire” est fortement connotée par les réactions peu enthousiastes et résignées des différents hommes politiques. La question est de savoir s'il existe pour les hommes publics une crainte de soutenir de façon plus enthousiaste les casinos liée à une dépréciation de leur image du fait de la mauvaise réputation du jeu. Les jeux de casino étant stigmatisés très négativement, il leur est difficile de prendre position sans risquer de ternir leur image de garant de la moralité.

Le Mondea consacré deux semaines de suite des articles aux jeux de casinos et à la construction du casino quai A. Lignon. Le 17 janvier, sur 3/4 de la page Rhône-Alpes, on peut trouver 4 articles sur le jeu. Le premier et le plus volumineux, "La roulette lyonnaise" fait état de la décision du conseil municipal et justifie la décision qui y a été prise en faisant référence aux enjeux qui sont liés à ce projet. Il insiste notamment sur la présence d'Interpol à deux pas du casino qui est une garantie supplémentaire de sécurité. Le deuxième, "Les réserves de M. Barre" parle de l'attitude peu enthousiaste du maire de Lyon face à ce projet. Le troisième, "Forçats du jackpot", parlent des flambeurs, des malades du jeu et donne une description peu avantageuse des joueurs de machines à sous. Le quatrième, "Les "bandits manchots" et les autres", parle du banditisme et des casinos. Nous remarquons qu'à travers cette page, on peut retrouver tous les thèmes récurrents que l'on a évoqués précédemment qui sont liés aux jeux de casino (enjeux économiques, problème du jeu pathologique, criminalité). L'occasion de ce projet de casino donne au Monde la possibilité d'offrir un bref aperçu sur la façon dont le journal voit le jeu (vision rejoignant celle de la majorité de la population).

Le Monde du 23 janvier 1996 consacre une page entière dans la rubrique "société" aux jeux de casino. En haut de la page, on trouve un récapitulatif sur les machines à sous depuis leur légalisation en France. On trouve 2 thèmes en lettres capitales : "une nouvelle clientèle", "une manne pour l'État" qui ont été les arguments clés pour la légalisation de ces machines. Un article, "Les "bandits manchots" font la fortune de la France", occupe les 2/3 de la page. A l'intérieur, on trouve une partie consacrée au projet du casino quai A. Lignon. Cet article parle principalement de la démocratisation des casinos avec l'apparition des machines à sous, c'est à dire de la nouvelle clientèle qu'elles ont attirée : "toutes les catégories socio--professionnelles" (discours cité entre guillemets du directeur marketing du groupe Barrière, des transformations que cela a entrainé pour les casinos (aménagement de nouvelles salles, accès gratuit de la salle des machines, une nouvelle politique de marketing...) et surtout de l'apport financier qu'un casino constitue pour une ville par le biais des différents prélèvements dont il fait l'objet. Ensuite il embraye en citant Philippe Gazagne, directeur général du groupe du groupe Barrière : "nous faisons toujours les frais de valeurs morales et d'une image de marque injustement dépréciée" en parlant des affaires de banditisme liées au jeu. L'auteur de l'article cite alors toutes les mesures de contrôle qui entourent les casinos. Mais pour lui "la caricature, cependant, est tenace autant que les préjugés moraux" qui sont à l'origine de la réticence de certains élus de la ville de Lyon et notamment Raymond Barre (qui a quand même accepté ce projet pour des impératifs économiques). Un autre petit article "Les descendants du "gum age"" retrace en quelques lignes l'histoire des débuts des machines à sous, les trois barres alignées rapportaient des gommes, jusqu'à leur apparition dans les casinos de Las Vegas. Un petit encart fait état d'une joueuse de 48 ans qui vient de décrocher le jackpot du casino de Deauville (soit 5 053 680 frs). Puis viennent "Les dames de Pougues accrochées à leur machine"; le début de l'article laisse un certain suspens sur la suite "Jambes croisées, bas résille, la jeune femme plonge machinalement sa main droite dans la rigole de la machine et remplit, presque indifférente, le petit seau qui lui sert de sébile". Cela pourrait être le début d'un roman policier, mais non, l'article raconte la vie des femmes dans un casino tenu par une femme. Les machines à sous sont la seule distraction de la ville et le casino est un lieu de convivialité où les habitants se donnent rendez-vous. Pour une fois le casino est considéré comme un loisir et les préjugés habituels sont absents : c'est une distraction bon enfant, on joue pour s'amuser. Le traitement médiatique du jeu est humoristique et ludique (cf. "Les dames de Pougues" ci-dessus, "Les bonnes affaires de monsieur Isidore" ci-dessous). La fin de l'article fait le constat positif financier des machines à sous qui ont fait revivre le casino et ont permis la construction d'un restaurant. Le casino subventionne aussi un festival de musique, un tournoi de tennis et l'élection de miss Bourgogne : de quoi réhabiliter une image. Enfin, "Les bonnes affaires de monsieur Isidore" retrace l'épopée de Isidore Partouche qui est parti de rien, a monté une société de casino (maintenant la deuxième française derrière le groupe Barrière) et qui l'a introduite en Bourse pour montrer la respectabilité des casinos d'aujourd'hui (il souligne ainsi le fait qu'un casino est une entreprise normale malgré les préjugés qui l'accompagnent). A travers cette page du Monde, on remarque un traitement médiatique du jeu et des casinos différent de celui du 17 janvier. En effet, les casinos prennent une image ludique qu'ils n'avaient pas précédemment. La présence de femmes qui gagnent et qui prennent plaisir à jouer brise des tabous et donne une "douceur" au casinos que l'on ne trouvait pas auparavant (avec la référence au banditisme, aux joueurs dépendants...). Les titres sont traités sur un mode beaucoup plus humoristique que dépréciateur. L'image du jeu est réhabilitée par ses bons côtés (avec notamment une forte insistance sur les enjeux économiques car les casinos sont une source de financements importante pour les communes).