d- De l'approbation du conseil municipal à la construction et la mise en route effective du casino : un parcours semé d'embûches

La procédure d'obtention d'autorisation des jeux est très longue en France. Une fois que la décision de construire un casino a été approuvé par la municipalité, il reste encore de nombreuses étapes à franchir 326 :

Comme nous pouvons le voir, cette procédure, même si elle se déroule sans aucune anicroche, est déjà très longue. Dans le cas du grand casino de Lyon, le groupe Partouche a dû reporter 2 fois l'ouverture du casino car le ministre de l'intérieur a refusé 2 fois de signer l'autorisation de jeu. Nous allons repartir de l'appel d'offre qui a été lancé en mars 1996 puis nous verrons les différents obstacles qu'a rencontré le groupe Partouche ainsi que quelques exemples du traitement médiatique qui a suivi cette affaire.

Trois groupes répondent à l'appel d'offre pour la concession du casino qui se clot le 7 juin 1996 :

"Pour le moment, le rumeur donne Partouche gagnant" dit Jean-Pierre de La Rocque dans l'Express 327 . Le journaliste se retranche derrière la rumeur pour dire un fait que tout le monde pense. La ville de Lyon publie le communiqué de presse suivant, le mardi 22 octobre 1996.

‘"A la suite de la délibération adoptée par le Conseil Municipal du 15 janvier 1996, le maire de Lyon, Monsieur Raymond Barre a proposer de confier la construction de l'hôtel-casino prévue sur le site de la cité internationale au groupe PARTOUCHE.
Après examen des trois candidatures qui se sont toutes révélées de très haut niveau, l'offre du groupe Partouche apparaît présenter les meilleures garanties. Sa faisabilité semble la plus compatible avec le souhait de la Ville de Lyon de posséder rapidement un hôtel de classe internationale doté d'une enseigne de prestige (Hilton) sans condition préalables.
La proposition du Maire de Lyon devrait être confirmée par une délibération soumise au vote du Conseil Municipal le 16 décembre 1996.
Les travaux de contruction de l'hôtel-casino commenceront en 1997 et son ouverture devrait intervenir en 1999.
Par cette décision, la Ville de Lyon relance le projet de la Cité Internationale, initié en 1985, dont le rôle est essentiel pour aider au développement de notre région" 328 .’

L'essentiel des titres de la presse suite à ce communiqué traite cette victoire avec un vocabulaire qui doit quelques emprunts au champ lexical du jeu. Les Echos titre "Partouche remporte l'hôtel-casino de Lyon" un peu comme si le groupe était un cheval qui venait de gagner une course. Lyon Figaro 329 titre à la Une "Partouche rafle la mise" et publie l'intégralité du communiqué de presse en signalant que ce choix ne surprend personne. "Henri Chabert, qui était chargé de la négociation du dossier depuis le 21 juillet a précisé les raisons d'un choix qui n'est pas une véritable surprise, le groupe Partouche étant depuis longtemps donné favori"( le terme "favori" est aussi un emprunt au vocabulaire des jeux, celui des courses de chevaux). Pour renforcer cette théorie l'Express cite Hubert Benhamou : "Tout le monde me disait que nous serions choisis pour ce projet". Le quotidien souligne, en citant Henry Chabert, que le groupe Partouche était le seul candidat à ne pas conditionner la construction de hôtel à l'obtention de l'autorisation de jeu malgré le fait que tout son projet reposait sur ce postulat. Ce paradoxe permet aux pouvoirs publics de mettre en avant un argument de poids face aux autres concurrents sur la garantie de réalisation du projet. La pratique du discours rapporté permet au journaliste de souligner, d'une part, la manière dont la municipalité légitime sa décision, et, d'autre part, que ce discours n'est pas le sien. Les Petites Affiches lyonnaises 330 consacre une page entière à cette décision avec un titre et le début d'un intertitre dont le vocabulaire sont entièrement celui du jeu : "Partouche mise et gagne le Cité Internationale", "Les jeux sont faits, ainsi en a décidé la municipalité". Cette dernière phrase laisse peu de place au hasard qui est remplacé par la municipalité. "‘C'est un simple communiqué, signé Raymond Barre, qui a mis fin, mardi, au suspense qui, depuis plusieurs semaines.[..] Mais y avait-il vraiment beaucoup de suspense ? Beaucoup donnaient, en effet, dès le départ le groupe, créé par Isidore Partouche, gagnant à tous les coups’". Encore une fois le journaliste souligne les jeux un peu truqués à l'aide d'une métaphore empruntée au vocabulaire de ce champ lexical. Le titre du Progrès 331 , "Pour l'hôtel-casino, les jeux sont faits..." est aussi un emprunt à une expression courante du vocabulaire de la roulette pour annoncer le numéro gagnant. Comme nous pouvons le voir tous les articles cités font tous appel au vocabulaire du jeu pour mettre en avant cette victoire du groupe Patouche.

Après le résultat de cet appel d'offres, une enquête commo incommodo est lancée. Elle consiste à recueillir les opinions manifestées sur ce projet. Celle-ci sera renouvellée trois fois car elle devra être refaite à chaque fois que le ministre de l'intérieur refuse l'autorisation de jeu. Or le groupe Partouche va essuyer deux refus avant de l'obtenir. Nous verrons les raisons de ces refus par la suite. Cette première enquête commodo-incommodo va faire naître un collectif anti-casino. "Des habitants du boulevard des Belges demandent aux élus de ne pas ouvrir de casino à la Cité Internationale pour des "raisons morales" et "contre les nuisances qu'il apporterait au quartier" (sous-titre en gras et caractères plus large que le corps de l'article). "Le collectif "Non au casino" dénonce l'aspect immoral d'un tel établissement et craint, par la voix de sa responsable, l'influence pernicieuse sur les jeunes lyonnais (légende en gras qui accompagne une photo de l'hôtel-casino en construction) 332 . Il est intéressant de souligner cet aspect moral (usage d'un vocabulaire pratiquement religieux) lié à l'image du jeu qui est soulevé. D'ailleurs dans le communiqué de presse dont s'est inspiré l'article précédent un rapport à la religion est clairement exprimé à travers les propos d'Agnès Dahan qui est à la tête de ce collectif. "‘Approcher le casino du centre-ville c'est accepter que le jeu ne soit plus une détente, mais un vice. Nous devons montrer l'espoir à notre jeunesse, en lui montrant que l'espoir est dans le travail et non pas dans le jeu’" 333 . ("Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front" dit la Bible). La Municipalité, pour enrayer ces oppositions, va organiser le 3 octobre 1997 une réunion d'explication pour rassurer les citoyens. Les arguments mis en avant insistent sur le rôle touristique de cette implantation. "‘Un casino correspond à une autre forme de loisirs et à une animation du site", "le rayonnement d'une ville dépend de plusieurs facteurs, il n'y a pas de raison de se priver d'un équipement qui permet à un certain nombre de gens de se détendre’" déclare Henri Chabert 334 . Puis il reprend tous les problèmes rencontrés par la Cité Internationale qui ont justifié cette décision d'hôtel-casino. Hubert Benhamou, directeur du Lyon Vert, présent à la réunion, renchérit sur les taxes que la ville de Lyon va empocher avec ce projet et sur les possibilités budgétaires que cela offre. On retrouve le même schéma argumentatif que dans tous les cas de légalisation ou d'implantation évoqués précédemment. L'intégration du casino dans la ville se fait clairement à travers l'hôtel dont il n'est qu'un élément du développement touristique local. Le collectif anti-casino ne se remanifestera plus par la suite pour des raisons qui nous sont inconnues. Une deuxième opposition à noter à ce projet est celle des Verts. Leur leader Lyonnais, Etienne Tête, renouvelera trois fois, lors des enquêtes successives, les mêmes remarques anti-casino concernant l'immoralité du jeu, la dépendance qu'il entraine, la mauvaise image que cela pourrait donner à la ville de Lyon et le gain économique jugé trop faible pour légitimer ce projet.

"‘Si le ministère de l'intérieur et la commission supérieure des jeux n'ont pas d'opposition de principe, ils souhaitent que les candidats observent à la lettre les conditions édictées par la loi. il faut que l'activité des casinos soit accompagnée d'animations culturelles, ce qui selon le ministère, n'était pas le cas à Lyon’" 335 . La commission supérieure des jeux va rendre deux avis consultatifs négatifs pour l'autorisation de jeu du casino de la Cité Internationale. Le ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement, prendra la même direction et refusera deux fois de signer l'autorisation. L'ouverture du casino va être reculée d'environ 1 an puisqu'il n'ouvrira ces portes qu'en mars 2000. Le premier refus sera motivé par le fait que les travaux ne sont pas assez avancés pour ouvrir le casino, mais le groupe souhaite mettre en place rapidement les jeux traditionnels. Il faut savoir qu'il faut un délai d'un an entre l'ouverture des jeux traditionnels et la mise en place des machines à sous. Les jeux tradtionnels n'étant de toute façon pas rentables, le groupe Partouche voulait ouvrir la salle avant même la fin de la construction pour que les machines à sous puissent être exploitées un an après. Le deuxième refus portera sur la faiblesse des animations proposées. Le pôle "animation" fait partie des 3 éléments qui constituent un casino et le ministre va estimer qu'il a besoin d'être renforcé pour l'acceptation du dossier. A partir du deuxième refus les pouvoirs publics vont s'impliquer plus nettement dans cette affaire et affirmer leur soutien à ce projet. Dans un article du Progrès, "Casino de Lyon : Partouche revoit sa copie", une interview du premier adjoint au Maire, Alain Soulier, avec sa photographie, est publiée sur la même page. Son titre, entre guillemets, "Nous allons aider le groupe Partouche", souligne la volonté de la municipalité de voir aboutir ce projet et son implication future pour que l'autorisation de jeu soit accordée. "‘La ville de Lyon prend acte de sa décision (celle du ministre de l'intérieur), mais elle ne s'en lave pas les mains, car la réussite de ce dossier est un des éléments de son développement", "Lyon enregistre un fort développement du tourisme, notamment depuis son inscription au patrimoine mondial, et elle est entrain de s'imposer comme une des grandes villes européennes. Cette affaire ne peut donc pas nous laisser indifférent’" 336 . Comme nous pouvons le voir, la relation entre le développement touristique de la ville et la construction du casino est clairement établie à travers les propos d'André Soulier qui légitime ainsi l'implication de la ville dans ce dossier. Ce qui est intéressant de souligner est la mention "patrimoine mondial" qui concerne l'aspect culturel de la ville. "‘Notre aide s'inscrit naturellement dans nos domaines de compétences. l'animation du lieu se fera en relation avec les activités culturelles de la ville et le casino va s'investir dans la vie de certaines institutions comme le Musée d'Art contemporain ou la biennale de la danse. Nous avons confiance dans la décision ultime du ministre de l'intérieur’" 337 . Le casino se retrouve cité dans ces propos à côté d'institutions qui ont un caractère culturel légitime et bénéficie donc de cette légitimité interposée. Il est intéressant de noter le "nous" employé par André Soulier en fin de phrase car il renforce le degré d'implication des pouvoirs publics dans cette affaire. Dans son troisième projet présenté à la commission des jeux et au ministre de l'intérieur, Partouche va donc mettre l'accent sur le côté culturel. Il va s'engager sur la programmation de nombreux spectacles de variétés, des pièces de théâtre, ainsi que sur l'accord de subventions à des manifestations (comme la Biennale de la danse ou les Nuits de Fourvière) ou à des institutions (Opéra, ONL...). Le volet culturel prend donc une place importante pour le casino et devient le point essentiel qui va légitimer sa présence. Tourisme, culture et casino deviennent les trois éléments clés de ce projet lié au développement de la ville. Enfin, début janvier, Jean-Pierre Chevènement signe l'autorisation de jeu pour l'ouverture du casino en mars 2000. Dubouillon publie un dessin humoristique dans Le Progrès du 13 janvier 2000 dont le titre est "Chevènement autorise les bandits manchots". Le personnage représenté, Jean-Pierre Chevènement, dit dans une bulle : "La province manque d'activités culturelles". La question est de savoir s'il fait allusion au jeu en tant qu'activité culturelle ou aux subventions et manifestations diverses sur lesquelles le casino s'est engagé. L'article qui suit, "Ouverture d'un casino à Lyon : Bingo", parle dans un premier temps de culture avec la programmation des spectacles prévus et ensuite des atouts économiques de cette décision notamment concernant l'emploi. Ensuite viennent les réactions des élus et notamment celle de Raymond Barre : "‘Pour nous c'est une excellente nouvelle. Parce que nous sommes la première grande ville à obtenir un casino, et aussi parce que c'est une bonne affaire pour Lyon’" 338 . Que de chemin parcouru depuis cette phrase qu'il avait prononcée et que nous citions précédemment dans le traitement médiatique après la décision du conseil municipal du 15 janvier 1996 : "personnellement j'aurais préféré ne pas présenter ce projet" 339 . L'importance culturelle donnée à ce projet semble lui avoir conféré une légitimité qui lui faisait défaut auparavant et que les arguments économiques n'arrivaient pas complètement à établir.

Nous avons pu remarquer tout au long de ce "feuilleton" sur l'implantation du casino que différents processus de légitimation de ce projet ont été mis en oeuvre au fur et à mesure de son déroulement. Dans un premier temps les bénéfices économiques ont été les premiers à être mis en avant, puis, devant les refus successifs du ministère de l'intérieur, la culture est venue jouer un rôle essentiel dans ce projet. L'intégration du casino dans le paysage lyonnais ne s'est donc pas fait comme celui d'une entité isolée. Elle s'est faite, dans un premier temps, par le biais de l'hôtel puis ensuite comme un pôle d'attraction supplémentaire dans le développement touristique et culturel de la ville.

Notes
326.

- Réponse e-mail de Thierry Pouillaude, directeur marketing du casino de Niederbronn, sur la liste de diffusion ml-casinos@casinos.fr.

327.

- De La Rocque Jean-Pierre , "Lyon : la bataille du casino", l'Express, 16/10/96.

328.

- Communiqué de presse de la Ville de Lyon publié le mardi 22 octobre 1996.

329.

- Dybich Christian, "Partouche rafle la mise", Lyon-Figaro, 23/10/96.

330.

- Largeron D, "Partouche mise et gagne la Cité Internationale", Petites Affiches lyonnaise, du 23 au 25 octobre 1996.

331.

- Duret Aline, "Pour l'hôtel-casino, les jeux sont faits...", Le Progrès, 23/10/96.

332.

- Chambard Elisabeth, "Le futur casino a des opposants", Le Progrès, 19/9/97.

333.

- Communiqué de presse envoyé par Agnès Dahan, responsable du collectif "Non au casino", 15/9/97.

334.

- Compte-rendu de la réunion du vendredi 3 octobre 1997 à la mairie du 6e. Chambard Elisabeth, "Les charmes opulents d'un Las Vegas sur Rhône", Le Progrès, 5/10/97.

335.

- Ceaux Pascal, "Les casinos tentent de conquérir les centres des grandes villes", Le Monde, 17/9/99.

336.

- Interview d'André Soulier par Manuel Da Fonseca, "Casino de Lyon : Partouche revoit sa copie", Le Progrès, 7/8/99.

337.

- Ibid.

338.

- Hedou Christian, "Ouverture d'un casino à Lyon : Bingo", Le Progrès, 13/1/2000.

339.

- "Petit succès pour le casino", Le Progrès, 16/1/96.