Conclusion de la troisième partie

Dans tous les cas que nous avons examinés (Atlantic City, l'Etat d'Indiana, le Canada, les discussions de l'Assemblée Nationale et du Sénat, le projet de la construction d'un casino dans la cité internationale de Lyon) on retrouve exactement le même type d'arguments, qui reposent sur la fiscalisation très importante des casinos, les emplois qu'ils génèrent et l'animation touristique dont ils font bénéficier une ville, d'une part, et les mêmes objections, fondées sur une condamnation morale (qui inclut le jeu pathologique) et la crainte du banditisme. Il est intéressant de remarquer que tous les discours d'opposition reprennent des stéréotypes issus des stigmates liés à l'industrie des casinos. On peut donc dire que les débats sur les casinos que nous avons étudiés suivent le même schéma discursif, et aboutissent à la même conclusion : les enjeux économiques sont beaucoup plus importants que toutes les oppositions qui peuvent être soulevées. Ce revirement de l'attitude des pouvoirs publics constitue évidemment à nos yeux un signe caractéristique d'un changement culturel. La réhabilitation de l'image des casinos passe par la valorisation économique de ces entreprises qui sont désormais présentées comme des prestataires de loisirs. "Aller au casino" devient alors socialement acceptable.

Ces débats montrent une relative inanité de la réflexion politique sur le jeu : là où les politiques assimilent leurs fonctions à celles de gestionnaires et tentent pour cette raison de tirer parti des jeux pour financer un développement local ou national, les opposants brandissent un argument moral qui ne peut être soutenu qu'en recourant à des figures rhétoriques ; le jeu ne met pas en péril l'intégrité physique d'autrui comme l'excès de vitesse, ni le respect de l'être humain comme la prostitution, ni l'appropriation d'une plus-value tirée du travail d'autrui. Cela indique du moins l'extrême difficulté à penser une "politique" du jeu, et plus généralement du loisir, autrement que comme simple aménagement du territoire. Car, s'il est relativement facile de contruire une "politique culturelle" lorsqu'on envisage la culture comme patrimoine (monuments, musées, etc.), ou comme création (spectacles, beaux-arts), il est extrêmement difficile de faire entrer le jeu (éminemment privé) dans l'espace public. Si l'on considère que le moteur du jeu repose sur la confrontation du joueur avec le hasard, dont il attend fortune ou infortune, et que ce jeu, individuel, ne met pas en cause la propriété ou l'intégrité d'autrui, il n'y a guère que deux limites possibles : ritualiser le jeu en le liant à des pratiques religieuses comme dans l'Antiquité romaine, ou limiter et réglementer son exercice dans des lieux réservés parce que précisément le jeu se joue des règles normales de production de la richesse.

Le rôle des pouvoirs publics locaux dans chacun des cas évoqués est déterminant. Ce sont eux qui tiennent la place la plus importante dans les campagnes publiques destinées au développement des casinos, et ce sont aussi souvent eux qui soutiennent le plus fortement les projets d'implantation de nouveaux casinos. Les casinos sont ainsi devenus à leur yeux, des outils importants du développement touristique local. En effet, leur intégration à l'économie locale est présentée souvent comme une activité supplémentaire qui vient compléter ce qui existe déjà. C'est ainsi que les casinos s'intègrent dans le paysage local et contribuent à dessiner l'image de la ville sans que pour autant toute son économie soit forcément centrée sur le casino (ce qui présente un danger évident comme nous avons pu le voir avec le cas de Divonnes-les-Bains). En France, les casinos sont depuis longtemps un outil du développement local avec leur place majeure dans les villes d'eaux. La nouveauté est leur intégration au paysage urbain comme une nouvelle forme de loisir socialement de mieux en mieux acceptée.

Il faut souligner aussi, malgré tout ce qui vient d'être dit, qu'une partie de la population conserve d'importants "préjugés" sur les jeux de casino. Nous disons "préjugés" parce que les sondages que nous avons cités indiquent une forte modification des opinions après une campagne d'information. Ces préjugés sont liés à la nature même du casino, alors que d'autres jeux comme le loto ou le tiercé, auxquels on peut jouer dans des lieux moins marqués (bureau de tabac, bar, etc.) n'en souffrent pas. Ces jeux là, du fait que ce sont des jeux d'Etat, promus par l'Etat, ont une légitimité certaine. Le fait qu'en France, ils sont une "entreprise publique" en opposition avec les "entreprises privées" que sont les casinos (même si on oublie souvent que ce sont des concessions de service public) leur donne une image plus neutre : la théorie de la ruine automatique du joueur ne vise que les casinos puisque ceux-ci sont motivés par des impératifs de rentabilité. On les accuse d'ailleurs souvent de s'enrichir sur le dos des joueurs, alors que, quand on joue au Loto, c'est comme si on participait volontairement à un impôt indolore. On ne peut à la fois raisonnablement demander aux casinos d'être une activité économique rentable (emplois, impôts, etc.) et leur reprocher de construire leurs profits sur les pertes, alors que c'est exactement ce qui constitue le jeu.