2.2. Le corps genouillé dorso-latéral

Au-delà du chiasma, 90 % des fibres optiques se projettent sur le corps genouillé dorso-latéral, seule structure sous-corticale à traiter l'information visuelle (Mason & Kandel, 1991).

Cette projection va se faire de telle sorte qu'il existe au niveau des corps genouillés dorso-lateraux droit et gauche une représentation rétinotopique du champ visuel controlatéral (Mason & Kandel, 1991).

"Un des rôles supposés du corps genouillé dorso-latéral est de permettre la séparation des neurones innervés par les cellules rétiniennes de type alpha, bêta et gamma en différentes couches cellulaires et de mettre en registre les représentations de l'hémichamp visuel controlatéral pour chacune de ces catégories. C'est ce rôle de tri et de mise en registre qui explique sa forme laminaire caractéristique" (Bullier, 1998, p. 17). En effet, le noyau dorsal du corps genouillé dorso-latéral contient six couches de cellules. Ces couches sont numérotées de 1 à 6 de la couche la plus ventrale à la couche la plus dorsale (voir Figure 1). Les couches 1 et 2 sont appelées "couches magnocellulaires". Les couches 3 à 6 sont appelées "couches parvocellulaires". Les couches parvocellulaires reçoivent l'information provenant des cellules ganglionnaires bêta alors que les couches magnocellulaires reçoivent l'information provenant des cellules ganglionnaires alpha (Dreher, Fukada, & Rodieck, 1976 ; Leventhal et al., 1981 ; Livingstone & Hubel, 1988 ; Schiller & Malpelli, 1978 ; mais voir Shapley, Kaplan, & Soodak, 1981, pour une critique). Par ailleurs, chaque couche de cellules reçoit les informations d'un seul oeil. Comme l'illustre la Figure 1, les fibres optiques provenant de l'hémirétine nasale de l'oeil controlatéral se projettent dans les couches 1, 4 et 6 tandis que les fibres optiques provenant de l'hémirétine temporale de l'oeil ipsilatéral se projettent dans les couches 2, 3 et 5. Ainsi, chaque couche contient une représentation du champ visuel controlatéral vu par l'un ou l'autre oeil. Cependant, si les couches recevant l'information des hémirétines nasales contiennent une représentation complète du champ visuel controlatéral, les couches recevant l'information des hémirétines temporales ne contiennent que 90 % de cette représentation (Mason & Kandel, 1991). En effet, comme nous l'avons vu, les hémirétines temporales ne reçoivent pas l'information contenue à la périphérie du champ visuel. Enfin, la surface de la rétine n'est pas représentée de façon proportionnelle dans le corps genouillé dorso-latéral. La fovéa, qui est, comme nous l'avons dit, le point de plus grande acuité visuelle, présente une plus grande densité de cellules ganglionnaires. Elle va donc être proportionnellement plus représentée que ne vont l'être les régions périphériques de la rétine. Ainsi, il y a une amplification de l'information provenant de la fovéa (Mason & Kandel, 1991).

Les cellules magnocellulaires (M) et parvocellulaires (P) ont des champs récepteurs très proches de ceux des cellules ganglionnaires. En effet, ils sont de forme globalement circulaire, présentent un centre et un pourtour aux réponses antagonistes et ainsi répondent mieux aux stimulations localisées qu'aux lumières diffuses. De plus, comme les cellules ganglionnaires alpha et bêta, les cellules P et M se subdivisent en cellules à centre "on" et en cellules à centre "off" (Livingstone & Hubel, 1988 ; Mason & Kandel, 1991). Si les champs récepteurs des cellules M et P sont structurellement similaires, ces deux types de cellules présentent de nombreuses différences. D'un point de vue anatomique, les cellules M ont un corps cellulaire relativement large alors que les cellules P ont un plus petit corps cellulaire. Par ailleurs, ces cellules présentent de nombreuses différences physiologiques qui sont notamment liées à l'origine différente de leurs afférences (Shapley et al., 1981). Selon Livingstone et Hubel (1988), ces cellules diffèrent selon quatre axes : la couleur, la vitesse de réponse, la sensibilité au contraste et l'acuité. Tout comme les cellules ganglionnaires alpha, les cellules M des couches magnocellulaires montrent une grande sensibilité aux hautes fréquences temporelles et aux faibles contrastes, mais présentent une faible acuité visuelle à cause de la largeur de leurs champs récepteurs et ne répondent pas aux couleurs. Les cellules P des couches parvocellulaires présentent, quant à elles, tout comme les cellules ganglionnaires bêta, une grande sensibilité à la couleur et une bonne acuité grâce à leurs petits champs récepteurs, mais elles sont moins sensibles aux contrastes et présentent des latences de réponses plus longues que celles des cellules M.

Enfin, nous avons vu qu'il existait une classe de cellules ganglionnaires nommées "gamma". Les axones de ces cellules vont aussi se projeter en partie sur le corps genouillé dorso-latéral au niveau de neurones situés entre les couches magnocellulaires et parvocellulaires et que l'on nomme neurones koniocellulaires (K). Ces neurones présentent une latence de réponse encore plus longue que celle des neurones P (Bullier, 1998). Comme pour les cellules ganglionnaires gamma, les propriétés des cellules K sont très mal connues.

Ainsi, le traitement du signal visuel semble se faire au sein de différentes voies qui fonctionnent en parallèle, chacune ayant des sensibilités différentes. Les deux principales voies, ou du moins les mieux connues, sont la voie M et la voie P. La voie M part des cellules ganglionnaires alpha de la rétine et se projette sur les cellules magnocellulaires du corps genouillé dorso-latéral. La voie P part des cellules ganglionnaires bêta et se projette sur les cellules parvocellulaires. Toutefois, il est important de noter que la division du travail n'est pas totale et qu'il existe un large recouvrement du codage de l'information entre ces différentes voies (pour des revues, voir Merigan & Maunsell, 1993 ; et Schiller & Logothetis, 1990). Pour que l'information soit exclusivement traitée par une seule voie, il faut être dans des conditions très précises. Ainsi, la voie M est seule à fonctionner pour des stimuli présentant des contrastes excessivement faibles ou pour des stimuli présentant des fréquences temporelles excessivement élevées. La voie P est, quant à elle, seule à fonctionner pour des stimuli contenant de très hautes fréquences spatiales ou pour des stimuli isoluminents, c'est-à-dire des stimuli ne pouvant pas être distingués sur la base de leur luminosité (Bullier, 1998).