3.1. L'aire visuelle primaire

L'aire visuelle primaire, aussi appelée V1, aire 17 de Brodmann, ou encore cortex strié, est la seule aire du cortex visuel à recevoir directement l'information de la rétine par le biais du corps genouillé dorso-latéral (Zeki, 1978). Elle reçoit des afférences en provenance des cellules P, M et K du corps genouillé dorso-latéral (voir Figure 2).

La projection des informations visuelles va se faire de telle sorte que l'on a à nouveau une représentation rétinotopique du champ visuel gauche au niveau de l'aire V1 de l'hémisphère droit et du champ visuel droit au niveau de l'aire V1 de l'hémisphère gauche. Cette représentation par hémichamp se poursuit au-delà de V1 dans les aires visuelles extra-striées (Zeki, 1978). Cependant, la part attribuée à la représentation des différentes parties du champ visuel varie selon les aires en fonction de leurs différentes spécificités de traitement (Kandel, 1991). Ainsi, dans V1, la partie centrale du champ visuel est sur-représentée par rapport à la périphérie. Cette caractéristique s'explique par le fait que l'un des rôles principaux de V1 est l'analyse des contours et que l'acuité est plus grande au niveau de la fovéa (Zeki, 1978). Cette partie centrale va être représentée dans les parties latérales de V1 alors que la périphérie sera représentée dans les parties médianes de V1. Enfin, la représentation du champ visuel est inversée. Le champ visuel supérieur se projette sur la partie inférieure de V1 (au-dessous de la scissure calcarine) et le champ visuel inférieur se projette sur la partie supérieure de V1 (au-dessus de la scissure calcarine) (Barr & Kiernan, 1993).

D'un point de vue cytoarchitectonique, l'aire visuelle primaire est composée de 6 couches de cellules situées parallèlement à la surface du cortex (couches 1, 2/3, 4B, 4C, 5 et 6 ; Bullier, 1998). Par ailleurs, V1 contient une enzyme : la cytochrome oxydase. Cette enzyme est importante car sa répartition inégale a permis de distinguer différentes zones, qui, nous le verrons, jouent un rôle distinct dans le traitement visuel. Les zones correspondant au maximum de concentration de cette enzyme (zones de couleur sombre) sont régulièrement espacées et ont une forme ellipsoïdale. Ces zones portent le nom de "blobs". Les régions autour de ces blobs ont une coloration plus claire due à une plus faible concentration de cytochrome oxydase et sont appelées "interblobs" (e.g., Shipp & Zeki, 1985 ; Livingstone & Hubel, 1988). Les blobs et les interblobs se situent perpendiculairement à la surface du cortex et traversent les 6 couches de V1 même s'ils sont particulièrement proéminents dans la couche 2/3 (Linvingstone & Hubel, 1984).

Comme l'illustre la Figure 2, c'est par la couche 4C qu'arrivent les informations en provenance du corps genouillé dorso-latéral, la partie supérieure de la couche 4C (4C) recevant ses afférences des cellules M et la partie inférieure de cette même couche (4C) recevant ses afférences des cellules P (Hubel & Wiesel, 1972). Les neurones de la couche 4C ont des propriétés proches de celles des cellules ganglionnaires et constituent un relais entre le corps genouillé dorso-latéral et les autres couches de V1.

Les neurones des blobs et des interblobs situés dans la couche 2/3 reçoivent principalement, via les neurones situés dans la partie inférieure de la couche 4C, des afférences des cellules P (Fitzpatrick, Lund, & Blasdel, 1985). Il existe aussi des projections des cellules M sur les blobs et les interblobs et des cellules K sur les blobs (Masson & Kandel, 1991 ; Bullier, 1998). Les neurones des blobs présentent une sélectivité aux basses fréquences qui contiennent essentiellement des informations concernant la longueur d'onde alors que les neurones contenus dans les interblobs sont particulièrement sensibles à l'orientation, aux indices de terminaison, et aux hautes fréquences contenant essentiellement l'information relative à la luminance (Zeki & Shipp, 1988). Les neurones des interblobs sont aussi sensibles à la disparité binoculaire (DeYoe & Van Essen, 1988).

La couche 4B reçoit de son côté, via les neurones situés dans la partie supérieure de la couche 4C, des afférences des cellules M (Fitzpatrick et al., 1985). Les neurones de ces deux couches (4B et 4C) sont sensibles aux contrastes achromatiques, à l'orientation, à la direction du mouvement et à la disparité binoculaire (Livingstone & Hubel, 1988).

Enfin, les couches 5 et 6 sont aussi innervées par la couche 4C (Fitzpatrick et al., 1985) et vont envoyer en retour des informations au colliculus supérieur et au corps genouillé dorso-latéral (Bullier, 1998 ; Mason & Kandel, 1991).

Figure 2. En pleine page, représentation schématique des deux principales voies visuelles chez le primate
Figure 2. En pleine page, représentation schématique des deux principales voies visuelles chez le primate

Inspirée de Bullier, 1998 ; De la Sayette, 1995 ; DeYoe et Van Essen, 1988 ; Distler et al., 1993 ; Merigan et Maunsell, 1993.

Figure 2 (détail). En bas à droite, représentation schématique des deux principales voies visuelles par rapport à une vue latérale d'un cerveau de primate
Figure 2 (détail). En bas à droite, représentation schématique des deux principales voies visuelles par rapport à une vue latérale d'un cerveau de primate

Tirée de Goodale, 1997.

Légende. AIT : aire inféro-temporale antérieure ; CGL : corps genouillé latéral ; CIT : aire inféro-temporale centrale ; FST : fundus de l'aire temporale supérieure ; K : neurones koniocellulaires ; LIP : aire intra-pariétale latérale ; MST : aire médio-temporale supérieure ; M : neurones magnocellulaires ; MT : aire médio-temporale ; P : neurones parvocellulaires ; PIT : aire inféro-temporale postérieure ; VIP : aire intra-pariétale ventrale.

Pour pouvoir répondre à des traits comme l'orientation, la direction du mouvement ou encore la disparité binoculaire, les caractéristiques des champs récepteurs des cellules de V1 vont se complexifier. Ainsi, les champs récepteurs des cellules de V1, hormis ceux de la couche 4C et des blobs, sont différents des champs récepteurs des cellules ganglionnaires. Hubel et Wiesel (1962) ont défini plusieurs types de cellules en fonction de leurs champs récepteurs et notamment les cellules simples et les cellules complexes. Les champs récepteurs des cellules simples présentent plusieurs bandes rectangulaires dont certaines montrent une réponse de type "on" et d'autres de types "off". Ces bandes sont parallèles les unes par rapport aux autres et présentent une orientation spécifique (verticale, horizontale ou oblique). Les champs récepteurs des cellules complexes sont encore plus grands que ceux des cellules simples. Ils présentent aussi un axe d'orientation, mais n'ont pas de zones "on" et "off" clairement définies ce qui implique que la position exacte du stimulus n'est pas un facteur déterminant pour la production d'une réponse. Ces différents types de cellules sont présents dans les aires visuelles extra-striées.

Par ailleurs, les champs récepteurs des neurones des blobs ont une forme circulaire comme ceux des neurones des cellules ganglionnaires mais la plus grande partie d'entre eux présentent des caractéristiques plus complexes concernant leur réponse à la couleur. En effet, si les cellules ganglionnaires bêta et les cellules P répondaient à une gamme de longueurs d'ondes (courtes, moyennes ou longues) mais étaient inhibées par les autres gammes, les cellules des blobs répondent à plusieurs gammes de longueurs d'ondes mais de façons différentes. Plus précisément, une gamme de longueur d'onde touchant le centre du champ récepteur d'un neurone d'un blob va activer ce dernier alors que la même gamme de longueur d'onde touchant le pourtour de son champ récepteur va l'inhiber. Une autre gamme de longueur d'onde se projetant sur ce neurone va avoir l'effet inverse, c'est-à-dire qu'elle va l'inhiber si elle se projette sur son centre et qu'elle va l'activer si elle se projette sur son pourtour. On distingue plusieurs types de neurones sensibles à la couleur : ceux qui répondent mieux à un point rouge sur fond vert, ceux qui répondent mieux à un point vert sur fond rouge, ceux qui répondent mieux à un point bleu sur fond jaune et ceux qui répondent mieux à un point jaune sur fond bleu (Gouras, 1991 ; Livingstone & Hubel, 1984).

Enfin, une autre caractéristique des neurones de V1 est qu'ils répondent aux deux yeux contrairement aux neurones du corps genouillé dorso-latéral qui ne répondent qu'à un seul oeil. Cependant, chaque neurone présente une sensibilité particulière à un oeil. On parle de dominance oculaire (Bullier, 1998).

En résumé, la couche 4C constitue la voie d'entrée du signal, les couches 5 et 6 permettent d'envoyer en retour de l'information vers les structures sous-corticales et les couches 2/3 et 4B poursuivent et affinent le traitement de l'information visuelle grâce à la plus grande complexité et à la plus grande spécialisation des champs récepteurs des cellules de ces couches. Par ailleurs, les voies P et M restent relativement séparées au niveau cortical en se projetant sur différentes couches de V1 (couches 2/3 et 4B respectivement). La voie P se subdivise même en deux branches se projetant sur des zones distinctes de la couche 2/3 (Livingstone & Hubel, 1988). Comme le montre la Figure 2, une branche se projette sur les blobs et va être particulièrement concernée par le traitement de la couleur (voie Pc), l'autre branche se projette sur les interblobs et va être particulièrement impliquée dans le traitement de la forme (voie Pf). A partir du cortex, les voies M et P sont couramment appelées voie dorsale et voie ventrale, respectivement.

V1 projette ensuite des fibres, via les couches 2/3 et 4B, sur différentes aires visuelles extra-striées (Zeki, 1976) et notamment sur V2 et V3.