2.2. Rôle des lobes temporaux et pariétaux

Horwitz et al. (1992) ont utilisé la TEP afin de valider l'existence de deux voies de traitement distinctes chez l'homme. Dans leur expérience, deux tâches expérimentales étaient proposées aux sujets en plus d'une tâche contrôle. Dans la tâche contrôle, le sujet voyait, à chaque essai, trois carrés dont l'un situé au-dessus des deux autres et devait appuyer alternativement sur l'une des deux touches de réponses avec son pouce gauche ou son pouce droit. Dans une tâche expérimentale (tâche d'appariement de visages), le sujet voyait les mêmes carrés dans la même disposition spatiale. Dans chaque carré, un visage était présenté. Le sujet devait indiquer, avec le pouce correspondant, lequel des deux carrés inférieurs contenait le même visage que celui présenté dans le carré supérieur. Dans l'autre tâche expérimentale (tâche de position de points), le sujet voyait à nouveau les trois carrés, mais cette fois, l'un des côtés de ces carrés était muni d'une double barre et un point était placé dans chacun de ces carrés. Le sujet devait à nouveau indiquer manuellement dans lequel des deux carrés inférieurs la position du point par rapport à la double barre était identique à celle illustrée dans le carré supérieur. Pour compliquer la tâche, les carrés inférieurs subissaient une rotation soit de 90° soit de 180° par rapport au carré supérieur.

En comparant les patrons d'activation obtenus dans les tâches expérimentales à ceux obtenus dans la tâche contrôle, Horwitz et al. (1992) ont montré que différentes régions étaient activées selon les tâches. Dans la tâche d'appariement de visages, une activation bilatérale d'une région située dans le cortex occipital extra-strié, correspondant à V4, et une activation bilatérale d'une région occipito-temporale, correspondant à l'aire PIT, ont été observées. Dans la tâche de position de points, l'analyse a révélé une activation de ces mêmes régions mais à un plus faible degré et une activation de plusieurs aires pariétales. Par ailleurs, dans la tâche d'appariement de visages, l'activité de V4 était corrélée à celle de PIT révélant ainsi un couplage fonctionnel entre ces deux régions. De même, dans la tâche de localisation de points, le coefficient de corrélation s'est révélé significatif entre les activations de V4 et d'une aire occipito-pariétale (correspondant peut-être à la partie dorsale de V4) et entre cette dernière et une aire pariétale supérieure (aire 7 de Brodmann). Ces différentes corrélations n'étaient cependant significatives que dans l'hémisphère droit, que ce soit pour la tâche d'appariement de visages ou pour la tâche de localisation de points.

L'avantage de l'hémisphère droit dans ces tâches est sans doute dû au matériel utilisé. En effet, des études chez des patients cérébro-lésés, ainsi que des expériences conduites chez des sujets sains et utilisant la méthode de présentation tachistoscopique en champs visuels divisés ont montré une plus grande participation de l'hémisphère droit dans le traitement des visages (e.g., Landis, Cummings, Christen, Boger, & Imhof, 1986), dans certains traitements visuo-spatiaux (e.g., Hannay, Varney, & Benton, 1976) et dans les activités de rotation mentale (e.g., Ditunno & Mann, 1990).

Par ailleurs, l'activation de V4 dans les deux tâches s'explique sans doute par le fait que, même si V4 fait partie de la voie ventrale, elle se projette quand même aussi sur les lobes pariétaux, comme nous l'avons vu dans le premier chapitre (Zeki & Schipp, 1988).

Dans l'ensemble, les résultats de cette expérience montrent que la distinction entre une voie occipito-temporale, dédiée à l'identification des objets, et une voie occipito-pariétale, dédiée au traitement visuo-spatial, existe aussi chez l'homme.

En utilisant la même technique d'imagerie cérébrale, et les mêmes tâches, Grady et al. (1992) ont étudié les effets de l'âge sur l'observation de différences d'activations entre les aires des voies ventrales et dorsales selon les tâches. Ils ont ainsi testé deux groupes d'hommes dont la moyenne d'âge était respectivement de 27 et 72 ans. Les résultats d'activations de l'ensemble des sujets étaient similaires à ceux de l'expérience précédente. Cependant, la comparaison entre sujets jeunes et sujets âgés a révélé que, si la dissociation entre voie ventrale et voie dorsale était claire chez les sujets jeunes du point de vue de la localisation et de l'importance des activations, elle l'était moins chez les sujets âgés. En effet, chez ces sujets, les deux voies étaient activées par les deux tâches, même si la tâche d'appariement de visages activait plus le cortex occipito-temporal et la tâche de localisation de points activait plus le cortex pariétal supérieur. Ainsi, la dissociation fonctionnelle entre les deux voies est moins prononcée chez les sujets âgés.

Les études d'Horwitz et al. (1992) et de Grady et al. (1992), bien que très intéressantes, posent deux problèmes concernant le choix des tâches. D'une part, les stimuli utilisés sont très différents d'une tâche expérimentale à l'autre (visages versus points) ce qui rend critiquable la comparaison des activations entre les deux tâches. D'autre part, on a vu, dans le premier chapitre, que les visages ont un statut un peu particulier du point de vue de leur traitement. En effet, il existe, dans le lobe temporal inférieur, des cellules qui répondent spécifiquement et même exclusivement à ce type de stimuli (Desimone et al., 1984). Les résultats obtenus dans la tâche d'appariement de visage pourraient donc être spécifiques aux stimuli utilisés rendant ainsi leur généralisation difficile.

Pour pallier le premier problème, et sans doute le plus important, Haxby et al. (1994) ont modifié le paradigme expérimental d'Horwitz et al. (1992). Cette fois, les deux tâches utilisaient les mêmes stimuli. Ainsi, quelle que soit la tâche, le sujet voyait toujours trois carrés contenant chacun un visage. Par ailleurs, chaque carré avait un côté muni d'une double barre. Selon les essais la position exacte du visage par rapport au centre du carré et à la double barre variait. La tâche d'appariement de visage restait identique à celle d'Horwitz et al. (1992). Pour la tâche de position, le sujet devait simplement indiquer dans lequel des deux carrés inférieurs se trouvait le visage occupant la même position que le visage dans le carré supérieur. L'analyse des résultats, obtenus par soustraction des activations de la tâche d'appariement de visage à celles de la tâche de localisation, a révélé une activation occipito-temporale principalement localisée au niveau du gyrus fusiforme, bilatéralement. Par ailleurs, la soustraction inverse a mis en évidence des activations occipito-pariétales pour la tâche de localisation. Ainsi, ces résultats confirment ceux d'Horwitz et al. (1992) et de Grady et al. (1992) avec des stimuli identiques dans les deux tâches. Néanmoins, il reste que ces trois études ont utilisé des stimuli très caractéristiques : des visages.

Une autre étude de TEP, réalisée par Köhler, Kapur, Moscovitch, Winocur, et Houle (1995) permet d'étendre ces résultats à des objets. Dans cette étude, les stimuli étaient identiques dans la tâche spatiale et dans la tâche d'identification et représentaient des objets communs (e.g., un verre, un pull-over). Plus précisément, dans les deux tâches, les sujets voyaient, à chaque essai, deux images. La première image contenait trois objets dessinés au trait dans un arrangement spatial donné. La deuxième image était soit identique en tous points à la première soit différente. La différence entre la première et la deuxième image portait sur la position d'un des trois objets dans la tâche spatiale et sur l'identité d'un des trois objets dans la tâche d'identification. Le sujet devait indiquer manuellement si les deux images étaient identiques ou différentes.

La soustraction des activations obtenues dans la tâche spatiale à celles obtenues dans la tâche d'identification a montré que le lobe pariétal inférieur droit (aire 39) était spécifiquement activé lors du traitement visuo-spatial. La soustraction inverse, permettant de mettre en évidence les aires spécifiquement activées lors de l'identification, a révélé, en particulier, une activation du cortex temporal inférieur gauche.

Ainsi, les résultats de ces expériences fournissent une preuve directe en faveur du modèle d'Ungerleider et Mishkin (1982). En effet, les aires activées étaient différentes selon les tâches, avec une activation temporale dans les tâches d'identification et une activation pariétale dans les tâches spatiales. En plus, cette double dissociation a été observée en utilisant le même matériel expérimental et la même procédure dans les études d'Haxby et al. (1994) et de Köhler et al. (1995). Dans ces deux dernières études, les deux tâches ne différaient donc entre elles que par les opérations cognitives qu'elles engageaient.

Par ailleurs, les activations observées dans l'étude de Köhler et al. (1995) présentent des différences par rapport à celles relevées dans l'expérience d'Horwitz et al. (1992). Concernant l'activation du lobe pariétal droit, Köhler et al. (1995) ont montré une activation pariétale inférieure dans une tâche de jugement de positions spatiales alors qu'Horwitz et al. (1992) ont relevé une activation pariétale postéro-supérieure dans une tâche de jugement de position de points impliquant une activité de rotation mentale. Ainsi, les différentes régions du lobe pariétal ne semblent pas engagées dans les mêmes activités spatiales. De plus, il existe une asymétrie des traitements spatiaux puisque dans les deux tâches c'est le lobe pariétal droit qui a été le plus activé. Ces deux observations doivent cependant être considérées avec précaution étant donné que certaines études d'imagerie cérébrale n'accordent pas au lobe pariétal supérieur un rôle spécifique pour l'activité de rotation mentale et que l'asymétrie hémisphérique n'a pas toujours été observée dans ce type de traitement (e.g., Alivisatos & Petrides, 1997 ; Cohen et al., 1996 ; Tagaris et al., 1997).

Concernant le lobe temporal, Köhler et al. (1995) ont mis en évidence une activation du cortex temporal inférieur gauche dans une tâche d'identification d'objets, alors qu'Horwitz et al. (1992) ont observé une activation temporale inférieure droite dans une tâche d'appariement de visages. Ainsi, il existerait aussi une asymétrie hémisphérique dans les traitements effectués par les lobes temporaux. Le lobe temporal droit serait plus impliqué dans la reconnaissance des visages alors que le lobe temporal gauche serait plus impliqué dans la reconnaissance des objets. Cette hypothèse, concernant une implication de l'hémisphère gauche pour l'identification des objets et une implication de l'hémisphère droit pour l'identification des visages, trouve des appuis parmi les études neuropsychologiques (e.g., Farah, 1991 ; Landis et al., 1986).

Les différentes études présentées dans cette partie semblent confirmer l'existence de deux voies de traitement chez l'homme. Cependant, ces études n'ont porté que sur le traitement de la forme dans les lobes temporaux en utilisant des stimuli achromatiques. Or la voie ventrale est aussi impliquée dans le traitement de la couleur comme l'ont montré les études neurophysiologiques présentées dans le premier chapitre. Les lobes temporaux devraient donc être aussi activés lors du traitement de la couleur.

De fait, Zeki et Marini (1998) ont montré, en utilisant l'IRMf, une activation des lobes temporaux dans une expérience réalisée en vue d'explorer les différents niveaux de traitement de la couleur. Dans cette étude, les auteurs ont utilisé différents stimuli : des stimuli sans signification identiques à ceux utilisés dans l'étude de Zeki et al. (1991), des objets colorés dans leur couleur "habituelle" et des objets colorés dans une couleur "inhabituelle". L'étude des activations obtenues en fonction du type de stimuli a révélé que les stimuli colorés sans signification n'activaient pas d'aires situées au-delà de V4 contrairement aux stimuli colorés ayant une signification. En effet, les objets colorés dans leur couleur "habituelle" ont activé une région antérieure à V4 dans le gyrus fusiforme, l'hippocampe et le cortex frontal ventro-latéral. Les objets colorés dans une couleur "inhabituelle" ont activé le cortex frontal dorso-latéral. Ces différentes observations ont conduit Zeki et Marini (1998) à proposer un modèle de traitement de la couleur à trois niveaux. Le premier, sous-tendu par V1 et V2, serait concerné par l'enregistrement de la présence et de l'intensité des différentes longueurs d'ondes. Le second, sous-tendu par V4, serait impliqué dans le traitement de la couleur sans référence aux objets. Le troisième niveau, sous-tendu par le cortex temporal inférieur et le cortex frontal, serait concerné, non plus par le traitement abstrait de la couleur, mais par le traitement de la couleur en référence aux objets permettant l'intégration des informations de couleur et de surface.

Cette étude confirme que le traitement de la couleur s'effectue bien dans la voie ventrale puisque aucune aire dorsale n'a été activée dans les différentes conditions. Par ailleurs, elle montre que le traitement de la couleur ne s'arrête pas à V4, mais se poursuit dans les lobes temporaux où cette information est combinée avec l'information concernant la forme des objets.

Enfin, cette étude montre que le cortex frontal est aussi impliqué dans les traitements visuels. Cependant, ce cortex n'est pas impliqué directement dans la perception et pour cette raison nous ne détaillerons pas les différents travaux qui ont porté sur le rôle de ce cortex. Il faut simplement savoir, comme nous l'avons brièvement indiqué dans le premier chapitre, que les cortex temporaux et pariétaux sont en constante interaction avec des aires du cortex frontal et qu'il existe, à ce niveau aussi, deux voies de traitements distinctes. L'une est impliquée dans la récupération et la rétention à court terme des informations spatiales, l'autre est impliquée dans la récupération et la rétention à court terme des informations concernant l'identité des objets (e.g., Baker, Frith, Frackowiak, & Dolan, 1996 ; Köhler, Moscovitch, Winocur, Houle, & McIntosh, 1998).

Les différentes études de TEP et d'IRMf montrent, d'une part, l'intérêt de la technique d'imagerie cérébrale, d'autre part, l'existence, chez l'homme, comme chez le singe, de deux voies distinctes du traitement visuel. Enfin, ces études confirment que la voie ventrale est particulièrement engagée dans le traitement de la forme et de la couleur alors que la voie dorsale est principalement concernée par le traitement du mouvement et de la localisation spatiale.

Par ailleurs, une étude originale de Martin, Haxby, Lalonde, Wiggs, et Ungerleider (1995) a montré, grâce à la TEP, que les connaissances concernant les couleurs et les actions étaient aussi stockées respectivement dans les voies ventrales et dorsales. En effet, les auteurs ont montré que la génération de mots d'action en référence à la vision d'un stimuli statique et achromatique (mot ou dessin d'objet) entraînait l'activation d'une région située dans la partie médiane postéro-supérieure du gyrus temporal, région juste antérieure à l'aire MT impliquée dans la perception du mouvement. Au contraire, la génération de mots de couleur en référence à la vision d'un stimulus statique et achromatique (mot ou dessin d'objet) entraînait l'activation d'une région ventrale du gyrus fusiforme située juste en avant de l'aire V4 impliquée dans la perception des couleurs.

Ainsi, les aires des voies ventrales et dorsales ne sont pas simplement impliquées dans l'identification et le traitement visuo-spatial mais aussi dans le stockage des connaissances sur les attributs des objets (Ungerleider, 1995).

Les travaux que nous allons aborder dans la partie suivante portent sur l'étude des différents déficits visuels observés, chez l'homme, à la suite de lésions touchant les lobes temporaux ou pariétaux.