3.3. Quelques exemples de doubles dissociations

Deux exemples de dissociation entre l'effet des lésions de la voie ventrale et celles de la voie dorsale seront présentés. Le premier exemple est apporté par Turnbull (1997). Cet auteur a étudié le cas de deux patients LG et DM. LG présente une lésion temporo-pariétale droite. La localisation de la lésion de DM n'est pas précisée. Cependant, sa description clinique indique que ce patient présente une agnosie associative mais aucun trouble visuo-spatial. Il semble donc vraisemblable que sa ou ses lésions affectent son ou ses lobes temporaux mais épargnent ses lobes pariétaux. Dans l'expérience utilisée par Turnbull, les patients avaient deux tâches à réaliser sur un même matériel. On leur présentait des vues canoniques d'objets connus dans différentes orientations (vue dans son orientation normale, vue inversée, vue tournée de 90° vers la droite ou de 90° vers la gauche). Les patients devaient, tout d'abord, nommer les objets dans leurs différentes orientations, puis ils devaient remettre ces objets dans leur orientation canonique normale. LG réussissait assez bien à nommer les objets quelle que soit leur orientation mais éprouvait beaucoup de difficultés à orienter convenablement ces objets qu'il les ait reconnus ou non. DM présentait le profil inverse, c'est-à-dire qu'il échouait souvent dans la dénomination des objets ce qui est cohérent avec son agnosie associative. Par contre, il réussissait assez bien dans la tâche d'orientation des objets. Pour Turnbull (1997), l'observation d'une telle dissociation indique que les connaissances structurales sont stockées indépendamment des connaissances concernant l'orientation canonique des objets puisque LG a accès aux premières mais pas aux secondes alors que DM a accès aux secondes mais pas aux premières. Par ailleurs, ces résultats soutiennent l'hypothèse selon laquelle la reconnaissance d'objets est réalisée par la voie ventrale (préservée chez LG) indépendamment du traitement de l'orientation. Par ailleurs, les résultats de l'étude de Turnbull (1997) indiquent aussi que la voie dorsale est, quant à elle, concernée par le traitement de l'orientation canonique des objets.

La deuxième étude a été réalisée par Wilson, Clare, Young, et Hodges (1997). Ces auteurs présentent le cas de deux patients : MU qui a des lésions bilatérales pariéto-occipitales et JBR qui a une lésion étendue affectant particulièrement les lobes temporaux. Wilson et al. (1997) ont utilisé des tests de dénomination d'images et de fluence catégorielle (e.g., donner tous les noms d'oiseaux qui vous viennent à l'esprit) pour explorer les traitements sémantiques des patients et des tests de comptage de points, de discrimination de position, de repositionnement d'un point et de comptage de cubes plus ou moins cachés pour étudier les traitements visuo-spatiaux. L'étude des performances des patients a permis à Wilson et al. (1997) de montrer que JBR avait de grosses difficultés à réaliser les tâches impliquant l'accès aux connaissances sémantiques alors que MU les réalisait presque parfaitement. D'un autre côté, JBR s'est montré parfaitement capable de réaliser les tâches visuo-spatiales alors que MU n'y est presque pas arrivé. Ainsi, ces résultats sont en accord avec l'hypothèse de Mishkin et Ungerleider (1982) selon laquelle la voie ventrale serait dédiée à l'identification des objets et contiendrait, au niveau des lobes temporaux, l'ensemble des connaissances sémantiques concernant les objets, alors que la voie dorsale permettrait les traitements visuo-spatiaux.

La distinction fonctionnelle entre le rôle de la voie ventrale et celui de la voie dorsale proposée par Ungerleider et Mishkin (1982) semble donc être confirmée par les études des effets des lésions cérébrales chez l'homme. Cependant, si les deux voies fonctionnent en parallèle, elles interagissent aussi beaucoup.