4.1. Dissociation entre perception et action chez des patients cérébro-lésés

Le cas le plus cité et le plus étudié est celui de DF (Milner et al., 1991). Cette patiente présente des lésions diffuses qui affectent particulièrement les parties ventro-latérale des lobes occipitaux, tout en préservant le cortex visuel primaire. L'étude de ses capacités de traitement visuel a révélé une agnosie visuelle des formes très sévère (DF n'est pas capable de faire la différence entre un rond et un triangle). C'est le traitement perceptif qui fait défaut chez DF, bien que ses capacités sensorielles soient relativement préservées (discrimination de la couleur, de la luminosité, du contraste, des fréquences). Malgré son déficit, DF est capable d'utiliser des informations visuelles concernant la taille, la forme et l'orientation des objets pour guider ses mouvements.

Pour tester la dissociation entre perception et mouvement visuellement guidé, Goodale, Milner, Jakobson, et Carey (1991) ont demandé à DF de réaliser deux expériences, l'une perceptive et l'autre visuo-motrice. L'expérience perceptive était composée de plusieurs tâches. Dans l'une de ces tâches, un disque muni d'une fente était présenté à DF, et, à côté, une carte sur laquelle étaient dessinés quatre segments de lignes dans des orientations différentes. DF devait indiquer quelle ligne correspondait à l'orientation de la fente. Dans une autre tâche, on présentait toujours à DF le disque avec la fente, mais cette fois, on lui demandait d'orienter correctement une petite carte pour que son orientation corresponde à l'orientation de la fente. Enfin, dans une dernière tâche, DF devait indiquer l'orientation d'un rectangle placé sur une table devant elle. Quelle que soit la tâche, les performances de DF étaient très faibles. Dans l'expérience visuo-motrice, DF devait cette fois mettre la petite carte dans la fente et plus seulement l'orienter. De façon surprenante, les performances de DF dans cette deuxième expérience étaient excellentes. L'observation d'une telle dissociation a conduit Goodale et al. (1991) à étudier les performances de DF dans des expériences qui impliquaient, cette fois, le traitement de la taille. Dans une expérience, différentes formes de même surface (carrés et rectangles plus ou moins allongés) étaient présentées deux par deux à DF qui devait dire si elles étaient identiques ou différentes. Les performances de DF se sont révélées mauvaises, elle répondait au hasard. Dans une autre tâche perceptive, DF devait indiquer, avec son pouce et son index, la largeur des formes, tâche que DF s'est montrée incapable de réussir. La taille de sa pince était toujours la même alors que la largeur des formes variait. Par contre, quand DF devait se saisir des formes, elle n'avait aucune difficulté à adapter sa pince de préhension correctement.

Cette étude montre bien que DF peut se servir des indices perceptifs concernant la taille et l'orientation pour effectuer des mouvements, alors qu'elle ne peut pas s'en servir pour effectuer des jugements perceptifs. Pour Goodale et al. (1991), il existe une dissociation entre les traitements visuels qui sous-tendent les jugements perceptifs conscients et ceux qui sous-tendent le guidage visuo-moteur automatique des mouvements des membres et des mains.

Outre le cas de DF qui présente un déficit de la perception mais pas de déficit visuo-moteur, il existe des cas montrant la dissociation inverse comme les patients atteints d'une ataxie optique. Comme nous l'avons déjà indiqué, ces patients, qui ont généralement une lésion unilatérale pariétale supérieure (en cas d'ataxie pure), vont être incapables d'aller saisir un objet situé dans leur espace extra-personnel alors qu'ils peuvent le voir et le reconnaître.