4.3. Voie ventrale pour la perception et voie dorsale pour l'action

L'observation de dissociations entre traitement visuel pour la perception et traitement visuel pour l'action a conduit Goodale et Milner (1992) à proposer une réinterprétation du rôle des voies ventrale et dorsale (pour une revue exhaustive, voir Milner & Goodale, 1996). Contrairement à l'hypothèse d'Ungerleider et Mishkin (1982), ces deux voies ne se distingueraient pas sur la base des différentes informations qu'elles recevraient en entrée (information concernant la forme, d'une part, et information spatiale, d'autre part) mais en fonction du type de transformation à réaliser sur l'information visuelle. En effet, les deux voies traiteraient l'information concernant les traits des objets et leurs relations spatiales mais chaque voie utiliserait différemment cette information. Les traitements réalisés dans la voie ventrale concerneraient les caractéristiques des objets et de leurs relations permettant la formation de représentations perceptives à long terme. De telles représentations permettraient ensuite l'identification des objets et leur classement en différentes catégories. Ces différentes opérations assureraient l'acquisition d'une base de connaissance. Au contraire, la voie dorsale travaillerait dans l'instant et pas pour du long terme. Elle traiterait les localisations et les dispositions spatiales des objets dans un cadre de référence égocentrique. Ces informations ne seraient pas stockées mais au contraire constamment réévaluées pour permettre, par exemple, la préhension d'un objet en mouvement. L'hypothèse d'un traitement rapide de l'information dans la voie dorsale est, par ailleurs, confirmée par les temps de latence relativement courts des neurones magnocellulaires du corps genouillé dorso-latéral qui fournissent la plus grande partie de l'information traitée dans la voie dorsale (pour une revue, voir Bullier, 1998). Enfin, les traitements effectués dans les deux voies ne seraient pas indépendants. En effet, dans la vie courante, nos actions sont orientées vers un but. Ce but va être sélectionné par la voie ventrale qui, seule, peut identifier les objets. La voie dorsale n'interviendrait qu'après pour guider visuellement le mouvement. Les deux voies doivent donc travailler ensemble pour prévoir et exécuter les actions dirigées vers un but (Goodale, 1997).

La théorie de Goodale et Milner (1992) est donc bien différente de celle d'Ungerleider et Mishkin (1982). Donner une place importante à la voie dorsale dans le traitement des mouvements visuellement guidés est tout à fait cohérent avec les différentes données de la neurophysiologie et de la neuropsychologie. Cependant, réduire son rôle dans le traitement spatial à un but uniquement moteur semble trop restrictif et la théorie est basée sur un trop petit nombre de patients (Ungerleider & Haxby, 1994). De plus, les cellules des lobes pariétaux sont tout à fait équipées pour diriger le mouvement mais aussi pour percevoir les positions des objets dans l'espace (pour des revues voir, Battaglini et al., 1996 ; et Mouncastle, 1995). Par ailleurs, les tests de patients présentant des lésions pariétales n'impliquent pas toujours la réalisation d'un mouvement. Or, même dans les tests spatiaux uniquement perceptifs, ces patients montrent de faibles performances (e.g., Robertson et al., 1997 ; Wilson et al., 1997). De même, les tâches spatiales utilisées dans les études d'imagerie cérébrale que nous avons présentées, étaient purement perceptives (e.g., Horwitz et al., 1992 ; Köhler et al., 1995). Or, elles ont quand même permis de montrer une activation des lobes pariétaux. Enfin, une étude réalisée par Stark, Coslett, et Saffran (1996) nous semble particulièrement remettre en question la théorie de Goodale et Milner (1992). En effet, ces auteurs ont étudié le cas d'une patiente (GW) présentant une atrophie focalisée dans la partie postéro-supérieure des lobes pariétaux. Si la voie dorsale de GW était lésée, sa voie ventrale était intacte. L'étude de GW a montré que la reconnaissance et l'identification des objets ne lui posait pas de problème. Cependant, elle a aussi montré que cette patiente pouvait sans difficulté pointer vers des objets visuellement présents. Par contre, elle avait beaucoup de mal à réaliser des tâches visuo-spatiales comme le comptage de points, de cubes, l'identification de la position et le jugement de positions relatives. Ainsi, contrairement à ce qu'aurait pu prédire la théorie de Goodale et Milner (1992), les lésions pariétales bilatérales de GW ont induit un déficit du traitement spatial perceptif et pas du traitement spatial visuo-moteur, sauf dans des cas où l'action devait se faire vers un point préalablement occupé (rappel de la position de l'objet de mémoire). Il semble donc que l'on doive conserver à la voie dorsale son rôle dans le traitement visuo-spatial (Ungerleider & Mishkin, 1982) même si on lui ajoute un rôle important dans le traitement visuo-moteur (Goodale & Milner, 1992).