3.1.2. Importance de la taille des champs récepteurs

Une façon de représenter une localisation spatiale est d'exploiter le recouvrement entre des représentations de positions relativement grossières (Hinton, McClelland, & Rumelhart, 1986). En réalisant une simulation de réseaux de neurones O'Reilly et al. (1990) ont montré que cette méthode est efficace pour encoder des positions spatiales précises (métriques). Kosslyn et al. (1992) ont fait l'hypothèse que l'utilisation d'un tel type de codage pourrait sous-tendre les différences hémisphériques pour le traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées. Plus précisément, l'hémisphère droit pourrait traiter préférentiellement les informations provenant des neurones ayant de larges champs récepteurs se recouvrant beaucoup. Ainsi, l'hémisphère droit pourrait effectuer un codage grossier lui permettant d'encoder les positions métriques précises. De son côté, l'hémisphère gauche traiterait préférentiellement les informations fournies par les neurones ayant de plus petits champs récepteurs se recouvrant peu, ce qui lui permettrait de délimiter l'espace en régions discrètes (i.e., région à droite du point de fixation, à gauche, dessus, dessous...).

Pour vérifier cette hypothèse, Kosslyn et al. (1992) ont étudié les performances de différents réseaux de neurones. Dans certains réseaux, la taille des "champs récepteurs" des unités cachées n'était pas prédéfinie mais pouvait évoluer au gré du réseau. Dans d'autres réseaux, la taille des champs récepteurs était soit petite, soit grande. Kosslyn et al. (1992) ont pu ainsi montrer que les réseaux devant réaliser la tâche coordonnée et pouvant modifier la taille de leurs champs récepteurs développaient de plus larges champs récepteurs que les réseaux effectuant la tâche catégorielle. Pour les réseaux ayant une taille de champs récepteurs fixe, ceux ayant des champs récepteurs larges, se recouvrant beaucoup, étaient plus performants pour effectuer des traitements coordonnés que pour effectuer des traitements catégoriels. A l'inverse, les réseaux ayant de plus petits champs récepteurs ne se recouvrant presque pas étaient relativement meilleurs pour les traitements catégoriels que pour les traitements coordonnés. Kosslyn et al. (1992) ont aussi montré que, lorsque les réseaux munis de petits champs récepteurs devaient traiter les relations spatiales catégorielles, un effet de la distance entre le point et la barre était observé. Les réseaux avaient plus de facilité à effectuer des appariements entrée-sortie lorsque le point était loin de la barre que lorsqu'il était près. Ce résultat confirme l'importance de la délimitation de l'espace en petites régions pour traiter les relations spatiales catégorielles. En effet, il montre que lorsque cette délimitation est rendue ardue par une trop grande proximité des stimuli, les jugements catégoriels sont plus difficiles à réaliser. Enfin, Kosslyn et al. (1992) ont montré que l'effet de la taille des champs récepteurs pouvait être annulé si on augmentait le nombre d'unités d'entrées. Cela suggère que la distinction entre les deux sous-systèmes de traitements catégoriels et coordonnés n'est que relative et que l'augmentation des informations accessibles peut masquer cette distinction.

L'hypothèse d'une utilisation différenciée, par les hémisphères cérébraux, de l'information provenant de neurones possédant de petits ou de grands champs récepteurs peut être rapprochée de l'hypothèse d'une différence hémisphérique pour les traitements des hautes et des basses fréquences (pour des revues, voir Meccaci, 1993 ; et Sergent, 1982, 1983a) qui stipule que l'hémisphère gauche traiterait préférentiellement les hautes fréquences alors que l'hémisphère droit traiterait préférentiellement les basses fréquences. En effet, les neurones possédant de petits champs récepteurs seraient plus aptes à encoder de petits motifs (i.e., hautes fréquences) alors que les neurones possédant de larges champs récepteurs seraient plus aptes à encoder de grands motifs (i.e., basses fréquences). Par analogie, la théorie de Kosslyn et al. (1992) et celle de Sergent (1982, 1983a) sont proches de la théorie selon laquelle l'hémisphère gauche traiterait préférentiellement les formes locales alors que l'hémisphère droit traiterait préférentiellement les formes globales (pour des revues, voir Robertson & Lamb, 1991 ; et Van Kleek, 1989). La similarité entre ces trois théories a conduit Hellige (1993, 1995) à postuler qu'elles puissent être sous-tendues par un mécanisme commun. Cependant, cette hypothèse est démentie par les travaux de Kosslyn, Anderson, Hillger, et Hamilton (1994b).

D'un point de vue théorique, ces auteurs soulignent que, si les petits champs récepteurs ont, en soi, une meilleure résolution que les grands champs récepteurs, l'inverse est aussi vrai. Plus précisément, si le même nombre de neurones est utilisé pour traiter l'information d'une même région, les neurones munis de grands champs récepteurs vont pouvoir, grâce à leur fort recouvrement, encoder l'information avec une plus grande résolution que ne pourront le faire les neurones munis de petits champs récepteurs se recouvrant peu.

D'un point de vue expérimental, Kosslyn et al. (1994b) ont aussi montré que les trois théories sont bien différentes. Pour cela, une étude utilisant la méthode de présentation en champs visuels divisés a été élaborée. Cette méthode, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, consiste à présenter l'information visuelle, très rapidement, dans l'un des champs visuels du sujet, de telle sorte qu'elle soit traitée initialement par l'hémisphère controlatéral. Ainsi, toute différence de rapidité, et (ou) de précision, dans les réponses, selon le côté de présentation des stimuli, permet d'inférer que tel ou tel hémisphère est plus compétent pour traiter tel ou tel type d'informations. Dans l'expérience de Kosslyn et al. (1994b, expérience 1), deux petites barres obliques étaient présentées très rapidement et successivement dans l'un des champs visuels du sujet. La tâche consistait à indiquer si les deux barres avaient ou non la même orientation. Ce qui était manipulé, outre l'orientation des barres, était la distance entre les deux barres (i.e., l'excentricité). L'hypothèse avancée par Kosslyn et al. (1994b) était que les réponses seraient meilleures, pour les stimuli distants, lorsque l'hémisphère droit recevrait l'information en premier (i.e., lorsque l'information serait présentée dans le champ visuel gauche). En effet, si cet hémisphère traite l'information provenant de neurones ayant de larges champs récepteurs, il est probable que les deux barres, même distantes, sont traitées par les mêmes neurones, ce qui produirait un effet d'amorçage. Au contraire, si l'hémisphère gauche traite l'information provenant de neurones ayant de petits champs récepteurs, aucun effet d'amorçage ne devrait apparaître pour les stimuli éloignés car ils seraient traités par différents neurones. Les résultats obtenus ont confirmé les prédictions de Kosslyn et al. (1994b). En effet, un avantage de l'hémisphère droit a été observé pour les stimuli distants. Ces résultats sont importants puisqu'ils apportent une preuve en faveur de l'hypothèse d'une utilisation, par l'hémisphère droit, de l'information provenant de neurones ayant de larges champs récepteurs et d'une utilisation, par l'hémisphère gauche, de l'information provenant de neurones ayant de petits champs récepteurs. De plus, ils montrent que cette hypothèse est bien distincte des hypothèses selon lesquelles les hémisphères se distingueraient selon les fréquences spatiales ou selon le niveau de détail (i.e., global, local) qu'ils traiteraient préférentiellement. En effet, ces deux dernières hypothèses n'auraient prédit aucune différence hémisphérique dans l'expérience de Kosslyn et al. (1994b) puisque les mêmes fréquences et les mêmes niveaux de détails sont contenus dans les stimuli qu'ils soient proches ou éloignés.

Le dernier point important à souligner concernant la théorie selon laquelle les deux hémisphères privilégieraient l'information provenant de neurones ayant de petits ou de larges champs récepteurs est l'origine de cette différence. Lorsque Kosslyn et al. (1992) ont réalisé leurs études, l'hypothèse sous-jacente était que l'hémisphère gauche serait prédisposé à utiliser de petits champs récepteurs ne se recouvrant pas alors que l'hémisphère droit serait prédisposé à utiliser de grands champs récepteurs se recouvrant. Dans les termes de Kosslyn et al. (1992), cette prédisposition viendrait d'une différence structurale entre les deux hémisphères qui serait due à une projection plus importante des neurones de la voie magnocellulaire (communication personnelle de Livingston, voir Kosslyn et al., 1992) dans l'hémisphère droit. Cependant, des résultats obtenus par Kosslyn et al. (1994b, expérience 2), chez des sujets normaux, ont conduit les auteurs à modifier ce point de vue en indiquant qu'il n'y aurait pas une différence fixe dans la taille des champs récepteurs des cellules des hémisphères cérébraux (i.e., des cellules ayant de petits ou de grands champs récepteurs seraient représentées dans les deux hémisphères) mais qu'un biais attentionnel ferait que l'hémisphère droit aurait plus tendance à utiliser les informations provenant des cellules à larges champs récepteurs alors que l'hémisphère gauche aurait plus tendance à utiliser les informations provenant des cellules à petits champs récepteurs. En effet, dans une seconde expérience, Kosslyn et al. (1994b) ont montré que, lorsque les stimuli étaient présentés encore plus en périphérie du champ visuel, l'hémisphère gauche était, cette fois, meilleur que l'hémisphère droit. Pour Kosslyn et al. (1994b) ce résultat indique, d'une part, que la prédisposition des hémisphères cérébraux à traiter l'information provenant de neurones possédant de petits ou de grands champs récepteurs n'est pas structurelle mais due à un biais attentionnel et, d'autre part, que l'hémisphère gauche est capable de modifier ce biais attentionnel pour utiliser l'information provenant de neurones ayant de larges champs récepteurs lorsque cela est rendu nécessaire par la tâche. En effet, le traitement de stimuli en périphérie (peu visibles) nécessite l'intervention de neurones ayant de larges champs récepteurs.

Ainsi, les hémisphères cérébraux ne seraient pas structurellement prédisposés à traiter un type particulier d'informations. Simplement, en fonction du type de traitement à réaliser, les hémisphères seraient biaisés pour traiter plutôt tel ou tel type d'information (Brown & Kosslyn, 1995 ; Kosslyn, 1994 ; Kosslyn et al., 1994b). De plus, ce biais pourrait être modifié en fonction des demandes de la tâche, l'hémisphère gauche étant plus capable de s'adapter que l'hémisphère droit (Kosslyn et al., 1994b).

Les expériences de simulation de réseaux de neurones ont donc permis de montrer qu'un réseau divisé était plus performant pour réaliser les tâches catégorielles et coordonnées qu'un réseau non divisé. De plus, les expériences de simulation portant sur l'influence de la taille des champs récepteurs permettent de postuler que la différence entre les deux types de traitements viendrait en partie d'une utilisation différenciée de l'information provenant de neurones ayant de petits ou de grands champs récepteurs. Ce dernier point a, par ailleurs, obtenu des appuis dans une étude en champs visuels divisés réalisée chez des sujets normaux par Kosslyn et al. (1994b).

Bien que les simulations de Kosslyn et al. (1992) aient été critiquées d'un point de vue méthodologique par Cook, Früh, et Landis (1995), Kosslyn et ses collaborateurs ont argumenté le bien fondé de leurs résultats (Kosslyn, Chabris, & Baker, 1995b ; Kosslyn, Chabris, Marsolek, Jacobs, & Koenig, 1995c). Par ailleurs, des résultats similaires ont été obtenus par Jacobs et Kosslyn (1994) et par Baker, Chabris, et Kosslyn (1999), ces derniers ayant, de plus, utilisé une méthode différente d'élaboration des réseaux de neurones.

Nous allons maintenant nous tourner vers les études réalisées chez l'être humain.