3.3.2. Premières études sur la distinction entre représentations de relations spatiales catégorielles et coordonnées

Les premières études portant sur l'hypothèse d'une distinction entre représentations spatiales catégorielles et coordonnées ont été réalisées par Kosslyn, Koenig, Barett, Cave, Tang, et Gabrieli (1989) et par Hellige et Michimata (1989).

Dans ces deux études, chaque expérience comportait deux tâches portant sur les mêmes stimuli et donc ne différant entre elles que par la consigne : une tâche nécessitait un traitement de relations spatiales catégorielles et l'autre un traitement de relations spatiales coordonnées. Par ailleurs, pour chacune des expériences qui vont être présentées dans cette section, les sujets étaient des hommes et des femmes droitiers.

Dans une première expérience réalisée par Kosslyn et al. (1989, expérience 1) les sujets devaient décider si un point était "sur" ou "hors" le contour d'une forme patatoïde (tâche catégorielle), ou si la distance entre le point et le contour était supérieure ou inférieure à 2 mm (tâche coordonnée). Les résultats obtenus ont révélé une interaction entre les facteurs tâche et hémisphère : les sujets répondaient plus rapidement dans la tâche catégorielle lorsque les stimuli étaient présentés initialement à l'hémisphère gauche (avantage non significatif) alors qu'ils répondaient plus rapidement dans la tâche coordonnée lorsque les stimuli étaient présentés initialement à l'hémisphère droit (avantage significatif). Cette expérience a donc apporté une première preuve en faveur d'une dissociation entre le sous-système d'encodage des relations spatiales catégorielles et le sous-système d'encodage des relations spatiales coordonnées. Cependant, la tâche catégorielle s'est révélée plus difficile que la tâche coordonnée laissant ouverte la possibilité d'une interprétation différente des résultats. En effet, l'hémisphère gauche pourrait être simplement plus performant pour exécuter des tâches difficiles alors que l'hémisphère droit serait plus impliqué dans l'exécution de tâches faciles.

Une seconde expérience (Kosslyn et al., 1989, expérience 2) a montré que les résultats précédents peuvent être généralisés à d'autres jugements catégoriels et coordonnés. Dans cette seconde expérience, les stimuli étaient les symboles "+" et "-". Dans la tâche catégorielle, il fallait indiquer si le "+" était à gauche ou à droite du "-" et, dans la tâche coordonnée, il fallait indiquer si la distance entre les deux symboles était supérieure ou inférieure à un pouce (2,54 cm). Les résultats obtenus ont été similaires à ceux de la première expérience.

Hellige et Michimata (1989) ont, de leur côté, mis au point une expérience encore différente. Cette fois, les stimuli utilisés étaient constitués d'un point et d'une barre horizontale, le point pouvant prendre douze positions, six au-dessus de la barre et six au-dessous de la barre. Parmi ces douze positions, six étaient à plus de deux centimètres de la barre et six étaient à moins de deux centimètres. Dans la tâche catégorielle, les sujets devaient indiquer si le point était au-dessus ou au-dessous de la barre. Dans la tâche coordonnée, ils devaient décider si la distance entre le point et la barre était supérieure ou inférieure à 2 cm. A nouveau, et bien que cette fois ce soit la tâche coordonnée qui ait été la plus difficile, une interaction entre les facteurs tâche et hémisphère a été obtenue. Plus précisément, un avantage significatif de l'hémisphère droit a été observé dans la tâche coordonnée et une tendance à un avantage de l'hémisphère gauche a été observée dans la tâche catégorielle. De plus, pour confirmer que ces résultats signifiaient bien une distinction entre les deux sous-systèmes d'encodage des relations spatiales, Hellige et Michimata (1989) ont utilisé une méthode dite d'association inversée.

Cette méthode a été proposée par Dunn et Kirsner (1988) qui soutiennent que de telles dissociations de traitement (i.e., asymétrie hémisphérique différente selon les tâches) n'excluent pas, sans équivoque, l'interprétation selon laquelle les deux tâches seraient médiatisées par un mécanisme commun (i.e., un seul sous-système). Pour ces auteurs, seule l'association inversée permet de fournir une preuve supplémentaire pour montrer que deux tâches sont bien réalisées par des mécanismes différents. L'association inversée correspond à une analyse de la covariance des résultats obtenus dans deux tâches différentes en fonction d'une variable indépendante possédant au moins trois niveaux. Les performances obtenues dans l'une des tâches sont alors distribuées en fonction des performances obtenues dans l'autre tâche et cela pour les trois niveaux de la variable prise en compte. Selon Dunn et Kirsner (1988), si l'on obtient une courbe non-monotone, alors on aura une preuve que les deux tâches impliquent des mécanismes distincts.

Pour pouvoir utiliser l'association inversée, Hellige et Michimata (1989) avaient conçu leur expérience en ajoutant, aux présentations en champs visuels divisés, des présentations bilatérales (i.e., présentation des mêmes stimuli dans les deux champs visuels, simultanément) donnant ainsi trois niveaux à la variable indépendante "champ visuel". Ainsi, ils ont pu représenter la distribution des temps de réponse obtenus dans la tâche coordonnée, pour les essais présentés dans le champ visuel droit, dans le champ visuel gauche, et bilatéralement, en fonction des temps de réponse obtenus dans la tâche catégorielle pour ces mêmes lieux de présentation. La courbe qu'ils ont obtenue était clairement non-linéaire, renforçant ainsi l'hypothèse de l'existence de deux sous-systèmes distincts pour le traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées.

Kosslyn et al. (1989, expérience 3) ont reproduit les résultats d'Hellige et Michimata en utilisant le même paradigme mais avec une distance critique de 3 mm. Cependant, ils n'ont observé l'interaction entre les facteurs tâche et hémisphère que dans le premier bloc d'essais. En effet, au-delà du premier bloc l'avantage de l'hémisphère droit disparaissait dans la tâche coordonnée, reflétant un effet d'apprentissage qui a été largement débattu par les auteurs. Cet effet est particulièrement important, et, pour cette raison, nous lui consacrerons une section particulière. Notons cependant que, dans la tâche catégorielle, aucun effet d'apprentissage n'a été relevé. Enfin, comme Hellige et Michimata (1989), Kosslyn et al. (1989) ont montré que l'application de l'association inversée produisait une courbe non-monotone (en plus des présentations latéralisées, l'expérience comportait des essais en présentation centrale).

Ainsi, les expériences de Kosslyn et al. (1989, expériences 1, 2, et 3) et celle d'Hellige et Michimata (1989) ont montré qu'il existait une asymétrie pour les traitements catégoriels et coordonnés dans le sens prédit par Kosslyn (1987). Par ailleurs, cette asymétrie ne pouvait pas être due à des différences de difficulté entre les tâches, puisque la même asymétrie a été observée dans deux expériences où la tâche catégorielle était plus difficile que la tâche coordonnée (Kosslyn et al., 1989, expérience 1 et 2) et dans deux expériences où la tâche coordonnée était plus difficile que la tâche catégorielle (Hellige et Michimata, 1989 ; Kosslyn et al., 1989, expérience 3). De plus, cette asymétrie a été observée dans des expériences utilisant des stimuli et des jugements catégoriels et coordonnés différents ("sur" versus "hors", "à droite" versus "à gauche", et "dessus" versus "dessous", pour les tâches catégorielles ; et, plus ou moins 2 mm, plus ou moins 1 pouce, plus ou moins 2 cm, et plus ou moins 3 mm, pour les tâches coordonnées).

Les études qui ont suivi ont testé les effets des caractéristiques des stimuli (positions sur l'écran ; conditions de vision), du mode de réponse (oral ; manuel), des tâches (ne demandant pas directement des jugements catégoriels et coordonnés ; impliquant une imagerie mentale ; impliquant fortement la mémoire), et des participants (hommes ou femmes ; gauchers ou droitiers ; jeunes ou âgés) sur l'observation de différences hémisphériques pour les traitements catégoriels et coordonnés.