4.2.1. Hypothèse de Kosslyn et al. (1989)

La première hypothèse a été avancée par Kosslyn et al. (1989). Pour ces auteurs, le sous-système d'encodage des relations spatiales coordonnées serait de moins en moins utilisé, avec la pratique, à cause d'une implication progressive du sous-système d'encodage des relations spatiales catégorielles. En effet, l'étude des résultats de l'expérience 3 de Kosslyn et al. (1989) a révélé que la disparition rapide de l'avantage de l'hémisphère droit était essentiellement la conséquence d'une amélioration des performances de l'hémisphère gauche. Kosslyn et al. (1989) ont postulé que ce dernier, avec la pratique, développerait de nouvelles catégories de positions de points lui permettant d'évaluer les positions "près", "loin", sans avoir à se représenter de façon explicite la distance métrique entre les stimuli. Ce développement de nouvelles catégories serait rendu possible par la répétition des stimuli et se réaliserait progressivement en concernant d'abord les stimuli facilement catégorisables (i.e., stimuli loin de la distance critique) puis les stimuli plus difficilement catégorisables (i.e., stimuli près de la distance critique). Cette hypothèse a été vérifiée dans une étude réalisée par Koenig, Kosslyn, Chabris, et Gabrieli (non publié). Dans une expérience (Koenig et al., non publié, expérience 1) utilisant comme stimuli un point pouvant prendre plusieurs positions près ou loin de la distance critique et une barre, il a été montré que l'avantage de l'hémisphère droit perdurait plus longtemps pour les essais difficiles que pour les essais faciles. Par ailleurs, le développement de nouvelles représentations de relations spatiales catégorielles ne se résumerait pas au développement de simples labels verbaux. En effet, si c'était le cas, un avantage significatif de l'hémisphère gauche aurait dû apparaître compte-tenu de la dominance de l'hémisphère gauche pour les traitements langagier (pour des revues, voir Kolb & Whishaw, 1980 ; et Springer & Deutsch, 1985). Or, même si cet hémisphère améliorait ses performances au cours du temps, aucun avantage significatif de cet hémisphère n'a été observé. Ce serait donc des catégories perceptives qui seraient développées avec la pratique. Cela n'empêche pas, cependant, que celles-ci soient ensuite associées à un label verbal, mais ce processus prendrait du temps. Par ailleurs, le fait que l'avantage de l'hémisphère gauche soit rarement significatif dans les tâches catégorielles est aussi un argument qui permet de rejeter l'hypothèse selon laquelle le processus de catégorisation des relations spatiales reflète simplement l'utilisation de labels verbaux. Enfin, Koenig et al. (non publié) ont aussi montré que la consolidation des catégories développées, avec la pratique, dans les tâches coordonnées sont longues à se consolider. Cela a été prouvé expérimentalement par ces auteurs. Pour cela, ils ont retesté les mêmes sujets avec la même expérience (Koenig et al., non publié, expérience 1) à 24 heures d'intervalle. Les résultats ont montré que l'avantage de l'hémisphère droit réapparaissait au début de l'expérience. Ce résultat indique que les catégories développées la veille n'étaient pas encore consolidées. De plus, ce résultat souligne que l'apprentissage de nouvelles catégories de positions spatiales ne peut pas se réduire à l'utilisation d'un label verbal car celui-ci aurait été disponible dès le début de l'expérience. Une autre étude concernant l'effet de pratique dans les tâches coordonnées a été réalisée par Koenig et Dillenbourg (non publié) et a révélé qu'un entraînement intensif sur cinq jours, chez un seul sujet, permettait d'observer, dans les derniers jours, l'apparition d'un avantage significatif de l'hémisphère gauche. Ce résultat semble donc confirmer que la disparition de l'avantage de l'hémisphère droit dans les tâches coordonnées est bien due à une implication progressive de l'hémisphère gauche. Ce point soutient aussi l'hypothèse que, grâce à la répétition des stimuli, l'hémisphère gauche développerait de nouvelles catégories de positions qui mettraient du temps à se consolider, mais, une fois acquises, permettraient l'observation d'un avantage significatif de l'hémisphère gauche dans des tâches demandant pourtant, à l'origine, le traitement des relations spatiales coordonnées pour lequel l'hémisphère droit est dominant.

Nous allons présenter une dernière étude qui apporte des arguments en faveur du processus de catégorisation de la position des points, par l'hémisphère gauche, avec la pratique, dans des tâches coordonnées. Cette étude a été réalisée par Dépy, Fagot, et Vauclair (1998) et est intéressante, d'une part, parce que la méthode utilisée est originale, et, d'autre part, parce que les expériences ont aussi été réalisées par un groupe de six babouins. La méthode utilisée dans les expériences de cette étude est une méthode non verbale d'étude des asymétries hémisphériques qui a été décrite en détail par Vauclair et Fagot (1995). Cette méthode consiste en la présentation initiale d'un point de fixation et d'un curseur. Ces deux éléments sont présentés sur le même axe vertical coupant l'écran en parties égales. Lorsque ces éléments apparaissent, le sujet doit déplacer le curseur, à l'aide d'un joystick, et le positionner sur le point de fixation. Dès que cela est fait, un stimulus apparaît brièvement (moins de 200 ms) dans l'un des champs visuels. Puis deux éléments apparaissent à l'écran, l'un au-dessus, l'autre au-dessous du point de fixation. Ces éléments correspondent respectivement aux réponses A et B. Par essais-erreurs, le sujet doit trouver quels stimuli, présentés latéralement, correspondent à la réponse A et quels stimuli correspondent à la réponse B. L'intérêt de cette méthode est qu'aucune consigne verbale n'a besoin d'être donnée, ce qui permet, par exemple, de tester des primates. De plus, le déplacement du curseur sur le point de fixation, à chaque début d'essai, permet de s'assurer que le sujet fixe bien le centre de l'écran lors de la présentation latéralisée des stimuli (Wilde, Vauclair, & Fagot, 1994). Néanmoins, cette méthode nécessite une période d'apprentissage. En effet, la session expérimentale ne commence que lorsque le sujet atteint une performance de 80 % de réponses correctes sur un certain nombre d'essais consécutifs. En utilisant cette méthode, Dépy et al. (1998) ont réalisé plusieurs expériences pour tester la spécialisation hémisphérique dans les traitements métriques. Dans toutes les expériences, les stimuli étaient composés d'un point et d'une barre. Le point pouvait prendre différentes positions par rapport à la barre et la distance entre les deux stimuli pouvait être petite (entre 0,1 cm et 0,9 cm) ou grande (entre 1,9 cm et 2,7 cm). Dans une première expérience, les sujets (hommes et femmes) voyaient, à chaque essai, et après positionnement du curseur sur le point de fixation, les stimuli décrits ci-dessus, présentés rapidement dans le champ visuel droit ou dans le champ visuel gauche. Notons que la barre pouvait prendre différentes positions le long d'un axe vertical imaginaire situé à 3° du point de fixation dans les champs visuels gauche et droit. Ensuite apparaissaient un carré rouge au-dessus du point de fixation et un carré vert au-dessous du point de fixation. Le carré rouge correspondait à la réponse "grande distance" alors que le carré vert correspondait à la réponse "petite distance" pour la moitié des sujets. Pour l'autre moitié des sujets, l'assignation des réponses était inversée. Rappelons que ces réponses n'étaient pas indiquées aux sujets mais devaient être découvertes par essais-erreurs durant la phase d'apprentissage qui était réalisée en utilisant seulement les deux positions du point les plus extrêmes (0,1 cm et 2,7 cm). Environ 100 essais étaient nécessaires aux sujets pour atteindre un score de 80 % de réponses correctes. Dans la partie test de l'expérience, la distance entre le point le plus loin de la barre dans la catégorie "petite distance" et le point le plus près de la barre dans la catégorie "grande distance" était de 1 cm. Les résultats ont révélé un avantage de l'hémisphère gauche et non un avantage de l'hémisphère droit comme prévu par la théorie de Kosslyn (1987). Outre des hommes, six babouins mâles et femelles ont été testés. Pour eux, 1345 essais d'apprentissage étaient nécessaires en moyenne pour atteindre le critère de 80 % de réponses correctes. Les résultats obtenus lors de la réalisation des essais expérimentaux ont été similaires à ceux des hommes. L'avantage de l'hémisphère gauche dans cette première expérience peut être expliqué par le fait que les deux catégories de distances étaient clairement distinctes (au minimum 1 cm d'écart) ce qui a pu permettre d'assigner rapidement les points à des catégories de positions. Cette interprétation est congruente avec l'hypothèse de Kosslyn et al. (1989) concernant l'effet de pratique observé dans les tâches coordonnées. De plus, ce processus a pu être favorisé par le type de réponse demandé. La deuxième expérience réalisée par Dépy et al. (1998) avait pour but de voir si l'asymétrie hémisphérique observée dans l'expérience 1 pouvait, en effet, être due à la grande distance séparant les deux catégories de distances. Pour cela, l'espace entre le point le plus loin de la barre dans la catégorie petite distance et le point le plus proche de la barre dans la catégorie grande distance a été réduit à 0,4 cm. Les résultats, chez l'homme comme chez le babouin, ont été similaires à ceux de la première expérience. Cependant, les sujets testés dans cette deuxième expérience étaient les mêmes que ceux testés dans la première. Ainsi, les sujets ont pu étendre rapidement les catégories développées dans la première expérience aux nouvelles positions de point. Cela expliquerait qu'aucun avantage de l'hémisphère droit ne soit apparu dans cette deuxième expérience, dans laquelle les jugements métriques étaient pourtant plus difficiles. Pour vérifier cette hypothèse, de nouveaux sujets (des hommes uniquement) ont été testés en reprenant les stimuli de la deuxième expérience. Cette fois, comme attendu, un avantage de l'hémisphère droit a été observé dans la première session expérimentale. Ainsi, les résultats de cette troisième expérience sont en accord avec l'hypothèse de Kosslyn (1987) concernant la spécialisation de l'hémisphère droit pour les traitements coordonnés. Par ailleurs, cet avantage disparaissait dans la deuxième session, ce qui est cohérent avec les résultats concernant l'effet de pratique dans les tâches coordonnées (Cowin & Hellige, 1994 ; Hoyer et Rybash, 1992 ; Koenig et al., 1990 ; Kosslyn et al., 1989, expérience 3 ; Michimata, 1997, tâche perceptive ; Rybash & Hoyer, 1992). La disparition de l'avantage de l'hémisphère droit avec la pratique dans l'expérience 3 ainsi que l'observation d'un avantage de l'hémisphère gauche dans les deux premières expériences plaident en faveur de l'hypothèse de Kosslyn et al. (1989) selon laquelle l'hémisphère gauche développe, avec la pratique, dans les tâches coordonnées, de nouvelles représentations de relations spatiales catégorielles. Enfin, cette hypothèse semble aussi applicable aux babouins. En effet, dans une quatrième expérience, Dépy et al. (1998) ont ajouté, aux stimuli de l'expérience 1, quatre nouvelles positions de points appartenant à la catégorie "longue distance". Seuls les babouins ont été testés dans cette expérience. Leurs résultats ont montré qu'ils répondaient aussi vite à ces quatre nouvelles positions qu'aux positions déjà vues dans l'expérience 1. Ces résultats soutiennent donc l'hypothèse que les babouins ont réalisé la tâche en utilisant une procédure de catégorisation. Cette observation est particulièrement importante car elle confirme le point de vue de Kosslyn et al. (1989) selon lequel le développement de nouvelles représentations de relations catégorielles ne se résume pas à l'assignation de labels verbaux puisque les babouins ne possèdent pas le langage.

L'hypothèse de Kosslyn et al. (1989) concernant le développement de nouvelles représentations de relations catégorielles dans les expériences demandant pourtant, à l'origine, des jugements coordonnés, semble donc être confirmée par de nombreuses études (Dépy et al., 1998 ; Koenig & Dillenbourg, non publié ; Koenig et al., non publié). Cependant, d'autres hypothèses ont été proposées.