4.2.2. Hypothèse de Banish et Federmeier (1999)

La seconde hypothèse qui a été avancée concernant l'effet de pratique observé dans les tâches coordonnées est celle de Banish et Federmeier (1999). Cette hypothèse s'appuie sur l'utilisation différenciée, par les hémisphères cérébraux, de l'information provenant de neurones possédant de petits ou de grands champs récepteurs (Brown & Kosslyn, 1995 ; Kosslyn, 1994 ; Kosslyn et al., 1994b ; Kosslyn et al., 1992). Elle s'appuie aussi sur l'hypothèse selon laquelle les petits champs récepteurs permettraient de diviser le champ visuel en régions discrètes (Kosslyn, 1994 ; Kosslyn et al., 1992). En effet, pour Banish et Federmeier (1999), l'utilisation de stimuli tels qu'un point et une barre avec la barre présentée toujours au même endroit dans chaque champ visuel a pu permettre aux sujets d'utiliser l'écran comme cadre de référence permettant de ne plus avoir à traiter précisément les distances métriques entre le point et la barre dans la tâche coordonnée. Plus précisément, les sujets auraient pu utiliser une stratégie cognitive consistant à diviser l'écran en région "près" et "loin" de la barre. Cette méthode, une fois adoptée, permettrait d'assigner chaque point à la catégorie délimitée par telle ou telle région (i.e., région délimitant la catégorie "près" et région délimitant la catégorie "loin"). Comme, selon Kosslyn et al. (1992), une des fonctions des neurones possédant de petits champs récepteurs se recouvrant peu serait de délimiter l'espace en régions discrètes, et comme l'information provenant des neurones possédant ce type de champ récepteur est préférentiellement utilisée par l'hémisphère gauche, cela expliquerait que cet hémisphère s'améliore dans les tâches coordonnées faisant disparaître l'avantage initial de l'hémisphère droit. Pour vérifier cette hypothèse, Banish et Federmeier (1999) ont testé des sujets dans deux versions du paradigme d'Hellige et Michimata (1989). Dans les deux versions, un point et une barre étaient utilisés. Dans une version, la barre était statique comme dans les expériences antérieures ayant utilisé ce type de stimuli. Dans l'autre version, la barre pouvait occuper, dans chaque hémichamp, trois positions différentes sur l'axe vertical. Ainsi, selon la position de la barre, un point dans une position donnée pouvait être près ou loin de cette dernière. Pour Banish et Federmeier (1999), la deuxième version expérimentale permettait d'empêcher les sujets d'utiliser l'écran comme cadre de référence et de délimiter l'espace en différentes catégories de positions, ce qui devait conduire à l'observation d'un maintien de l'avantage de l'hémisphère droit dans la tâche coordonnée. Pour les deux versions, une tâche de jugement des relations catégorielles (indiquer si le point était au-dessus ou au-dessous de la barre) et une tâche de jugement des relations coordonnées (indiquer si la distance entre le point et la barre était supérieure ou inférieure à une distance critique de 2,5 cm) étaient proposées aux sujets. Dans la première version de l'expérience (barre statique), les résultats n'ont pas révélé d'avantage hémisphérique que ce soit dans la tâche catégorielle ou dans la tâche coordonnée. Dans la seconde version, l'interaction entre les facteurs tâche et hémisphère s'est révélée significative pour les deux derniers blocs expérimentaux (sur quatre blocs) avec un avantage significatif de l'hémisphère gauche, dans la tâche catégorielle, et un avantage non significatif de l'hémisphère droit, dans la tâche coordonnée. Ce dernier résultat est intéressant car, comme nous l'avons déjà souligné, les expériences utilisant un point et une barre, comme stimuli expérimentaux, révèlent généralement un avantage significatif de l'hémisphère droit dans la tâche coordonnée et un avantage marginal de l'hémisphère gauche, dans la tâche catégorielle (Bruyer et al., 1997, expériences 1 ; Hellige et al., 1994, chez les sujets droitiers ; Hellige & Michimata, 1989 ; Horner & Freides, 1996, stimuli à 3° d'excentricité ; Kosslyn et al., 1989, expériences 3 ; Rybash & Hoyer, 1992 ; Sergent, 1991, expérience 4 ; Wilkinson & Donnelly, 1999, expérience 3 avec un temps d'exposition des stimuli de 100 ms). Or, dans l'expérience de Banish et Federmeier (1999), c'est l'avantage de l'hémisphère droit qui était marginal alors que l'avantage de l'hémisphère gauche était significatif. Si le déplacement de la barre selon les essais expérimentaux a effectivement empêché l'hémisphère gauche d'utiliser l'écran comme cadre de référence et donc de définir différentes régions spatiales et si cette stratégie est généralement adoptée par l'hémisphère gauche, alors, on peut penser que cet hémisphère a dû s'impliquer plus fortement pour résoudre les tâches. Cela permettrait d'expliquer que l'avantage de l'hémisphère gauche était significatif dans la tâche catégorielle alors que l'avantage de l'hémisphère droit n'était pas significatif dans la tâche coordonnée. De plus, l'observation d'une interaction entre les facteurs tâche et hémisphère dans les deux derniers blocs suggère que la manipulation expérimentale (i.e., le déplacement de la barre selon les essais) réalisée afin d'empêcher les sujets d'utiliser l'écran comme cadre de référence a été efficace. Néanmoins, Dépy et al. (1999) ont aussi utilisé une présentation de la barre en des positions variables et cela n'a pas empêché les sujets de catégoriser les stimuli dans une tâche demandant pourtant des jugements métriques. Toutefois, la procédure expérimentale utilisée dans cette étude introduisait un mode de réponse de type catégoriel. De plus, dans l'expérience 1, la frontière entre les positions près et loin était très tranchée et dans l'expérience 2, les sujets n'étaient pas naïfs. Enfin, dans l'expérience 3 de Dépy et al. (1998), un avantage de l'hémisphère droit a été observé dans la première partie expérimentale qui comportait 132 essais contre 144 dans la totalité de l'expérience de Banish et Federmeier (1999) dans la condition où la barre pouvait occuper différentes positions. Ainsi, les résultats de l'expérience 3 de Dépy et al. (1998) sont proches de ceux obtenus par Banish et Federmeier (1999). De plus, les résultats de la quatrième expérience de Dépy et al. (1998) semblent soutenir le point de vue de Banish et Federmeier (1999). En effet, les singes ont immédiatement catégorisé les nouvelles positions de points sans qu'elles aient besoin d'être répétées. Ce résultat est cohérent avec l'hypothèse d'une délimitation de régions catégorielles puisqu'elle implique que tout point apparaissant dans une région prédéfinie est immédiatement catégorisé.